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Revenu Québec s’attaque à nouveau aux agents généraux (AG) dans le litige concernant l’application de la Loi sur la taxe d’accise. Au cours des derniers mois, l’autorité fiscale québécoise, qui administre cette loi au Québec, a effectué une série de vérifications fiscales chez les agents généraux. Au moins un agent général a même reçu un projet de cotisation et d’autres prévoient en recevoir prochainement.

«J’ai reçu mon projet de cotisation. On parle de millions», confirme Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe financier, en entrevue avec Finance et Investissement.

«Si rien ne se passe, ce genre de facture fiscale va tuer plusieurs agents généraux», ajoute celui qui est aussi vice-président et trésorier de l’Association canadienne des agences indépendantes de courtage d’assurance vie (CAILBA).

Tel que Finance et Investissement l’indiquait dans son numéro de décembre dernier, l’épreuve de force est de nouveau engagée entre les agents généraux et les assureurs et les autorités fiscales concernant l’application de la loi qui encadre les taxes à la consommation. Dans ce dossier, les premiers s’opposent à l’interprétation de leur revenu d’assurance par le fisc.

D’après le fisc, le service d’intermédiaires entre les clients et les assureurs serait taxable, ce qui ferait que les agents généraux devraient percevoir la taxe sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ).

L’industrie de l’assurance conteste ce point de vue. Entre autres, les agents généraux sont parties prenantes du processus de vente des polices d’assurance. «On ne fait pas juste fournir un service de traitement de propositions. Souvent, on rencontre le client, on lui donne des conseils. On a des employés dans nos agences qui ont des permis pour exercer», explique Yan Charbonneau.

Les agents généraux conseillent également les représentants afin de traiter des dossiers nécessitant une expertise en fiscalité ou en connaissance des produits. Yan Charbonneau donne l’exemple d’un conseiller qui veut faire souscrire une police à un client atteint du diabète de type 1 : «Même s’il offre un produit simple, il y a des assureurs qui vont l’assurer et d’autres qui ne le feront pas. Certains vont surprimer, d’autres non. Chaque assureur tarifie ses dossiers de manière différente, ce qui demande une expertise.»

Négociations en cours

Malgré les négociations qui ont eu lieu entre les parties au cours des dernières années, Revenu Québec est revenu à la charge.

«En 2016-2017, on a rencontré Revenu Québec et on lui a demandé de suspendre les audits et les avis de cotisation, le temps qu’on discute avec l’Agence du revenu du Canada, indique Lyne Duhaime, vice-présidente principale de la distribution de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et présidente d’ACCAP-Québec. On a été en discussion avec eux depuis deux ans. Il y avait un dossier devant les tribunaux, qui portait sur le même sujet. On espérait qu’il y ait un jugement plus rapidement. Puis, récemment, Revenu Québec a commencé à réactiver ses dossiers au Québec.»

Au moment de mettre sous presse, des négociations avaient lieu entre l’ACCAP, CAILBA, ainsi que les autorités fiscales du Québec et du Canada. Les parties étaient ouvertes dans leurs échanges, selon Yan Charbonneau.

«Chaque partie maintient ses positions pour le moment. Ce sont de longues discussions où nous sommes accompagnés par des comptables experts», dit Lyne Duhaime.

Les différents lobbys entendent s’opposer en utilisant tous les outils à leur disposition, tant sur le plan de l’administration fiscale que des procédures judiciaires ou politiques. Lyne Duhaime préfère ne pas commenter le dossier pour éviter de nuire aux négociations et aux procédures judiciaires.

Si les agents généraux devaient se plier prospectivement aux exigences de Revenu Québec, ce serait gérable, explique Yan Charbonneau. Le coût fiscal additionnel serait probablement partagé entre les assureurs, les agents généraux et les conseillers. La facture à terme serait refilée au client, note-t-il.

«En reculant sur une période de quatre ans, [les autorités fiscales réclament] un montant astronomique, souvent l’équivalent d’au moins une année de profit d’un agent général qui est bien structuré et capitalisé. Ça peut être catastrophique», lance Yan Charbonneau.

Si Revenu Québec reste campé sur sa position et distribue des avis de cotisation en série, bon nombre les contesteront. Toutefois, la dette continue de porter intérêt jusqu’à son paiement final ou son annulation.

«Dans mon cas, il faut que je paie au moins les intérêts sur la facture totale qui est substantielle, dit Yan Charbonneau. Ça ne m’enverra pas en faillite, mais c’est un gros coût qu’on aurait et que nos concurrents ontariens n’ont pas à supporter, car l’Agence du revenu du Canada n’opère pas comme Revenu Québec. On est très défavorisé au Québec.»

Devant cette menace pour leur survie, les agents généraux risquent aussi de se tourner vers les assureurs afin de leur refiler la note ou, à tout le moins, de la partager avec eux.

Absurdité fiscale ?

MICA Cabinets de services financiers a été le premier agent général au Québec à recevoir un avis de cotisation dans ce dossier en 2016, d’après son président, Gino-Sébastian Savard.

«On a parlé à nos confrères agents généraux du reste du Canada. CAILBA et l’ACCAP s’en sont mêlés. On avait engagé un spécialiste de PwC pour nous défendre dans ce dossier. Finalement, ils [le fisc] ont laissé tomber leur avis de cotisation», raconte-t-il.

Le différend actuel connaîtra-t-il le même dénouement ? Difficile à dire. Or, une défaite des agents généraux bouleverserait l’industrie.

«Ça me donne toujours des frissons quand ils reviennent avec ce dossier, parce que [leur position] n’a pas de bon sens. Il faudrait que les assureurs changent complètement la façon de nous payer», dit Gino-Sébastian Savard.

Selon lui, les autorités fiscales et les ministères des Finances du Québec et du Canada semblent souffrir du syndrome de la main gauche qui ne parle pas à la main droite. «D’un côté, on est considéré comme des institutions financières et on paie des taxes en conséquence. D’un autre, il y en a qui disent qu’on ne procure pas de services financiers et [qu’]on donne du service administratif taxable. On dirait qu’ils ne se comprennent pas eux-mêmes», indique le président de MICA.

Il considère que ce risque fiscal menace la survie des agents généraux et appelle donc les gouvernements à collaborer avec l’industrie afin d’instaurer des règles claires et prévisibles pour celle-ci. «Ne brisez pas ce qui fonctionne», lance-t-il.