Un homme d'affaires à son bureau tapant sur une calculatrice.
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Vous connaissez sans doute une règle courante de «perte apparente» qui fait qu’une perte en capital est refusée lorsqu’on vend un titre à perte et qu’on le rachète avant 30 jours. Cette règle sert à éviter les abus, quand une personne déclenche une perte fiscale qui n’en est pas vraiment une. Mais connaissez-vous les détails de cette règle ?

En fait, plusieurs de ces règles touchent les pertes en capital lors de transferts entre «personnes affiliées».

Il ne faut pas confondre les «personnes liées» avec les personnes affiliées. Les personnes liées sont les ascendants, les descendants, les frères et les soeurs et tous leurs conjoints (pensez à une croix), ainsi que le conjoint et sa propre «croix». On peut aussi être lié à une société lorsqu’on la contrôle.

Les personnes affiliées sont moins nombreuses, lorsqu’on parle d’humains, car il ne s’agit que du conjoint. On retrouve la définition de personnes affiliées à l’article 251.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR). À noter que les enfants d’un individu ne sont pas des personnes affiliées à ce dernier. Comme la notion de personnes affiliées est importante dans le cas de transactions à perte, une personne est également affiliée à elle-même. D’où la règle plus connue.

De plus, une société est affiliée à une personne qui la contrôle ou à une personne affiliée à cette dernière. Finalement, une personne bénéficiaire d’une fiducie est affiliée à cette fiducie si elle détient une participation majoritaire. Cela comprend donc toutes les fiducies du genre REER, FERR, CELI, REEI (régime enregistré d’épargne-invalidité) ainsi que les fiducies discrétionnaires. La même notion de participation majoritaire s’applique dans le cas d’une société de personnes.

Règles générales

Voici quelques principes généraux.

Lorsqu’une personne dispose d’un bien en faveur d’une personne affiliée et qu’une perte en capital est déclenchée, celle-ci sera réputée nulle si le même bien ou un bien identique est acquis par la personne (ou une personne affiliée à cette dernière) dans une période débutant 30 jours avant la disposition et se terminant 30 jours après. À la fin de cette dernière période de 30 jours, la personne ou une personne qui lui est affiliée est (ou a le droit de devenir) propriétaire du bien.

Si c’est un individu qui a disposé du bien, la perte (réputée nulle pour la personne) s’ajoute au produit de base rajusté (PBR) de l’acquéreur. Si ce n’est pas un individu qui a disposé du bien, la perte est généralement maintenue dans l’entité jusqu’à ce que le bien soit revendu par l’acquéreur à une personne non affiliée.

Si seulement une partie des biens est acquise dans le délai indiqué, un calcul proportionnel doit être fait pour la proportion de la perte réputée nulle. Cette dernière règle est une position administrative de l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui aurait aussi bien pu opter pour une règle du genre «premier entré, premier sorti». Toutefois, une telle règle aurait été difficilement applicable, voire impossible à appliquer dans bien des cas.

S’il s’agit d’une perte finale (disposition d’un bien amortissable d’une valeur moindre que sa fraction non amortie du coût en capital – FNACC), la perte est conservée par le vendeur sous forme d’un bien fictif qui peut être amorti au même taux, sans limites de montant. L’acquéreur voit son bien hériter des mêmes paramètres que ceux qu’il avait juste avant la vente.

À noter que le concept de perte apparente ne s’applique pas dans certaines situations, dont les suivantes :

Lors d’un changement d’usage du bien ;

Lors de la disposition résultant de la cessation de résidence au Canada ;

Lors de la disposition réputée au décès ;

Lors d’une acquisition de contrôle d’une société ;

Lors d’une liquidation d’une société en vertu du paragraphe 88(2) de la LIR ;

Lors de l’application du paragraphe 164(6) de la LIR.

Ça semble peut-être un peu lourd, mais quelques exemples suffisent pour comprendre que ce n’est pas sorcier.

Pertes refusées

Voici quelques exemples de situations où les pertes sont refusées.

Un transfert en bien d’un actif pour une cotisation au REER ou au CELI. Rappelons que le transfert d’un bien dans une fiducie, sauf exception, ne peut se faire sous forme de roulement. Il y a donc disposition réputée. Comme un particulier est affilié à son REER et à son CELI, s’il y a perte, elle sera réputée nulle dans tous les cas si, évidemment, le rachat a lieu dans le délai prescrit.

Si une personne vend, à perte, un titre ou un fonds commun de placement avant de faire une cotisation dans son REER ou son CELI, la perte sera réputée nulle si le même titre ou le même fonds est racheté dans les 30 jours de la vente. Il en va de même si le conjoint, pour son propre REER ou CELI, fait l’achat du même titre ou fonds.

Un actionnaire qui transfère des titres à une société qu’il contrôle pourra être assujetti aux dispositions sur les pertes apparentes.

Un exemple

Prenons maintenant un exemple chiffré pour bien ancrer le principe.

Disons que Paul acquiert 10 000 actions d’ABC inc. le 1er juin 2018 au prix de 10 $ l’action, soit un total de 100 000 $ pour le PBR de celles-ci. Le 1er juin 2019, Paul vend toutes ses actions à un prix de 9 $, soit 90 000 $. Il réalise ainsi une perte en capital de 10 000 $. Si Paul ne faisait rien d’autre, il pourrait déclarer une perte en capital de 10 000 $ dans sa déclaration de revenus de 2019. S’il n’avait pas au moins 10 000 $ de gains en capital pour cette année, il devrait les reporter dans les trois dernières années ou les garder en réserve pour le futur.

Cela dit, Paul décide, le 20 juin 2019, soit 19 jours après la vente, de racheter 4 000 actions d’ABC inc. au prix de 9,25 $ l’action, soit un total de 37 000 $. Le 28 juin, il vend 3 000 de ces 4 000 actions (les trois quarts) au prix de 9,20 $ l’action, soit pour un montant de 27 600 $. Finalement, le 15 juillet, il vend les 1 000 actions restantes pour 10 $ l’action, soit pour un montant de 10 000 $.

La méthode de calcul

Comment traitera-t-on ces transactions ?

D’abord, comme Paul a racheté des actions 19 jours après avoir disposé d’actions identiques, les règles de perte apparente s’appliquent. Mais comme il n’a pas racheté autant d’actions qu’il en a vendues, une règle de proportionnalité s’applique. En fait, la formule utilisée par l’ARC est la suivante :

Perte apparente = Minimum (A, B, C)/A × P

Dans cette formule :

A : nombre d’actions ayant fait l’objet d’une disposition.

B : nombre d’actions acquises dans la période allant de 30 jours avant la disposition à 30 jours après celle-ci.

C : nombre d’actions

détenues 30 jours après la disposition.

P : perte en capital en

l’absence des règles de perte apparente.

En appliquant cette formule pour la transaction du 1er juin, on obtient :

A = 10 000 (Paul a vendu 10 000 actions).

B = 4 000 (il a racheté 4 000 actions le 20 juin, 19 jours après les avoir vendues).

C = 1 000 (le 1er juillet, 30 jours

après la vente, il détient

1 000 actions après en avoir vendu 3 000).

P = 10 000 $ (il a vendu

10 000 actions à 9 $ qu’il avait

payées 10 $).

Le minimum de A, B et C est donc C (soit 1 000). La perte refusée sera ainsi de 10 % (1 000/10 000) de 10 000 $, soit 1 000 $. Le montant de perte admissible est donc de 9 000 $ pour la transaction du 1er juin.

Le 20 juin, comme il a payé 37 000 $ pour son deuxième achat, le PBR de ces nouvelles actions sera de 38 000 $, car les 1 000 $ de perte refusée au 1er juin viendront s’ajouter au prix payé lors de cet achat.

Le 28 juin, lorsqu’il vend les 3 000 actions (sur 4 000 qu’il détient à ce moment) à 27 600 $, il réalise une perte en capital de 900 $, car le PBR des actions vendues est de 28 500 $ (soit les trois quarts de 38 000 $). S’agit-il d’une perte apparente ?

On recommence le calcul pour cette deuxième transaction du 28 juin avec :

A = 3 000 (Paul a vendu

3 000 actions le 28 juin).

B = 4 000 (il avait acheté

4 000 actions le 20 juin, 8 jours avant de les avoir vendues le 28 juin).

C = 0 (il a vendu toutes ses actions le 15 juillet, il ne lui restait donc plus d’actions dans le délai de 30 jours après la disposition).

P = 900.

Comme C = 0, la perte ne sera pas refusée. Cela implique que le PBR des actions de la dernière transaction ne sera pas touché. Après la vente des 3 000 actions, Paul détenait encore le quart des actions dont le PBR était de 38 000 $ pour 4 000 actions, soit 9 500 $. Le produit de disposition de 10 000 $ des dernières actions génère donc un gain en capital de 500 $.

Au total de ces trois transactions, Paul pourra déclarer un gain en capital de 500 $ et une perte en capital de 500 $ venant réduire son gain en capital net à zéro.

De plus, comme le total de ses pertes en capital pour les deux premières transactions est de 9 900 $, soit 9 000 $ pour la première vente et 900 $ pour la deuxième, il pourra reporter 9 400 $ de perte en capital au cours des années 2016 à 2018 ou conserver ces pertes pour les appliquer contre des gains en capital ultérieurs.

À retenir

Voilà. Je pense que la formule utilisée par l’ARC est une bonne aide pour retenir les différentes règles. On comprend que les biens qui ont été achetés avant et après la transaction (lettre B) ont une influence sur la perte refusée. On comprend aussi qu’il faut être encore propriétaire des biens 30 jours après la transaction (lettre C) pour être touché par ces règles.

Il ne faut simplement pas oublier que ces règles s’appliquent non seulement aux personnes affiliées à elles-mêmes, mais également aux autres personnes affiliées, telles que le conjoint, une société ou une fiducie.

* Directeur planification financière et optimisation fiscale, SFL Expertise