Crédit: Louis-Charles Dumais

Luc Godbout est devenu au fil du temps une figure incontournable en matière de fiscalité publique.

Depuis 17 ans, il est au coeur des activités de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Il en est le chercheur principal depuis sa fondation, en 2003, et son titulaire depuis 2015.

«Luc Godbout est le plus grand chercheur québécois contemporain en fiscalité», témoigne le professeur émérite Pierre Fortin, du Département des sciences économiques de l’ESG UQAM.

«Il combine une détermination sans faille à comprendre comment le monde fonctionne, et un engagement tout aussi ferme à l’expliquer en langage clair et simple. Avec lui, jamais de fake news, que la vérité des faits», ajoute Pierre Fortin.

Luc Godbout a notamment fait partie du comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois chargé de faire des recommandations au gouvernement du Québec. Celles-ci ont été publiées en 2013 dans le rapport D’Amours, du nom du président du comité, Alban D’Amours.

Il a aussi présidé, en 2015, la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, dont les recommandations sont connues sous le patronyme de «rapport Godbout».

Plusieurs de ces recommandations ont été mises en oeuvre. C’est le cas de la majoration du montant personnel de base afin d’élever le seuil de revenus à partir duquel l’impôt s’applique. Notons aussi la création d’un bouclier fiscal. Il s’agit d’un crédit d’impôt remboursable qui permet de compenser en partie la perte de certains crédits d’impôt touchés par l’augmentation des revenus de travail.

La Commission a également conduit à l’élimination de la contribution santé. «Elle n’était pas liée à l’utilisation des services de santé ou à la capacité de payer des contribuables. Il s’agissait d’un montant forfaitaire sans rapport avec l’évolution des dépenses, c’est pourquoi on a suggéré de la supprimer», explique Luc Godbout.

«La Commission d’examen sur la fiscalité n’a pas encore atteint son plein potentiel, mais plusieurs recommandations restent dans l’air du temps», estime Luc Godbout, en référence aux déficits publics découlant de la crise de la COVID-19.

À cet égard, il évoque la proposition de réviser l’imposition des gains en capital, une mesure dont la mise en oeuvre dans le système canadien exige une synchronisation.

«Lorsque nous avons proposé cette mesure, nous savions que si le Québec est la seule province dont le taux est différent, les planificateurs financiers et les fiscalistes allaient faire en sorte que le gain soit réalisé à l’extérieur du Québec. Mais dans la situation actuelle, si le gouvernement fédéral envisageait de revoir le taux d’inclusion et que l’ensemble des provinces s’harmonisaient, ça donnerait des recettes à la fois au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux», illustre-t-il.

Évolution encourageante

Selon Luc Godbout, le mandat confié à la Commission d’examen sur la fiscalité était vaste et le premier ministre du Québec de l’époque avait en tête une réforme de la fiscalité, qui a finalement été écartée.

Selon lui, le principal frein aux recommandations a été la difficulté politique de leur mise en oeuvre, et non leur qualité, car le consensus dans le milieu universitaire et même éditorial était assez favorable aux propos de la Commission. «Carlos Leitão, alors ministre des Finances, était lui aussi un très grand supporteur de la réforme proposée», ajoute Luc Godbout.

Il demeure toutefois optimiste et juge que les choses évoluent dans le bon sens, même si parfois cela prend du temps. Il en veut pour preuve le dépôt à l’Assemblée nationale, le 7 octobre dernier, du projet de loi no 68 qui vise principalement à permettre la mise en place de régimes de retraite à prestations cibles (RRPC).

Ce projet de loi s’inspire du Rapport D’Amours. Celui-ci a généré «un certain nombre de changements dans la fiscalité ou les régimes publics de retraite à la suite de sa publication en 2013, et là, sept ans plus tard, il laisse encore sa marque avec les régimes à prestations cibles», constate Luc Godbout.

Les experts réunis autour d’Alban D’Amours étaient aussi d’avis – et c’est toujours le cas, estime Luc Godbout – qu’il est important de briser cette idée que la pension de la Sécurité de la vieillesse et celle du Régime de rentes du Québec doivent être réclamées le plus tôt possible.

«Les conseillers et les planificateurs financiers l’ont compris. Ils l’indiquent à leurs clients lorsque c’est approprié. Retarder le moment de les réclamer en décaissant son REER au moment de sa retraite jusqu’à l’âge de 70 ans, par exemple, permet de majorer la valeur de ses rentes et de se prémunir contre le risque de longévité.»

Luc Godbout déplore que les gens soient souvent démunis face à leurs finances personnelles. «Les gens devraient avoir des connaissances qui leur permettent de comprendre les effets de leurs gestes sur leur autonomie financière à terme, mais ils maîtrisent mal cette réalité.»

Un conseiller peut aider face à ces difficultés. C’est pourquoi l’une de ses étudiantes évalue l’impact d’un crédit d’impôt lié à en consulter un. «Est-ce que la meilleure solution serait le crédit d’impôt ou le financement d’associations communautaires capables de faire de la formation ? Tous les gestes posés peuvent avoir une valeur positive. Toutefois, il faudrait voir comment on peut avoir le maximum d’impact», dit-il.

Expériences formatrices

Curieusement, l’intérêt de Luc Godbout pour les questions fiscales s’est développé tardivement. Fils d’ouvrier, le Montréalais d’origine a amorcé un programme de trois ans en comptabilité au Collège de Rosemont, car il n’était pas décidé à se diriger ensuite vers l’université.

Il a finalement continué son cheminement à l’Université du Québec à Montréal au baccalauréat en économique. Dès les premiers jours, un de ses collègues de cursus lui a confié qu’il visait à obtenir une maîtrise en fiscalité plutôt qu’en économie. L’idée a fait son chemin dans l’esprit de Luc Godbout.

«Cela a piqué ma curiosité.» Au point qu’il a décroché son diplôme de maîtrise en fiscalité de l’Université de Sherbrooke en 1994. Il a ensuite travaillé comme fiscaliste jusqu’en 1998 auprès de différents cabinets comptables, mais sans grande passion.

«De par ma formation en économie, ma perspective est davantage macro : l’effet sur les finances publiques me parle davantage que celui sur une planification fiscale pour les individus. Mais en 1994, la fonction publique, aussi bien à Ottawa qu’à Québec, était davantage marquée par les compressions que par les embauches», dit-il pour expliquer son début de carrière.

Le hasard lui a néanmoins permis de nourrir son appétit pour l’analyse et les réformes fiscales. En 1998, Luc Godbout a travaillé trois ans dans le cadre d’un projet de réforme de la fiscalité du Mali, financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI), dont deux ans sur place, en Afrique.

Cette expérience l’a marqué, estime Luc Godbout. «Non seulement j’ai rencontré là-bas une Québécoise qui est ensuite devenue ma conjointe, mais c’est là, dans le concret, que j’ai pu vraiment développer des idées en matière de réformes fiscales», raconte-t-il.

Il est de retour au Québec en 2001. Son expérience lui a permis d’obtenir d’abord un poste au secrétariat de la Commission sur le déséquilibre fiscal créée par le gouvernement du Québec.

Puis, il fait son entrée comme chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, où il est toujours. Il est devenu tour à tour professeur adjoint au Département de fiscalité dès 2004, professeur agrégé en 2007, professeur titulaire en 2010, et directeur du Département de fiscalité de 2013 à 2018.

En 2003, Luc Godbout a été nommé chercheur principal de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, alors nouvellement créée.

Il fait par ailleurs en 2004 son doctorat en droit public, à l’Université d’Aix-Marseille III. Sa thèse obtient la mention «très honorable» et les félicitations du jury, et lui vaut le Prix Bercy de la Société française de Finances publiques.

Luc Godbout partage ainsi son temps entre l’Université de Sherbrooke et la Chaire de recherche qu’il dirige, sa participation à titre d’expert à des groupes de travail gouvernementaux ou privés, et son implication dans des missions d’assistance technique en politique fiscale à l’international.

«Luc Godbout est tenu en haute considération à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), au Fonds monétaire international (FMI) et à l’ACDI. Ils l’ont dépêché en Haïti et dans huit pays d’Afrique afin d’appuyer leurs réformes fiscales», signale Pierre Fortin.

«J’adore ça, confirme Luc Godbout. Je pars une fois par année en mission dans un pays pour essayer de faire un diagnostic de la fiscalité.» N’eût été la COVID-19, il serait allé à Madagascar en mai dernier.

Dépenser intelligemment

Au sujet de la pandémie, il juge «normal» que le gouvernement fédéral réalise d’importants déficits. «Il intervient avec différents programmes [destinés aux sans-emplois], et tant qu’il s’agit de programmes temporaires, ça va bien.»

Or, il se questionne quant à l’impact, sur les finances publiques, de certaines volontés du gouvernement. Lors de la présentation du discours du Trône, le 23 septembre, le gouvernement Trudeau a émis le souhait de mettre en place un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada, un régime national universel d’assurance médicaments, et d’augmenter la pension de la Sécurité de la vieillesse lorsqu’une personne atteint 75 ans et la prestation de survivant du Régime de pensions du Canada.

Ces trois initiatives peuvent être de bonnes idées, croit Luc Godbout, mais il s’agit de mesures permanentes : «Si on veut plus de services publics, ça va prendre plus d’impôts ou de taxes pour les financer. Comme on utilise déjà beaucoup l’impôt sur le revenu, il faudra se tourner vers d’autres sources, par exemple des cotisations sociales ou une taxe de vente majorée, car la nôtre est moins élevée qu’ailleurs dans le monde.»

La bonne nouvelle est que le gouvernement fédéral s’inspirerait de l’expérience québécoise pour la mise en place de services de garde à contribution réduite. Cette expérience a démontré que ces services ont augmenté l’emploi de 70 000 mères en 2008 et que les recettes fiscales ainsi générées ont été rentables à la fois pour Québec et pour Ottawa, d’après une étude de 2012 menée par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques.

Si l’on veut contribuer à réduire davantage les inégalités sociales, Luc Godbout juge que la «fiscalité est un outil puissant, mais pas très adapté pour des gestes chirurgicaux».

«Alors peut-être devrait-on moins se casser la tête sur la façon dont on prélève les recettes fiscales, et les prélever, car c’est dans la manière dont elles seront utilisées que l’on réduira davantage les inégalités.»

Selon lui, s’il est normal que le gouvernement fédéral fasse des déficits dans la période actuelle, «il faut cependant garder le cap sur notre ancrage budgétaire, se donner des cibles et savoir quand on prévoit retrouver notre équilibre et ramener notre ratio d’endettement à un niveau plus acceptable».

Il s’agit d’ailleurs du défi qui attend Chrystia Freeland, la nouvelle ministre des Finances du Canada. Lorsqu’elle déposera son budget, «on risque d’y trouver des sommes pour un plan de relance économique, ce qui va aggraver le déficit budgétaire, et c’est correct».

En parallèle, «il ne faudrait pas qu’une agence de notation pense que le Canada a perdu le contrôle de ses finances publiques. Il sera important de montrer que, bien sûr, d’un côté on dépense beaucoup, mais que de l’autre, on est rigoureux», dit Luc Godbout. Le gouvernement devra donc établir clairement son objectif et l’échéancier pour l’atteindre.