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Ces situations amènent leur lot de questions : le contrat souscrit à l’étranger est-il reconnu, à des fins fiscales, comme une police d’assurance-vie au Canada? Est-ce qu’un revenu doit être déclaré annuellement? Le contrat doit-il être déclaré au bilan de vérification du revenu étranger (Formulaire T1135)? Le présent texte aborde les questions fiscales les plus fréquentes auxquelles le titulaire d’un intérêt dans une police d’assurance-vie étrangère est confronté.

S’agit-il d’une police d’assurance-vie?

L’une des premières questions à considérer en présence d’un contrat étranger présentant des caractéristiques s’apparentant à de l’assurance-vie est de déterminer s’il est visé par la définition de « police d’assurance-vie » prévue au paragraphe 138(12) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »). La qualification sous cette définition revêt une grande importance : elle peut influer sur la manière dont le revenu généré par le contrat est imposé et, dans le cas où une société est bénéficiaire, sur l’inclusion au compte de dividendes en capital (« CDC »).

La définition du paragraphe 138(12) L.I.R. est très large. Elle vise tous les contrats pour lesquels le « montant de tout ou partie des provisions de l’assureur varie selon la juste valeur marchande [« JVM »] d’un groupe déterminé d’éléments d’actifs ». Les produits moins traditionnels comme les rentes ou les fonds distincts sont aussi des « police(s) d’assurance-vie » aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le Code civil du Québec (« C.c.Q. ») privilégie également une définition large : l’article 2393 C.c.Q. assimile les rentes viagères ou à terme à l’assurance sur la vie lorsqu’elles sont pratiquées par un assureur.

Fait important à retenir : aux fins de la définition de « police d’assurance-vie » prévue dans la Loi de l’impôt sur le revenu, la résidence de l’assureur ou de l’assuré n’a aucune importance.

Dans une interprétation technique (n° 2004-0096291E5), l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») s’est prononcée sur la qualification d’un fonds de dotation viager (life endowment fund) auquel avait participé un résident du Royaume-Uni auprès de son employeur avant d’immigrer au Canada. En vertu du contrat, l’employé britannique devait verser 4 % de son revenu à son employeur. Le contrat venait à terme lorsque l’employé atteignait 65 ans et le capital lui était alors versé. Tout en rappelant la largesse de la définition de « police d’assurance-vie » prévue au paragraphe 138(12) L.I.R., l’ARC a précisé que l’interprétation de cette définition demeure une question de fait et de droit. Dans le cas du fonds de dotation britannique, l’ARC a confirmé que, sur la base des renseignements fournis par le contribuable, le contrat semblait être une police d’assurance-vie.

En France, certains contrats peuvent exiger le versement d’une prime unique. L’assureur effectue alors un ou des placements avec le montant de la prime et capitalise les intérêts gagnés. Au terme du contrat, le souscripteur récupère son capital plus les intérêts capitalisés, moins les frais dus à l’assureur. Tel que rapporté par M. Yves J. Leroux lors du Panel sur la planification transfrontalière lors du Congrès 2012 de l’Association de planification fiscale et financière, un débat existait en France sur la qualification juridique de tels contrats. Un courant jurisprudentiel voulait qu’il ne puisse s’agir de contrats d’assurance, et donc de polices d’assurance-vie, puisqu’il n’existait aucun aléa au sens du Code civil français dans la mesure où aucune des parties ne courait un véritable risque. La Cour de cassation française aurait toutefois tranché en 2004 que, si les effets d’un contrat dépendent de la durée de vie humaine, celui-ci comporte dès lors un aléa et peut constituer une police d’assurance-vie.

Au Canada, cet arrêt de la Cour de cassation serait probablement d’une utilité limitée pour interpréter la définition de « police d’assurance-vie » prévue au paragraphe 138(12) L.I.R., puisque rien dans cette dernière n’exige l’existence d’un aléa.

S’agit-il d’une police d’assurance-vie au Canada?

Le paragraphe 138(12) L.I.R. définit une « police d’assurance-vie au Canada » comme toute « police d’assurance-vie établie ou souscrite par un assureur sur la vie d’une personne qui résidait au Canada au moment de l’établissement ou de la souscription de la police ». Il s’ensuit qu’une police établie par un assureur canadien sur la vie d’un non-résident du Canada ne serait pas une « police d’assurance-vie au Canada », mais qu’inversement une police établie par un assureur étranger sur la vie d’un résident canadien qui résidait au Canada au moment de l’établissement se qualifierait.

La définition de « bien canadien imposable » (« BCI ») prévue au paragraphe 248(1) L.I.R. prévoit qu’aux fins de certains articles particuliers de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’article 128.1, qui énonce certaines règles en matière d’immigration et d’émigration, une police d’assurance-vie au Canada peut constituer un BCI. La qualification comme BCI a son importance pour certaines questions d’immigration et d’émigration dont nous traitons plus loin.

S’agit-il d’une police exonérée?

Depuis le 1er décembre 1982, le législateur a introduit un test pour déterminer si une police est exonérée. Par ce test, le législateur souhaitait prévenir l’exonération des revenus générés dans des polices qui auraient été principalement souscrites dans un dessein de rendement des placements plutôt que pour un réel besoin d’assurance.

Concrètement, le test prévu à l’article 306 du Règlement de l’impôt sur le revenu (« R.I.R. ») s’opère en vérifiant si le montant du « fonds accumulé » de la police testée dépasse le montant du « fonds accumulé » d’une police type prévue par règlement. Une police dont le « fonds accumulé » serait supérieur à celui de la police type perdrait ainsi son statut de police exonérée.

L’expression « fonds accumulé » fait l’objet d’une longue définition à l’article 307 R.I.R. L’ancien Bulletin d’interprétation IT-87R2 de l’ARC résume en termes simples qu’il s’agit essentiellement « d’une mesure de l’épargne accumulée qui s’est accrue dans la police ». Ce fonds est généralement égal à la valeur de rachat de la police à laquelle on soustrait les avances sur police non remboursées.

Dans l’interprétation technique n° 9923905, l’ARC a confirmé qu’une police d’assurance-vie étrangère pourrait être une police exonérée, mais que cela exigerait que le contribuable fasse la démonstration à l’ARC, sur une base continue, que la police respecte le test prévu par règlement, démonstration qui, de l’avis des auteurs spécialisés sur ces questions, serait excessivement difficile à faire pour le contribuable moyen.

Lorsqu’une police d’assurance-vie étrangère ne présente dans son contrat constitutif aucune forme de limitation du rendement, il peut être plus prudent de considérer qu’il ne s’agit pas d’une police exonérée.

Le titulaire doit-il déclarer un revenu annuellement?

En vertu du paragraphe 12.2(1) L.I.R., un contribuable qui acquiert un intérêt dans une police d’assurance-vie après 1989 peut devoir inclure un revenu, sur une base de comptabilité d’exercice, à chaque anniversaire de la police.

Le paragraphe 12.2(1) L.I.R. prévoit toutefois que cette règle d’inclusion ne s’applique pas :

• à une police exonérée;

• à un contrat de rente visé à l’article 304 R.I.R.;

• à certains contrats de rente reçus selon les modalités d’une police d’assurance acquise pour la dernière fois avant le 2 décembre 1982.

Le revenu à inclure par le titulaire de l’intérêt dans la police correspond à l’excédent du « fonds accumulé » sur cet intérêt au jour anniversaire de la police sur le coût de base rajusté (« CBR ») de celle-ci à la même date. L’expression « jour anniversaire » est définie au paragraphe 12.2(11) L.I.R.

Quel est le CBR de l’intérêt dans la police?

Le CBR représente le coût fiscal de l’intérêt dans une police d’assurance-vie pour son titulaire. C’est le montant de base qui sert à calculer le gain sur police, mais aussi, comme il a été mentionné précédemment, le revenu à inclure annuellement pour les titulaires de polices non exonérées.

La formule décrivant le calcul du CBR prévue au paragraphe 148(9) L.I.R. est complexe. Ce calcul est habituellement réservé aux assureurs canadiens qui sont parfaitement familiarisés avec la formule, d’où la difficulté inhérente au calcul du CBR pour les polices établies ou souscrites par un assureur étranger. À cet égard, l’ARC a déjà rappelé lors de la table ronde sur les services financiers du Congrès 2005 de l’Association de planification fiscale et financière qu’il incombait au titulaire d’une police d’assurance-vie étrangère de faire la démonstration que son calcul du CBR est conforme à la définition prévue au paragraphe 148(9) L.I.R. (n° 2005-0132331C6).

L’immigration au Canada a également un impact sur la détermination du CBR. En vertu des alinéas 128.1(1)b) et 128.1(1)c) L.I.R., un contribuable est réputé avoir disposé de chaque bien lui appartenant pour un produit égal à sa JVM au jour de l’immigration, puis d’avoir acquis chaque bien à un coût égal au produit de disposition du bien. Un contribuable titulaire d’une « police d’assurance-vie » au jour de son immigration au Canada verrait par conséquent le CBR de celle-ci être rajusté en fonction de sa JVM ce même jour.

Sur cette question de la JVM, il est utile de rappeler la position de l’ARC selon laquelle la valeur marchande d’une police n’équivaut pas nécessairement à sa valeur de rachat. D’autres facteurs doivent être considérés, notamment l’âge et la santé de l’assuré ainsi que le montant des primes payées à ce jour (interprétation technique n° 9204375).

Un particulier titulaire d’une « police d’assurance-vie au Canada » au moment de son immigration échapperait à la règle de la disposition réputée en raison de l’exception prévue pour les BCI au sous-alinéa 128.1(1)b)(i) L.I.R.

De même, le titulaire d’une police d’assurance-vie qui n’est pas une fiducie et qui aurait résidé au Canada 60 mois ou moins au cours d’une période de 120 mois avant de cesser d’y résider pourrait échapper à la règle de la disposition réputée à l’émigration en raison de l’exception prévue au sous-alinéa 128.1(4)b)(iv) L.I.R. La disposition réputée à l’émigration est également évitée si la police est un BCI.

L’intérêt dans la police doit-il être déclaré dans le bilan de vérification du revenu étranger (Formulaire T1135)?

L’ARC a déjà eu l’occasion de confirmer qu’une police d’assurance émise par un assureur étranger constitue un « bien étranger déterminé » au sens de la définition prévue à l’article 233.3 L.I.R. Toutefois, seuls les biens étrangers déterminés dont le total des montants, représentant chacun le « coût indiqué » pour le contribuable, excède 100 000 $ doivent être déclarés. Cela nous amène à nous interroger sur le sens à donner à l’expression « coût indiqué » dans le cas d’une police d’assurance-vie.

Dans une interprétation technique (n° 2012-0444711C6), l’ARC a déjà mentionné, en ce qui concerne la définition de « coût indiqué » prévue au paragraphe 248(1) L.I.R., que c’est généralement l’alinéa 248(1)f) de cette définition qui s’applique à une police d’assurance-vie. Selon cet alinéa, le « coût indiqué » de la police correspondrait à son coût pour le contribuable, sauf si ce coût a été déduit dans le calcul de son revenu. L’expression « coût » n’étant pas explicitement définie dans la Loi de l’impôt sur le revenu, l’ARC estime par ailleurs que le montant du CBR peut généralement être considéré comme une évaluation raisonnable du coût de la police pour le contribuable.

Des auteurs ont exprimé leur désaccord quant à cette dernière position de l’ARC. Ils soulignent que, dans la formule du paragraphe 148(9) L.I.R. établissant le calcul du CBR, seule la lettre « A » renvoie à la notion de coût, soit le coût d’un intérêt que le contribuable a payé pour acquérir la police. Aucune des autres lettres de la formule ne renvoie à la notion de coût. Selon ces auteurs, comme la lettre « B » de la formule qui prévoit l’inclusion des primes payées sur la police dans le calcul du CBR ne renvoie pas à la notion de coût, il est permis de croire que le « coût indiqué » d’une police d’assurance-vie ne tiendrait pas compte des montants des primes payées sur la police.

Le produit d’assurance peut-il être ajouté au CDC?

L’alinéa d) de la définition de « compte de dividendes en capital » prévue au paragraphe 89(1) L.I.R. se réfère simplement au produit d’une police d’assurance-vie dont la société était bénéficiaire, sans préciser qu’il doit s’agir d’une police d’assurance-vie au Canada.

L’ARC a confirmé, lors de la table ronde sur les services financiers du Congrès 2005 (n° 2005-0132331C6) mentionnée plus haut, que l’excédent du produit d’une police d’assurance-vie délivrée par un assureur étranger qu’une société privée reçoit après le 23 mai 1985 par suite du décès de l’assuré sur le CBR de cette police est ajouté au CDC.

Conclusion

Nous l’avons vu, la déclaration d’un intérêt dans un produit d’assurance étranger demeure un exercice périlleux et complexe pour le contribuable canadien moyen. La détermination du CBR et la qualification comme police exonérée, en particulier, semblent être l’apanage de quelques initiés. Le contribuable prudent et diligent qui doit déclarer un tel produit au Canada aura tout intérêt à obtenir l’opinion de professionnels compétents.

Texte paru précédemment dans le Stratège Volume 22, no 3, septembre 2017.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Francis Hally.