Un juge qui s'apprête à frapper son marteau.
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Lorsqu’un avocat recommande des placements à son client, il peut être tenu solidairement responsable des pertes subies par ce dernier s’il n’a pas agi avec diligence et loyauté, a récemment déterminé la Cour suprême du Canada.

Les faits

Dans l’affaire Salomon c Matte-Thompson1, un avocat, Me Kenneth Salomon, a recommandé sa cliente de longue date Judith Matte-Thompson à son ami Themis Papadopoulos, dirigeant de la société de gestion de capital Triglobal inc.

À la suite des conseils de son avocat, Judith Matte-Thompson a investi plusieurs millions de dollars de ses économies personnelles et des fonds de son entreprise auprès de la société de gestion de Themis Papadopoulos, soit plus de 7,5 M$ de 2003 à 2007.

Au cours des années suivantes, lorsque sa cliente a exprimé des préoccupations au sujet des placements, Me Salomon l’a rassurée à maintes reprises et lui a indiqué qu’il avait une confiance totale en son ami et dans les placements.

Lorsque la cliente a demandé le rachat de ses placements, elle a découvert que les avoirs de l’entreprise ont été gelés et que Themis Papadopoulos a disparu avec son argent et celui de plus de 100 autres investisseurs.

La décision de la Cour suprême du Canada

Dans un jugement de 40 pages, huit juges sur les neuf de la Cour suprême du Canada retiennent les conclusions de la Cour d’appel au sujet de l’imputabilité professionnelle de Me Salomon et de son cabinet, et maintiennent leur condamnation solidaire à plus de 7 M$.

La Cour suprême a souligné les manquements suivants :

L’avocat a manqué à son devoir de conseiller sa cliente en continuant d’encourager Judith Matte-Thompson à investir auprès de Triglobal malgré le fait que les investissements n’étaient pas conformes aux objectifs de la cliente ;

L’avocat ne s’est pas informé des investissements qu’il recommandait et a donc eu tort d’affirmer à sa cliente que les investissements étaient sûrs ; et

L’avocat a manqué à son devoir de loyauté en recommandant continuellement les services financiers d’un ami proche, se plaçant ainsi en situation de conflit d’intérêts.

Dans son jugement, le juge Gascon mentionne qu’une recommandation ne constitue pas une garantie des services rendus par le professionnel recommandé, mais qu’il ne s’agit pas non plus d’une protection contre la responsabilité pour des actes fautifs commis par l’avocat référent.

La Cour suprême a rejeté la défense de novus actus interveniens qui s’applique lorsque :

un événement imprévisible se produit et rompt complètement la chaîne de causalité entre la négligence du défendeur et le préjudice subi par le demandeur ; et

il existe un lien de causalité entre le nouvel événement et le préjudice subi par le demandeur.

En l’espèce, la fraude n’a pas rompu la chaîne de causalité : les manquements de l’avocat ont directement contribué au préjudice subi par la cliente.

Ce jugement rappelle aux professionnels l’importance de toujours agir dans l’intérêt supérieur de leurs clients ainsi que d’éviter d’offrir des conseils qui excèdent les limites de leur mandat.

1. 2019 CSC 14

*Julie-Martine Loranger, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., avec la participation de Dominique Paiement, stagiaire

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.