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Le bras de fer fiscal entre l’industrie financière et Revenu Québec (RQ) concernant le partage de commissions continue de susciter chez la première une incertitude accrue.

En 2020 et 2021, RQ a émis des avis de cotisation à plusieurs représentants ayant effectué un partage, car il ne reconnaît pas la validité dudit partage, selon le mémoire du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) remis aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) dans le cadre de leur consultation sur la création d’un nouvel organisme d’autoréglementation pancanadien.

Selon le CFIQ, cette position de RQ est contraire aux dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) du Québec. Celle-ci a été modifiée afin de prévoir la possibilité pour un inscrit dans la discipline de l’épargne collective de partager ses commissions avec un cabinet inscrit sous la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).

« Ces avis de cotisation, parfois pour des montants importants, menacent la continuation même des activités professionnelles de ces représentants qui ont pourtant agi de bonne foi et à l’intérieur des paramètres de la LVM », mentionne le mémoire du CFIQ.

Dans ce document, on apprend que le lobby a tenu une rencontre de clarification avec RQ en juin dernier afin de soulever les incohérences de la situation.

« À leurs yeux, le partage de commissions d’un représentant en épargne collective avec un cabinet en assurance n’est pas valide, puisque ce n’est pas le cabinet qui a rendu le service », écrit le CFIQ à propos de l’avis de RQ.

Lors de cette rencontre, le CFIQ a demandé des éclaircissements par rapport à la lettre d’interprétation 18-043 523-001. Cette lettre semblait indiquer qu’un partage était possible si la proportion des commissions correspondait au niveau de services, selon l’interprétation du CFIQ.

Cette lettre mentionne « qu’il est possible qu’un représentant de courtier en épargne collective puisse recevoir dans le cadre de l’exercice de son entreprise divers services d’une société dont il est l’unique actionnaire et administrateur. Ainsi, dans la mesure où des services sont réellement rendus par cette société au représentant de courtier en épargne collective, des honoraires raisonnables peuvent être versés à ladite société […] [et]déduits dans le calcul du revenu du représentant de courtier en épargne collective. »

Or, la même lettre souligne aussi que « c’est le représentant de courtier en épargne collective qui a droit au revenu pour les services rendus en lien avec la vente de produits en épargne collective, et non le cabinet [en assurance de personnes dont il est l’unique actionnaire]. »

« RQ a clarifié verbalement au CFIQ que le cabinet peut recevoir des honoraires de la part du représentant, mais seulement une fois que le représentant a déclaré toutes ses commissions comme revenus personnels. Ces honoraires payés au cabinet seraient de même nature que des honoraires payés pour d’autres services », apprend-on dans le mémoire du CFIQ.

« Un conflit existe entre l’interprétation que RQ fait de la Loi sur les impôts, d’une part, et la volonté du législateur lorsqu’il a adopté le projet de loi 141 qui amendait la LVM. Par conséquent, le bénéfice que le législateur voulait accorder aux représentants en épargne collective en permettant le partage des commissions en modifiant la LVM n’est plus une option valable », poursuit le CFIQ. Ce groupe réclame qu’on accorde aux représentants en épargne collective la possibilité d’incorporer leurs activités.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) confirme que le partage de commissions est encadré par l’article 160.1.1 de la LVM (LVM) adopté en 2018, lequel prévoit avec quelles entités le courtier en épargne collective peut partager les commissions qu’il reçoit. Le courtier a droit de le faire, entre autres, avec un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome régie par la LDPSF, comme un cabinet en assurance de personnes.

Le régulateur ne s’immisce pas dans le débat. « Le droit fiscal et le droit des valeurs mobilières sont des domaines de droit distincts. L’interprétation des lois fiscales relève de la compétence exclusive des autorités fiscales. L’Autorité ne peut donc pas se prononcer sur des questions qui ne relèvent pas de sa compétence », écrit Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’AMF, dans un courriel.

Martin Croteau, porte-parole, de Revenu Québec, a répondu en partie à nos demandes d’éclaircissement. « La validité sur le plan fiscal du partage des commissions que reçoivent un représentant en produits financiers et un cabinet de courtage est essentiellement une question mixte de droit et de fait. Pour y répondre, il est nécessaire entre autres d’identifier la personne qui exploite l’entreprise de vente de produits financiers, notamment eu égard à la législation particulière applicable en matière de distribution de produits financiers, et d’examiner les ententes conclues entre les parties », écrit-il dans un courriel.

Collant à la lettre d’interprétation de RQ, il ajoute que la législation fiscale ne comporte pas de règles sur la validité du partage de commissions ni de limites particulières pour un tel partage: « Pour être reconnu sur le plan fiscal, le partage des commissions gagnées par un représentant avec une autre personne, dont un cabinet, doit correspondre à une rémunération gagnée par cette autre personne pour des services qu’elle a réellement rendus au représentant. »

« Nous ne pouvons affirmer qu’un tel partage est d’emblée reconnu dès qu’il s’opère entre un tel représentant et un cabinet », note-t-il.

Selon une source de l’industrie, le principal problème reste qu’un représentant en épargne collective n’a pas le droit de se constituer en société (« s’incorporer »), que le partage soit permis ou non. En demandant que le représentant déclare toutes ses commissions comme revenus personnels, Revenu Québec s’assurerait ainsi de repérer les situations de partage de commissions. En effet, le courtier devrait émettre des feuillets fiscaux (T4A et Relevé 1) aux représentants. Ce serait d’ailleurs de cette manière que RQ aurait identifié des représentants ayant reçu un avis de cotisation, selon cette source.

D’après une autre personne au fait du dossier, Revenu Québec voudrait que l’échange de services rendus entre la société d’un conseiller en sécurité financière et un représentant en épargne collective soit un échange de services taxable. Finance et Investissement a demandé à RQ son avis sur la question.

« Quant à l’application de la TPS/TVQ, une analyse au cas par cas est nécessaire afin de déterminer quels sont les services rendus. Lorsqu’il s’agit de la vente d’assurance, la TPS et la TVQ ne s’appliquent généralement pas à la contrepartie. Lorsqu’il s’agit plutôt du référencement d’un client, la TPS et la TVQ s’appliquent généralement à la contrepartie », répond Martin Croteau.

Sujet chaud

Le partage de commissions crée une incertitude fiscale depuis de nombreuses années. Selon une troisième source de l’industrie, des conseillers se sont résolus à acquitter une facture fiscale surprise après que RQ eut examiné leurs trois dernières années financières.

Au fil des ans, Finance et Investissement s’est entretenu avec différents spécialistes du dossier qui confirment que le partage de commissions varie d’un courtier à l’autre. Certains le prohibent, ce qui nuit parfois à leur recrutement de conseillers. D’autres firmes le permettent, mais émettent un T4A au représentant en épargne collective, même s’il y a eu partage avec un cabinet. Cette situation les met sous les projecteurs de RQ et accroît leur risque de recevoir un avis de cotisation.

Des firmes émettent à la fois un feuillet fiscal à l’individu et un autre au cabinet constitué en société suivant les montants versés à chacun. D’autres courtiers n’émettent aucun feuillet fiscal et fournissent au représentant ainsi qu’au cabinet les informations afin de préparer leurs déclarations de revenus respectives.

Chose certaine, depuis belle lurette, bon nombre de courtiers préviennent leurs représentants des risques fiscaux du partage de commissions. Chez certains courtiers, bon nombre de représentants ont cessé ce partage depuis 2020 ou 2021 en raison de la récente vague d’avis de cotisation. Dans certaines firmes, le partage aurait encore lieu et on chercherait une manière de le légitimer.

Dans sa dernière mise à jour en fiscalité, le Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF) traite de ce sujet avec prudence. « Le sujet est parfaitement bouillant. Comment ça va finir ? Je ne le sais pas. Il y a toutes sortes d’arguments qui vont dans toutes les directions », dit Yves Chartrand, fiscaliste au CQFF.

Un litige fiscal pourrait peut-être découler de l’envoi des récents avis de cotisation et connaître éventuellement une issue devant un tribunal.