Or, pour continuer de générer des rendements intéressants pour leurs clients, ces gestionnaires ont accru leur pondération en titres plus risqués et moins liquides, s’exposant davantage au risque de défaut de l’émetteur. Le défi actuel demeure de bien se positionner.

«Les taux devraient se normaliser, mais on ne sait plus avec certitude si ce sera en 2015, en 2016 ou en 2017, affirme Sébastien Rhéaume, chef des investissements chez AlphaFixe Capital, une firme montréalaise spécialisée en titres à revenu fixe. Avec des rendements des titres du gouvernement du Canada qui oscillent autour de 0,75 % dans le terme de cinq ans et une duration de 4,5 années, le [ratio] risque/rendement n’est pas très attrayant actuellement.»

Selon une estimation, cependant acceptée comme une convention dans les marchés, pour chaque point de pourcentage (1 %) de hausse des taux d’intérêt, un portefeuille obligataire réalise une perte équivalente à sa duration. Et plus les taux sont bas, plus la duration des titres augmente. Dans le cas d’une obligation zéro-coupon, par exemple, la duration sera égale à l’échéance de l’obligation.

«Depuis 1992, le marché obligataire a très bien performé et plusieurs pensent que c’est une catégorie d’actif qui risque peu de perdre. Aujourd’hui, la duration est tellement importante par rapport au rendement que si les taux montent de 1 point de pourcentage, les investisseurs perdront non seulement le coupon, mais également du capital», ajoute Bruno Di Battista, l’ancien vice-président, développement des affaires d’AlphaFixe Capital. «Je dois me demander de combien les taux doivent augmenter pour gruger entièrement mon rendement», explique Sébastien Rhéaume. Par exemple, en réduisant la duration d’un portefeuille obligataire de 5 à 2 ans, si les taux montent de 100 points de base, on perdra 2 % plutôt que 5 %. En revanche, une obligation d’une durée de deux ans aura aussi un rendement à l’échéance inférieur.

On peut également désensibiliser un portefeuille face à une éventuelle remontée des taux d’intérêt en achetant un fonds d’obligations échelonnées 1-5 ans (Laddered ETF). Ce type de FNB permet de répartir dans le temps les montants à réinvestir, puisque chaque année, les obligations qui ont une échéance de un an sont réinvesties dans le terme de cinq ans. L’échéance moyenne d’un tel fonds est assez courte, soit inférieure à trois ans.

Cette stratégie permet de mieux gérer le risque de réinvestissement, puisqu’on allonge chaque année le portefeuille en rachetant des obligations à des taux d’intérêt qu’on anticipe plus élevés. «Il n’y a pas beaucoup de différences entre un FNB courte duration (de 1 à 5 ans) et un FNB échelonné 1-5 ans. La duration est très similaire, bien qu’elle soit peut-être plus prévisible dans le cas du FNB échelonné puisque les périodes d’échéance sont constantes», remarque Ian Gascon, président de Placements Idema.

Ce dernier croit qu’il est difficile de prévoir la direction des taux d’intérêt à court et moyen terme. «Il vaut mieux alors investir en diversifiant ses avoirs dans différents instruments financiers qui seront peu corrélés et qui réagiront différemment selon plusieurs scénarios. En raccourcissant la duration d’un portefeuille parce qu’on anticipe des hausses de taux, on change la structure des portefeuilles et on perd l’effet de diversification», précise-t-il.

Gérer le risque de crédit

Il est possible de bonifier le rendement du portefeuille en ajoutant des titres qui ont un risque de crédit supérieur, afin d’avoir une plus grande protection si les taux montent. Pour distinguer le risque de crédit du risque lié au taux d’intérêt, on peut comparer le meilleur crédit du Canada, soit le taux des obligations gouvernementales, et les taux des obligations à rendements élevés, l’autre extrémité du spectre en matière de risque de crédit.

«L’indice de référence Bank of America Merrill Lynch US High Yield, dont le rendement moyen à l’échéance est de 6,6 % actuellement, a une duration de 4,4 ans. La duration est donc semblable à celle d’une obligation gouvernementale canadienne de 5 ans (d’une durée de 4,5 ans), bien que l’indice génère un rendement supérieur de presque 6 %. Si les taux grimpent de 1 point de pourcentage dans les 12 prochains mois, le prix des obligations sous-jacentes diminuera de 4,4 %, mais j’aurai réalisé un rendement net de 6,6 % – 4,4 %, soit + 2,2 %», illustre Sébastien Rhéaume.

Toutefois, plus de rendement signifie aussi un risque de défaut de paiement plus important s’il survenait une récession ou un ralentissement.

Depuis 2013, il existe aux États-Unis un engouement pour les fonds de prêts bancaires prioritaires (senior loan ETF). Cet instrument est perçu comme une solution de rechange aux obligations à rendement élevé, puisqu’il combine du risque de crédit généralement coté BB+ ou moins par Standard & Poors avec des taux variables. On ajoutera une prime fixe à ce taux de base variable, souvent le taux LIBOR (London Interbank Offered Rate). L’indice Credit Suisse Leveraged Loan affiche depuis trois ans un rendement annualisé de 5,2 % (donnée au 31 janvier 2015).

«Si je suis convaincu que les taux vont monter bientôt et rapidement, je voudrai des obligations à taux variable», dit Sébastien Rhéaume. Le coupon s’ajustera à la hausse comme à la baisse aux mouvements des taux à court terme, permettant donc de réduire la sensibilité d’un portefeuille à la variation des taux.

Timothy Strauts, analyste et chercheur chez Morningstar, notait en 2013 que les prêts bancaires sont des titres qui occupent un rang supérieur dans la structure du capital. «Ils sont garantis par des biens comme de l’équipement, de l’immobilier ou des sommes à recouvrer. Les prêts bancaires sont souvent considérés comme plus sécuritaires que les obligations à rendement élevé traditionnelles.»

Par ailleurs, l’échéance de ces prêts à taux variable est généralement de cinq à sept ans, bien qu’ils soient rachetables au pair en tout temps par les émetteurs. Quant au taux moyen de défaut, il oscille autour de 3 %. Notons que dans le cas d’un défaut d’un prêt bancaire, on risque de récupérer une valeur nominale qui oscille autour de 80 cents par dollar, par rapport à 40 cents pour les émissions d’obligations à rendement élevé, disent les spécialistes.

«Même si les prêts bancaires sont des titres garantis par des actifs, ils résisteront plutôt mal lors d’une crise financière, comme cela a été le cas en 2008, perdant de 10 % à 15 %, parfois plus», note Ian Gascon. Ils comportent également du risque de crédit et de liquidité. La corrélation avec le marché des actions sera aussi plus grande que pour des obligations gouvernementales, par exemple.

Au Canada, il existe peu de FNB de prêts bancaires. PowerShares (BKL), First Trust Canada (FSL) et Horizons FNB (HSL) en offrent notamment, ce dernier étant géré activement par AlphaFixe Capital.

Alors que la période de liquidation d’un FNB est de trois jours (T + 3 jours), une transaction sur un prêt bancaire peut prendre sept jours, parfois quelques semaines pour se régler. Pour contrer cela, environ 10 % du portefeuille d’AlphaFixe est constitué de liquidités ou de titres qui se règlent à T + 3 jours.

Le magazine financier Barron’s lançait l’été dernier un avertissement aux investisseurs au sujet des FNB de prêts bancaires. Vu le règlement parfois beaucoup plus long de ces titres, il y a un risque que si le marché s’effondre, les prix de ces FNB plongent davantage, puisque les investisseurs vendront plus rapidement que la vitesse à laquelle le fonds sera en mesure de repayer les investisseurs.