Dans le premier cas, les clients soupçonnent que les ingrédients sont d’une qualité douteuse, et dans le deuxième, les investisseurs doutent que les gestionnaires aient confiance en leur stratégie et leurs compétences. En revanche, si les gestionnaires investissent beaucoup à titre personnel, cela montre qu’ils ont foi en leur processus de placement et qu’ils alignent leurs intérêts sur ceux des porteurs de parts. Lorsque leur propre pécule est en jeu, le co-investissement incite les gestionnaires à éviter des risques excessifs.
Le co-investissement n’est pas la seule motivation du comportement. Les gestionnaires disent souvent aux analystes de Morningstar que leur rémunération par prime est ce qui les motive. Sans surprise, nous avons observé que les gestionnaires que l’on incitait concrètement à se surclasser à court terme tendaient à investir pour le court terme. Les gestionnaires payés pour fournir des rendements solides à long terme ont plus de chances de se concentrer sur le long terme.
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Morningstar étudie le co-investissement et le barème de rémunération des gestionnaires dans le cadre de sa Note de gérance, qui mesure jusqu’à quel point des intérêts des porteurs de parts et ceux des sociétés de fonds sont alignés. Les gestionnaires de fonds ont, ces dernières années, lié plus étroitement leurs intérêts financiers à ceux des porteurs de parts, comme l’indique un nouveau Livre blanc de Morningstar. Ce document décrit en détail la hausse des niveaux de co-investissement des gestionnaires depuis les débuts canadiens des Notes de gérance en 2010, quoique l’on ne semble pas s’orienter sur des barèmes de rémunération à plus long terme. (La Notation de gérance tient aussi compte de la qualité de la culture d’entreprise d’une firme donnée, dont nous avons décrit mercredi l’évolution récente.)
Plus de transparence, plus de co-investissement
Lorsque la Notation de gérance a été lancée, un grand nombre de sociétés de fonds étaient réticentes à dévoiler leurs chiffres sur la rémunération des gestionnaires de portefeuille, invoquant habituellement le respect de la vie privée. Ces inquiétudes se sont calmées les années suivantes, et le nombre de firmes qui n’ont pas fourni d’informations avait baissé de 10 à quatre en 2013. La combinaison d’une transparence accrue et de meilleures pratiques a conduit à l’amélioration des notes attribuées aux mesures incitatives pour les gestionnaires.
Le co-investissement en comparant le nombre de gestionnaires qui investissent dans leurs propres fonds ou ceux de leur firme en proportion de leur salaire annuel. Nous avons mis au point nos normes de co-investissement en observant les normes de l’industrie. Historiquement, nous avons attribué aux firmes une cote au-dessus de la moyenne si au moins 75 % de leurs gestionnaires y avaient investi plus d’une année de salaire. Seules sept sociétés de fonds répondaient à cette norme en 2010, contre 15 en 2013. Cet accroissement reflète en partie une plus grande transparence. Il se peut que les gestionnaires de portefeuille avaient déjà des chiffres de co-investissement élevés, mais nous ne le savions pas encore.
Dans d’autres cas, les niveaux de co-investissement ont augmenté. La proportion de gestionnaires de portefeuille de Fidelity Canada qui avaient investi deux ou trois ans de salaire dans les fonds de la firme, par exemple, ont passé de 44 % en 2012 à 78 % en 2013, alors que ceux qui avaient trois ans ou plus d’investis ont augmenté de 22 % à 54 %. À l’exception possible de Francis Chou, qui dit avoir investi des dizaines de millions dans les fonds de la firme qui porte son nom, les niveaux de co-investissement de Fidelity constituent la norme de l’industrie.
Une des raisons pour lesquelles les niveaux de co-investissement ont grimpé est qu’il y a plus de sociétés de fonds qui l’exigent. Le nombre de sociétés dotées de politiques de co-investissement obligatoire est passé de six à neuf de 2010 à 2013.
On y trouve AGF, qui a annoncé en 2013 qu’elle attendrait de ses gestionnaires qu’ils investissent au moins deux ans de salaire dans les fonds AGF d’ici les trois à six années suivantes, et Les Associés en placement Brandes, qui finiront pas exiger de leurs gestionnaires qu’ils investissent trois ans de leur salaire dans les fonds Brandes. AGF et Brandes ont ainsi rejoint un groupe composé de TD, Franklin Templeton, Fonds Dynamique, Leith Wheeler, le Groupe Investors, la Manuvie et (en partie) Placements CI, qui avaient déjà établi des exigences en matière de co-investissement de leurs gestionnaires. (La Manuvie n’est couverte que depuis peu par Morningstar et n’était pas comptée en 2010.) Certaines firmes, comme Leith Wheeler, établissent un co-investissement obligatoire en tant que pourcentage des salaires, et d’autres, comme Dynamique et la Manuvie, paient au moins une partie de la rémunération variable de ses gestionnaires en parts de leurs fonds.
D’autres firmes ne font pas preuve du même raffinement sur le front du co-investissement. En 2013, 70 % des gestionnaires de Fiera avaient moins d’une année de salaire investie dans les fonds Fiera. Il se trouve que beaucoup de gestionnaires investissent plutôt dans les actions de leur société, ce qui lie davantage leurs motivations financières à la société qu’aux porteurs de parts. Dans certains cas, on ne connaît toujours pas le niveau de co-investissement. CIBC dit qu’elle ne tient pas un registre de ces chiffres, alors que Beutel Goodman, société dont la gérance est par ailleurs solide, n’a pas dévoilé ces chiffres à Morningstar.
Les mesures salariales incitatives pour les gestionnaires : on peut mieux faire
Les sociétés canadiennes pourraient en faire davantage pour aligner les rémunérations par prime sur les rendements à long terme. Seules neuf des 27 firmes de l’univers que nous couvrons basent expressément leurs barèmes de rémunération sur le rendement à long terme, que nous définissons comme au moins quatre ans. (Il y en avait sept en 2010.)
Dans l’ensemble, les sociétés canadiennes récompensent les rendements à court et à moyen termes. La pratique normale de l’industrie est de fonder la rémunération variable sur les rendements sur un et trois ans, en surpondérant la période de trois ans. Par exemple, les deux tiers de la prime accordée aux gestionnaires d’AGF est fondée sur le rendement sur trois ans, et l’autre tiers rattaché au chiffre sur un an.
Cela ne veut pas dire que les systèmes de primes ne devraient pas tenir compte du court terme. Après tout, le long terme se compose d’une série de courtes périodes. Toutefois, sans composante à long terme, les gestionnaires peuvent prendre des risques inacceptables pour générer de gros rendements à court terme. Invesco Canada donne aux rendements sur un an une pondération de 25 % dans son calcul des primes, tout en donnant aux périodes de trois et cinq ans une pondération de 37,5 % chacune. Mackenzie relie 40 % de ses primes au rendement sur cinq ans, 24 % au rendement sur trois ans, et seulement 16 % au rendement sur un an.
Une meilleure pratique est de récompenser le rendement obtenu sur des cycles boursiers entiers, qui prennent habituellement entre cinq et sept ans. QV Investors, société sous-conseillère de CI, ne base ses primes que sur des périodes de cinq ans. Le système de primes de Capital International se fonde sur des périodes de un, quatre et huit ans, les chiffres sur quatre et huit ans ayant les plus fortes pondérations. Black Creek, autre sous-conseiller de CI, base 80 % de ses primes sur les rendements quinquennaux et verse des primes en actions de la firme en se basant sur les rendements décennaux. La propriété d’actions peut inciter les gestionnaires à ce qu’ils fassent passer les intérêts de leur firme avant ceux des porteurs de parts, mais l’approche de Black Creek CI s’assure que cette propriété d’actions ne se produise que lorsque les gestionnaires ont bien servi les investisseurs sur le long terme.
Il existe du scepticisme quant à une rémunération indexée à la croissance des actifs de la firme, surtout en combinaison avec des mesures incitatives portant sur le rendement à court terme. C’est le cas à BMO, où jusqu’à 10 % de la rémunération est liée à la croissance des actifs, et où la prime relève des rendements sur un et trois ans. De plus, BMO ne dévoilant pas le degré de co-investissement de ses gestionnaires, nous ne savons pas si ses gestionnaires investissent dans les fonds BMO. Pris dans son ensemble, le système des mesures incitatives de BMO à l’égard de ses gestionnaires semble pencher vers des facteurs à court terme.
Des économies d’échelle, oui, mais pour qui?
La gestion financière est un secteur d’activité fantastique. Une fois qu’un gestionnaire de placements atteint une masse critique de placements et de personnel de soutien, il peut augmenter ses actifs à peu ou pas de frais supplémentaires. Parce que le gestionnaire de fonds disperse les frais de gestion sur base d’actifs plus large, le coût de gestion du fonds diminue. Sur le marché canadien, c’est souvent le gestionnaire de fonds, et pas le porteur de parts, qui bénéficie de ces économies d’échelle.
RBC, déjà premier gestionnaire d’actifs au Canada en 2010 avec 102 milliards de dollars (G$) d’actifs au total, a atteint environ 278 milliards de dollars $ en juin 2014. Pourtant, ses fonds sont devenus relativement plus chers au cours de la même période.
En 2010 et 2011, les RFG des fonds RBC ont atterri autour du 20e centile de leurs groupes de pairs respectifs. Bien que RBC demeure toujours un des fournisseurs de fonds les moins chers sur le marché canadien, sa gamme atterrissait en moyenne dans le 30e quartile en 2013. Par ailleurs, les actifs sous gestion de Fidelity Canada sont passés d’environ 75 G$ au chiffre actuel de près de 95 milliards $. Les RFG atterrissent en milieu de peloton pour toute la gamme de Fidelity. De même, Placements CI a grandi spectaculairement (de moins de 60 G à 130 G$, alors que les RFG de ses fonds ont fini à peu près où ils avaient commencé : vers le 45e centile de leurs groupes de pairs.
Il n’est pas nécessaire que les choses se passent ainsi. Dans leur marché intérieur aux États-Unis, Fidelity et Franklin Templeton se livrent à une guerre des prix féroce et ont fait baisser les frais lorsque les fonds atteignent certains seuils d’actifs. (Cette dernière pratique est courante dans l’industrie américaine des fonds de placement et pour les gestionnaires de fonds institutionnels au Canada.) Pendant ce temps, Capital International utilise le même modèle à faible coût au Canada que celui qu’il applique aux États-Unis, et il réduit les RFG au fur et à mesure que les actifs augmentent. De façon moins conventionnelle, non seulement Steadyhand réduit ses frais au fur et à mesure que les comptes des investisseurs augmentent, ce qui en soi est assez courant, mais aussi, plus ils investissent longtemps avec la firme, plus ils voient leur frais se réduire. Parce que les comptes (espérons-le) grossissent avec le temps, les porteurs de parts y gagnent deux fois.
Certains conseillers rémunérés à la commission sont mis aux dernières loges; les investisseurs autonomes sont avantagés
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Certains conseillers rémunérés à la commission sont mis aux dernières loges; les investisseurs autonomes sont avantagés
Nous faisons figurer les frais dans notre méthodologie de gérance parce qu’ils représentent un test simple sur le traitement équitable des porteurs de parts par les sociétés de fonds. Par exemple, les sociétés de fonds devraient traiter les porteurs de parts investissant par le truchement de conseillers rémunérés exclusivement sur honoraires aussi bien que ceux qui ont recours à des conseillers rémunérés à la commission. La différence de frais entre une série rémunérée à la commission et une autre rémunérée sur honoraires ne devrait pas excéder les frais de vente intégrés, c’est-à-dire la commission de suivi. Par exemple, si la série sur honoraires seulement, presque toujours appelée série F, d’un fonds d’actions a des frais de gestion de 1 %, les frais de la série à la commission devraient être de 2 %, à supposer une commission de suivi de 1 %. Une société de fonds faisant payer 2,5 % gagne 0,5 % aux frais du porteur de parts.
Cette pratique intervient au moment où les sociétés de fonds ont réduit les frais de gestion de tous les fonds de série F ou presque pour séduire les rangs des conseillers exclusivement rémunérés sur honoraires. Ces réductions de frais ont sans le moindre doute bénéficié à un nombre d’investisseurs relativement faible, mais les porteurs de parts des séries rémunérés à la commission continuent de payer les mêmes prix relativement élevés. On trouve dans ce camp quelques gros fournisseurs de fonds comme BMO, Franklin Templeton et la Manuvie. Le Fonds d’obligations BMO, par exemple, a des frais raisonnables de 0,45 % pour sa série F rémunérée sur honoraires, mais les frais de sa série Conseiller rémunérée à la commission de 1,3 % est supérieure à ce que sa commission de suivi de 0,5 % permettrait d’espérer. Ces disparités existent dans toute la série de fonds communs de BMO.
Dans d’autres cas, les disparités se limitent à un grand fonds ou une poignée d’entre eux. C’est le cas des produits à revenu fixe de Franklin Templeton, et surtout du plus gros d’entre eux, le Fonds mondial d’obligations Templeton (2,3 milliards $ d’actifs sous gestion). Les frais de gestion de la série F (0,75 %) sont raisonnables, mais sa série A fait payer 1,75 %. Considérant la commission de suivi de 0,5 % de la série A, Franklin Templeton obtient un autre 0,5 % des investisseurs dont les conseillers sont payés à la commission. Et enfin, le Fonds à revenu stratégique Manuvie, deuxième fonds de la firme en volume, prélève 1,75 % de frais de gestion pour sa série A , contre 0,8 % pour sa série F : 0,45 % de plus que l’on pourrait s’y attendre vu sa commission de suivi intégrée de 0,5 %.
Parce que les conseillers rémunérés exclusivement sur honoraires tendent à s’occuper des investisseurs les mieux nantis, la taille moyenne des comptes tend à être plus grande dans les séries strictement sur honoraires, ce qui se traduit par des coûts administratifs moindres. Toutefois, ces coûts n’expliquent pas les disparités des frais de gestion entre les séries à la commission et sur honoraires, et ce parce que les coûts administratifs apparaissent séparément des frais de gestion. (Ces coûts, plus les frais de gestion et les taxes, sont ce qui constitue le RFG d’un fonds). Bien que les coûts administratifs puissent varier selon les séries, le réseau de distribution ne devrait avoir aucun impact sur le coût même de la gestion du portefeuille.
Cela ne veut pas dire que les sociétés de fonds accordant le même traitement aux séries à la commission et sur honoraires méritent des louanges sans réserves. CI, Invesco, Mackenzie et Scotia, par exemple, traitent les deux réseaux de distribution de façon égale, mais, avec des frais conformes aux normes de l’industrie, ce n’est vraiment avantageux ni pour les uns, ni pour les autres. Des firmes comme BMO méritent une reconnaissance pour les options plus abordables qu’elles offrent à certains investisseurs.
Enfin, les sociétés de fonds ont commencé à mieux traiter les investisseurs autonomes. Jusqu’à une époque récente, seules Beutel Goodman, Mawer, Leith Wheeler, RBC et Steadyhand offraient des options sans commission de suivi ou presque aux investisseurs autonomes. Les autres offraient seulement l’accès à leurs produits par l’entremise de catégories de parts plus chères axées sur les conseillers, faisant payer les investisseurs autonomes pour des conseils qu’on ne leur donnait pas. Heureusement, les investisseurs autonomes ont désormais des options à frais moins élevés. En 2013, Invesco, Mackenzie et BlackRock ont lancé des séries à faibles commissions de suivi visant les investisseurs autonomes, et BMO et la Manuvie en ont lancé pour certains de leurs fonds en 2014.
Éviter les ennuis
Morningstar étudie les dossiers réglementaires des fournisseurs de fonds pour la même raison que les assureurs automobiles prêtent attention aux dossiers de conduite des automobilistes. De la même manière que les compagnies d’assurance croient que les conducteurs qui ont coutume de multiplier les contraventions pour excès de vitesse sont moins prudents que ceux qui ont des dossiers immaculés, nous présumons que les sociétés de fonds qui collectent les mauvais points en matière de réglementation ont une culture de la conformité plus faible que celles qui n’en ont pas.
Depuis le lancement de la Notation de gérance en 2010, il ne s’est pas produit de cas où le personnel de placement d’une société de fonds ait transgressé les règlements des autorités. Ce n’est pas une raison de faire la fête, car la loi est une obligation élémentaire. Toutefois, le fait qu’aucune société de fonds n’ait eu d’ennuis dans ce domaine devrait rassurer les investisseurs canadiens, dont les fournisseurs de fonds sont à la hauteur du suivi des pratiques de conformité auquel ils sont astreints.