Pour une rémunération des dénonciateurs
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POINTAGE DES RÉGULATEURS 2016 – Plusieurs répondants au sondage auraient souhaité que l’AMF rémunère les délateurs.

L’autorité des marchés financiers (AMF) a tranché la question en février dernier : elle n’offrira pas de compensation financière aux dénonciateurs, allant à l’encontre de ce que souhaite une majorité de responsables de la conformité qui ont participé au Pointage des régulateurs de 2016.

À la question «Êtes-vous vous favorable à ce que l’AMF rémunèrent les délateurs aussi connus sous le nom de whistleblowers? 63 % des répondants ont dit oui et 46 % ont dit non.

Le plus fort appui à un système de rémunération vient des répondants exerçant leurs activités principalement en courtage de plein exercice, qui ont répondu oui dans une proportion de 72 %, suivis répondants du secteur de l’épargne collective, qui se disent en faveur dans une proportion de 71 %.

En général, ces répondants croient qu’un système de rémunération permettrait d’assainir l’industrie et de compenser les dénonciateurs pour les risques qu’ils encourent à dévoiler des pratiques frauduleuses au sein de leur entreprise.

«En général, c’est difficile de s’apercevoir d’une anomalie rapidement. Si c’est fondé sur des faits valables, alors la rémunération peut être une méthode préventive qui permettra de réagir rapidement », indique un répondant.

«Oui, dans une mesure éthiquement acceptable, c’est à dire que le montant doit être raisonnable car la perception du public est importante aussi», mentionne un autre. «Le délateur s’expose à des risques en dénonçant, alors si la rémunération peut encourager, je dis oui», dit un troisième répondant.

La tendance est renversée du côté des répondants exerçant leurs activités en assurance de personne. Près de 60 % d’entre eux sont plutôt contre la rémunération pour les délateurs.

«Des fois, des gens jouent des jeux politiques, il y a des menaces de la part des représentants, et beaucoup de chantage. Si on les rémunère, ca va encore s’accentuer», indique un répondant.

«Non, car ce serait de transférer le fardeau de la responsabilité de surveillance sur le dos des conseillers», fait valoir un autre.

Risque de vengeance

«Offrir une récompense peut devenir cher à administrer parce que tout le monde se met à appeler et les risques de fausses dénonciations sont aussi plus élevés», dit Daniel Guillemette, conseiller en sécurité financière, président de Diversico et ex administrateur de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

Cette affirmation rejoint le commentaire d’un répondant au sondage : «La majorité des plaintes se font par des représentants contre d’autres représentants, donc ça va occasionner encore plus la chasse aux sorcières. Si les plaintes venaient du public ce serait différent».

Rappelons que, depuis quelques années, des représentants déposent des plaintes non fondées sur le préavis de remplacement envoyé par un concurrent afin que celui-ci tombe sous enquête de la Chambre de la sécurité financière (CSF). «Ils se servent de l’outil disciplinaire, qui est là pour la protection du public, pour se faire concurrence. Certains individus, certaines firmes le font systématiquement, rapportait l’ex-chef de la direction de la CSF, Luc Labelle, en 2014. Ceux-ci se disent : « Vous êtes allé chercher mon client. Je vais vous mettre la syndique dans les jambes ».»

Il reste que l’AMF a aussi penché du côté des opposants en annonçant qu’elle n’allait pas offrir de rémunération aux dénonciateurs dans le cadre de son programme renforcé de dénonciation qu’elle fera connaître en 2016.

Celui-ci doit prévoir notamment la mise en place d’un guichet sécurisé, par lequel les dénonciateurs pourront transmettre des informations de manière confidentielle.

« Nous sommes convaincus que cette protection [de la confidentialité], combinée à des mesures anti-représailles dans le cadre d’un programme structuré et bien publicisé, auront un impact déterminant sur le nombre et la qualité des dénonciations transmises à l’Autorité et ce, sans qu’aucune récompense ne soit nécessaire », précise le directeur général du contrôle des marchés à l’AMF, Jean-François Fortin, dans un communiqué.

René Villemure, président de l’Institut québécois d’éthique appliquée, constate que l’AMF a bien fait ses devoirs. «Il y a des différences culturelles dont il faut tenir compte avant d’implanter un programme de dénonciation», dit-il.

L’AMF se distancie ainsi des régulateurs ontariens et américains qui ont choisi la voie de la rémunération. Dans son programme de dénonciation, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) suggère d’accorder un incitatif financier allant jusqu’à 1,5 M$ à la suite d’une dénonciation.

Pour être admissible à une récompense, le dénonciateur, dont l’identité peut demeurer confidentielle, doit avoir fourni de l’information originale, utile et de bonne qualité. Il n’a pas à signaler la faute à l’interne au préalable et ne doit pas informer son employeur de la non-conformité après avoir avisé la CVMO. La compensation pourrait grimper à 5 M$ s’il y a récupération des fonds volés.

Cette exigence est similaire à la politique de la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») des États-Unis, selon laquelle le versement de récompenses en argent est conditionnel au recouvrement du montant de la fraude. La SEC remet au lanceur d’alerte entre 10 % et 30 % des sommes collectées à la suite d’une dénonciation.

Le Québec a plutôt suivi le modèle de l’Angleterre et de l’Australie ou la Financial Conduct Authority (FCA) et l’Australian Securities et Investment Commission (ASIC) ont des programmes de dénonciation sans récompense.

«Le monde anglo-saxon a une relation différente au bien et au mal. Si la personne n’a pas suivi la règle, je peux la dénoncer et c’est correct. Dans une culture plus latine comme celle du Québec, on dénonce quelqu’un parce qu’on ne l’aime pas. Les risques de plaintes infondées sont plus grands», dit René Villemure.

Aux États-Unis, où le principe est beaucoup plus accepté, une véritable industrie de la dénonciation est née depuis une dizaine d’année. «Cela a perverti l’objectif, qui devrait être de rendre justice, et non de faire de l’argent», constate l’éthicien.

Selon l’Association of Certified Fraud Examiner (ACFE), le whistleblowing est le mécanisme de détection de fraude le plus efficace. Dans un rapport publié en 2008, l’ACFE a montré que sur 1 843 fraudes perpétrées dans plus de 100 pays, 40 % ont été détectées grâce à un mécanisme de dénonciation (41 % au Canada). Seulement 4,6 % ont été détectées par un auditeur externe, et 13,9 % par le contrôle interne.

Cependant, la dénonciation ne doit pas se substituer à la vigilance interne. «La dénonciation est un outil à utiliser dans un certain cadre. Ce n’est pas un absolu. La meilleure prévention des fraudes demeure la vigilance du gestionnaire», selon René Villemure.

Pour Daniel Guillemette, les systèmes de plainte en place sont déjà efficaces. «La personne qui subit un préjudice est bien placée pour dénoncer, tandis que le whistleblower, qui n’a pas à avoir subi de préjudice pour parler, peut agir simplement par vengeance.»