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Le présent texte se veut une revue des principales règles édictées par la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »), les décisions rendues par les tribunaux et les positions adoptées par les autorités fiscales.

Des règles distinctes, que nous n’aborderons toutefois pas ici, sont applicables pour les particuliers de même que pour les opérations de couverture et les produits dérivés.

CONCEPTS DE BASE

Sous réserve du choix permettant d’utiliser une monnaie fonctionnelle (par. 261(3) L.I.R.), le paragraphe 261(2) L.I.R. précise que tout contribuable est tenu de déclarer ses résultats fiscaux canadiens en dollars canadiens. Par conséquent, toute somme exprimée dans une monnaie autre que le dollar canadien doit être convertie pour établir les résultats du contribuable aux fins fiscales canadiennes. En règle générale, la conversion doit se faire en utilisant le taux de change de la Banque du Canada à midi le jour où la transaction est survenue ou tout autre taux de change que le Ministre estime acceptable. Précisons toutefois que l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») accepte l’utilisation d’un taux de change moyen pour les opérations courantes ou lorsque les montants s’échelonnent sur toute l’année.

NATURE DU GAIN OU DE LA PERTE DE CHANGE

Pour déterminer le traitement fiscal applicable à un gain ou à une perte de change, la première étape consiste à identifier la nature de ce dernier. Il faut dès lors établir si le gain ou la perte est un élément de revenu ou de capital. Cette qualification déterminera le montant qui sera imposable ou déductible, le taux d’imposition qui sera applicable de même que le moment où le gain ou la perte sera pris en considération sur le plan fiscal.

La Loi de l’impôt sur le revenu ne contient aucune disposition traitant de la nature des gains et pertes de change. De ce fait, il est nécessaire de s’en remettre aux principes fondamentaux établis par les tribunaux. L’arrêt Shell Canada c. Canada, [1999] 3 R.C.S. (« Shell »), établit le principe directeur dictant que la qualification d’un gain ou d’une perte de change dépend de la nature de l’opération en cause (l’opération sous-jacente). Ainsi, pour conclure quant à la nature d’un gain ou d’une perte de change, il faut examiner les transactions y donnant lieu ou, dans le cas de fonds empruntés en monnaie étrangère, l’utilisation des fonds. À titre d’exemple, un gain ou une perte de change réalisé à la suite de l’achat ou de la vente de biens en inventaire ou de services sera qualifié comme un élément de revenu. Par contre, le gain ou la perte de change découlant de l’achat ou de la vente de biens en immobilisations sera plutôt un élément de capital.

MODE ET MOMENT D’IMPOSITION DU GAIN OU DE LA PERTE DE CHANGE


Élément de revenu

Lorsque le gain ou la perte de change est un élément de revenu, les règles habituelles de calcul du revenu édictées au paragraphe 9(1) L.I.R. s’appliquent. Par conséquent, la totalité du gain ou de la perte de change, selon le cas, est imposable ou déductible dans le calcul du revenu.

Il faut toutefois s’assurer du moment où le montant doit être pris en considération dans le calcul du revenu du contribuable. D’entrée de jeu, précisons que le traitement comptable du gain ou de la perte de change n’est pas déterminant aux fins fiscales (arrêts Shell et Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. (« Canderel »). Comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canderel, « le contribuable doit adopter une méthode de calcul qui ne soit pas incompatible avec la Loi ou les autres règles de droit établies, qui soit conforme avec les principes commerciaux reconnus et qui produise une image fidèle de son revenu pour l’année en question ». Ainsi, la position de l’ARC énoncée au paragraphe 7 du Bulletin d’interprétation IT-95R (archivé le 1er août 2013) n’est plus valide. Ce paragraphe précisait que la méthode utilisée par le contribuable devait être conforme aux principes comptables généralement reconnus.

En pratique, hormis dans de rares cas, le traitement comptable appliqué par le contribuable (pour les éléments de nature revenu) sera suivi lors de l’établissement du bénéfice fiscal. Cela permettra habituellement de respecter les critères établis par les tribunaux. En effet, rappelons que les principes comptables reposent, entre autres, sur le principe de l’image fidèle pour le calcul du bénéfice comptable.

Mentionnons finalement que, peu importe la méthode choisie par le contribuable, il est nécessaire que ce dernier applique la méthode choisie de façon uniforme au fil des ans.

Élément de capital

En présence d’un élément de capital, l’inclusion dans le calcul du revenu se fera au moment où le gain ou la perte est réalisé. La méthode de comptabilité d’exercice n’est pas acceptable pour ces éléments contrairement aux éléments de revenu. On dira qu’il y a réalisation du gain ou de la perte lorsque la transaction le déclenchant a eu lieu. Voici quelques exemples, tirés de l’interprétation technique 2009-0350501E5, où l’ARC considère qu’une transaction a eu lieu :

• la date où a lieu la conversion de fonds d’une monnaie étrangère en une autre monnaie étrangère ou en dollars canadiens;

• la date où des fonds en monnaie étrangère sont utilisés pour faire un achat ou un paiement;

• la date du remboursement d’une partie ou de la totalité d’une dette.

Sur le plan fiscal, les gains et les pertes de change relatifs aux éléments de capital sont considérés comme des gains et des pertes en capital. Le gain est donc imposé à 50%, alors que la perte est déductible à 50%, mais uniquement à l’encontre des gains en capital.

De façon plus spécifique, ce sont les paragraphes 39(1) à 39(2.1) L.I.R. qui régissent les gains et pertes de change de nature capital. Sommairement, le paragraphe 39(1) L.I.R. s’applique lorsqu’il y a disposition d’un bien tandis que le paragraphe 39(2) L.I.R. s’applique lorsqu’il y a variation d’une monnaie par rapport à la monnaie canadienne. À titre d’exemple, lorsqu’un paiement est fait sur une dette libellée en devises étrangères, il faut appliquer le paragraphe 39(2) L.I.R. puisque cela ne constitue pas une disposition de bien.

Par ailleurs, lorsqu’un contribuable effectue une disposition de bien dans une monnaie étrangère, le calcul du gain ou de la perte réalisé s’effectue de la façon suivante :

(produit de disposition × taux de change au moment de la disposition) – (prix d’achat × taux de change au moment de l’achat)

Cette formule simplifiée découle de l’application combinée des paragraphes 39(1), 40(1) et 261(2) L.I.R. Elle révèle qu’en présence d’une disposition de bien, le gain ou la perte en capital calculé comprend le gain ou la perte de change.

Dans son ancienne version, le paragraphe 39(2) L.I.R. édictait ce qui suit : « Malgré le paragraphe (1), lorsque par suite de toute fluctuation, […], de la valeur de la monnaie ou des monnaies d’un ou de plusieurs pays étrangers par rapport à la monnaie canadienne, un contribuable a réalisé un gain ou subi une perte […], les règles suivantes s’appliquent : […]. »

Puisque la disposition indiquait « malgré le paragraphe (1) », il y avait lieu de se questionner quant à l’interaction entre les deux dispositions. Lequel des paragraphes 39(1) ou 39(2) L.I.R. s’appliquait à l’élément de change compris dans le gain ou la perte en capital calculé selon le paragraphe 39(1) L.I.R.? L’ARC soutenait que le paragraphe 39(2) L.I.R. s’appliquait uniquement quand le gain ou la perte en capital découlait exclusivement de la fluctuation de la monnaie étrangère par rapport à la monnaie canadienne (interprétation technique 2009-0327061C6). La communauté fiscale était, quant à elle, partagée au sujet de cette question. Certains disaient qu’en présence d’une disposition de bien, l’élément de change était visé par le paragraphe 39(1) L.I.R. D’autres soutenaient que le paragraphe 39(2) L.I.R. visait systématiquement les gains et les pertes de change, et ce, peu importe qu’il y ait eu disposition d’un bien régie par le paragraphe 39(1) L.I.R.

L’interprétation retenue pouvait mener à une application différente de certaines dispositions fiscales, telles que les règles de limitation des pertes. Dernièrement, le libellé du paragraphe 39(2) L.I.R. a été revu.

Voyons donc les incidences des modifications apportées.

LE NOUVEAU PARAGRAPHE 39(2) L.I.R.

Adopté par le Projet de loi C48 (sanctionné le 26 juin 2013) et applicable aux années d’imposition débutant après le 19 août 2011, le nouveau libellé du paragraphe 39(2) L.I.R. apporte trois principaux changements.

Interaction entre les paragraphes 39(1) et 39(2) L.I.R.

Dans un premier temps, l’incertitude entourant l’interaction entre les paragraphes 39(1) et 39(2) L.I.R. est dorénavant résolue. Le libellé du nouveau paragraphe 39(2) L.I.R. exclut expressément les gains ou pertes en capital auxquels s’appliquent les paragraphes 39(1) et 39(1.1) L.I.R. Ainsi, les gains et pertes de change relatifs à la disposition d’actifs (sous réserve dans le cas de particuliers du nouveau paragraphe 39(1.1) L.I.R.) seront désormais déterminés exclusivement selon le paragraphe 39(1) L.I.R. Pour sa part, le paragraphe 39(2) L.I.R. ne s’appliquera désormais qu’aux dettes et obligations semblables libellées en monnaie étrangère comme le mentionnent les notes explicatives.

Exclusion des opérations ou événements concernant les actions du capital-actions du contribuable

Par ailleurs, la nouvelle disposition vient exclure tout gain ou perte « relatif à une opération ou à un événement concernant les actions du capital-actions du contribuable ». Ce nouvel élément vient contrecarrer la décision rendue dans la cause Canada c. MacMillan Bloedel Ltd., 99 D.T.C. 5454 (C.A.F.).

Dans cette cause, la société MacMillan Bloedel avait émis des actions privilégiées dans une monnaie autre que le dollar canadien. Au moment où la société a racheté lesdites actions, la monnaie étrangère s’était appréciée par rapport au dollar canadien. Par le fait même, une perte de change a été réalisée par la société au rachat des actions. La Cour a donné raison au contribuable qui soutenait que le paragraphe 39(2) L.I.R. s’appliquait à cette opération. La société a donc déduit la perte de change découlant du rachat à titre de perte en capital.

Dans le même ordre d’idées, on pouvait se demander ce qu’il adviendrait d’un gain ou d’une perte de change découlant d’un dividende à payer. Est-ce que le dividende déclaré, mais impayé, constitue une opération ou un événement concernant les actions du capital-actions du contribuable de sorte qu’il ne serait pas visé par la version actuelle du paragraphe 39(2) L.I.R.?

L’ARC répond à cette question dans une interprétation technique récente (2013-0501241E5). Selon cette dernière, le dividende devient une dette de la société envers son actionnaire au moment où il est déclaré. Par conséquent, le gain ou la perte de change aurait trait à la dette et non à une opération ou un événement relatif à des actions du capital-actions du contribuable. Le paragraphe 39(2) L.I.R. serait alors applicable.

Création d’un gain ou d’une perte en capital distinct pour chaque transaction

Troisièmement, le nouveau libellé du paragraphe 39(2) L.I.R. a pour effet de créer un gain en capital ou une perte en capital distinct provenant de la disposition d’une monnaie pour chaque gain réalisé ou perte subie. Selon les notes explicatives, cette modification facilitera l’application à ces gains et pertes en capital de la règle d’exclusion énoncée à l’alinéa 95(2)f.1) L.I.R.

Selon notre analyse, cette modification aura également un impact sur le moment où le gain ou la perte est considéré dans le calcul du compte de dividendes en capital (« CDC »). Les gains et les pertes en capital créés par le paragraphe 39(2) L.I.R. ne seront plus regroupés en un seul montant net pour l’année comme c’était le cas auparavant. Ainsi, il n’y aurait plus lieu d’attendre la fin d’une année d’imposition avant de considérer les gains et pertes en monnaie étrangère dans le calcul du CDC d’une société.

RÈGLES DE LIMITATION DES PERTES

Les règles de limitation des pertes prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu peuvent également s’appliquer aux pertes de change. En présence d’une disposition de bien, le calcul du gain ou de la perte se fera selon les paragraphes 40(1) et 39(1) L.I.R., tel que nous l’avons vu. Les règles de limitation des pertes prévues aux différents paragraphes de l’article 40 L.I.R. de même qu’au paragraphe 112(3) L.I.R. devront alors être appliquées.

Dorénavant, les pertes de change régies par le paragraphe 39(2) L.I.R. seront uniquement celles qui ne découlent pas de la disposition de bien. Rappelons qu’antérieurement l’ARC soutenait qu’en présence d’une disposition de bien dont la perte découlait uniquement de la fluctuation de la monnaie, le paragraphe 39(2) L.I.R. devait être appliqué. Ce paragraphe réputait (et répute toujours) la perte de change être une perte en capital résultant de la disposition d’une monnaie. Ainsi, il devenait difficile de concilier cette présomption avec les règles de limitation des pertes.

À titre d’exemple, comment pouvions-nous appliquer le paragraphe 40(3.6) L.I.R. à une perte de change déterminée selon le paragraphe 39(2) L.I.R.? Selon ce paragraphe, la perte est réputée être une perte en capital découlant de la disposition d’une monnaie. Pourtant, le paragraphe 40(3.6) L.I.R. édicte des règles dans le cas où un contribuable réalise une perte à la disposition d’actions. Dans une telle situation, l’ARC soutenait que les dispositions de l’article 40 L.I.R. devaient s’appliquer prioritairement au paragraphe 39(2) L.I.R. pour réputer la perte nulle (interprétation technique 2012-0436921I7). Cette position de l’ARC n’était pas acceptée de tous.

Quoi qu’il en soit, les dernières modifications apportées visant à restreindre l’étendue du paragraphe 39(2) L.I.R. semblent régulariser cette situation.

La revue effectuée dans le présent texte n’est qu’un portrait sommaire des règles fiscales applicables aux gains et pertes de change. Il existe par ailleurs de nombreuses particularités auxquelles le professionnel devrait porter attention en présence de gains et pertes de change.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Mélanie Nadeau.