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Le débat ayant mené à cette décision des ACVM fut long et parfois tendu. Chaque camp ayant des arguments bien campés qui prenaient racine aux antipodes l’un de l’autre.

Après avoir été à l’origine de la consultation et de l’idée de bannir les FAR pour ensuite se dissocier de la décision d’aller en ce sens, l’Ontario a finalement annoncé sa décision de faire volte-face et se rallier. Elle adoptera même le calendrier fixé au 1er juin 2022, offrant plus d’une année en moins à ses courtiers et conseillers pour s’adapter.

Si j’étais un courtier de Toronto, avec cette nouvelle en plus de l’élimination des Maple Leafs, je commencerais à trouver que le sort s’acharne un peu…

Mais voilà que plus d’un an après l’annonce du bannissement des FAR et à moins d’un an de la mise en application de cette mesure, les deux principales préoccupations soulevées par les opposants au bannissement n’occupent pas le devant de la scène malgré leur légitimité évidente et le risque conséquent qu’elles représentent.

Bien honnêtement, je n’arrive pas à comprendre qu’on ne soit pas plus inquiets de l’accessibilité du conseil pour le marché de masse et des perspectives de relève chez les conseillers.

En fait, je comprends mais je n’accepte pas.

Je comprends que pour plusieurs joueurs de l’industrie et certains décideurs, l’ordre naturel est le suivant : les clients fortunés auront des conseils, des services et des produits variés. Normal, ils sont plus payants et l’argent ouvre les portes de l’abondance.

Je comprends que dans l’esprit de plusieurs, les clients du marché de masse peuvent très bien se contenter des services de base offerts en succursale de leur institution financière ou sur des plates-formes à escompte pour se constituer un pécule.

Quand ils auront assez galéré et accumulé d’argent, ils auront mérité l’accès à des conseils de meilleure qualité.

Je comprends que pour plusieurs, ce que nous faisons tous les jours, ce n’est qu’une business comme il y en a d’autres.

Et c’est quand je comprends tout cela que mon incapacité à accepter cette conception s’enflamme.

J’ai toujours considéré que le conseil est une forme de service public destiné à l’amélioration non seulement de la situation individuelle de nos clients mais a également la capacité d’être un vecteur d’enrichissement collectif significatif.

Je crois profondément que celles et ceux qui bénéficient le plus de nos conseils sont les clients du marché de masse qui ont souvent tout à apprendre et qui partent de rien.

Aider un client fortuné à optimiser la fiscalité de son portefeuille et de sa stratégie d’investissement est gratifiant.

Aider une jeune famille modeste à choisir entre le REER, le CELI et le REEE pour atteindre leurs objectifs, améliorer leur niveau de vie et les rendre moins dépendants des filets sociaux est édifiant et constructif.

Aider les parents d’un enfant ayant un handicap à souscrire à un REEI pour lui assurer un niveau de vie décent quand ils ne seront plus là pour lui relève d’un service à la communauté.

Mais ce n’est pas ce qui est payant. Commercialement, c’est inintéressant.

Les FAR avaient au moins l’avantage de rendre ce genre de clientèles plus attrayantes commercialement sur un horizon à plus court terme.

Un conseiller, dont je suis, qui choisira de continuer de le faire aura un coût d’opportunité plus élevé à supporter.

Et ne nous berçons pas d’illusion : je pourrai continuer de le faire parce que j’œuvre au sein d’un courtier qui croit à cette mission, qui me laisse le choix et l’indépendance de le faire et parce que ma pratique mature me procure un revenu suffisant pour me permettre ce que d’autres professionnels appelleraient du pro bono.

Non, je ne peux pas trouver cela normal ou avisé dans une société riche et éduquée qu’on laisse derrière des gens qui méritent d’améliorer leur sort au nom de la logique commerciale. Qu’on se conforte en disant que les institutions financières s’en occuperont (avec des produits maisons, des produits de dépôts, des rendez-vous de 30 minutes à la chaîne et des conseilles qui changent tous les 6 mois) ou encore qu’ils devront se débrouiller par eux-mêmes sur un compte à escompte en ligne.

Parce qu’on ne pense qu’à l’investissement et qu’on oublie le conseil, l’éducation, l’accompagnement, l’empowerment.

Tant qu’à parler des oubliés dont on parle trop peu et qui seront les premiers affectés à compter du 1er juin 2022, abordons le sujet des conseillers de la relève.

Quand tu débutes dans le domaine, avec un actif de 0$, un carnet d’adresse rempli des promesses de tes amis aussi débutants que toi dans la vie et un lot de responsabilités financières démesurées en comparaison à tes moyens, la cote est raide à monter.

Pas étonnant que plusieurs se cassent les dents.

Pas étonnant que plusieurs abandonnent ou sont forcés de devenir salarié ou de se rallier au sein d’une équipe où ils officieront à titre de junior le temps de mériter un meilleur sort.

D’aucun y verront les inévitables lois de la nature commerciale : tout le monde n’est pas fait pour partir à son compte et la sélection naturelle doit suivre son cours.

Personnellement, j’ai vu beaucoup de bons conseillers qui offraient un excellent service et d’excellents conseils à leurs clients. Ils n’ont juste pas eu la chance ou les aptitudes pour faire en sorte que ces clients soient assez nombreux ou assez riches assez vite et ont dû abandonner.

La société a donc perdu ces conseillers talentueux parce qu’ils n’avaient pas des aptitudes commerciales suffisantes.

L’abolition des FAR accentuera la raideur de cette côte à remonter en début de carrière. Elle rendra plus rare une relève qui ne se bouscule déjà pas aux portes. Elle forcera cette relève à se tourner vers la recommandation d’autres produits car il faut bien gagner sa croûte.

Oui, il y avait de bonnes raisons d’abolir les FAR.

Il y en avait aussi de bonnes de les conserver et de les encadrer.

La décision a été prise, on ne peut revenir en arrière.

Mais je suis inquiet, déçu et triste de constater qu’on ne parle pas des conséquences de ces décisions et que nous sommes relativement peu nombreux à chercher des solutions.

Peut-être que le marché trouvera… mais je doute que ce soit le conseiller de la relève ou le consommateur du marché de masse qui en bénéficie le premier…