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En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »), les régimes enregistrés, tels un régime enregistré d’épargne-retraite (« REÉR ») ou un compte d’épargne libre d’impôt (« CÉLI »), consistent en des arrangements enregistrés auprès du ministre du Revenu national (« Ministre ») entre un particulier et, dans la plupart des cas, une société de fiducie qui agit à titre de fiduciaire du régime enregistré. Considérant que les avantages fiscaux découlant de l’utilisation de régimes enregistrés comme véhicules de placements sont importants, le législateur a prévu une gamme de règles fiscales afin de prévenir une utilisation abusive des régimes enregistrés dans certains contextes.

Par exemple, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit des conséquences fiscales lorsqu’un régime enregistré fait l’acquisition d’un « placement non admissible » ou d’un « placement interdit », exploite une entreprise ou accorde un « avantage » au titulaire du régime enregistré. Étant donné que ces conséquences fiscales entraîneront, dans la plupart des cas, le paiement d’un impôt, il y a lieu de se demander si le fiduciaire du régime enregistré, notamment dans le cas d’un régime autogéré, pourrait entraîner sa responsabilité personnelle en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu lorsque le régime en soi n’a pas les actifs nécessaires afin de s’acquitter du paiement de l’impôt.

L’obligation du fiduciaire d’un régime enregistré

Dans le cadre de ses fonctions, le fiduciaire d’un régime enregistré doit s’assurer que le régime remplit ses obligations administratives et fiscales prévues en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et du Règlement de l’impôt sur le revenu. Par exemple, le fiduciaire doit s’assurer de la production des relevés d’impôt et effectuer dûment les remises d’impôt lorsqu’elles sont nécessaires.

Le fiduciaire doit également fixer la juste valeur marchande d’un placement acquis par le régime enregistré. De plus, en vertu des nouvelles dispositions adoptées par le législateur dans les dernières années à la partie XI.01 L.I.R., on impose maintenant au fiduciaire d’un régime enregistré des conséquences fiscales lorsqu’il accorde un « avantage » relatif à un régime enregistré au titulaire du régime et on exige du fiduciaire qu’il exerce le soin, la diligence et la compétence afin de veiller à réduire au minimum les chances que le régime enregistré détienne des placements non admissibles, sans quoi le fiduciaire pourrait être passible d’une pénalité n’excédant pas 2 500 $ pour le manquement à cette obligation. Il convient de noter que la Loi de l’impôt sur le revenu n’exige pas une obligation de même nature au fiduciaire quant à la détention d’un « placement interdit ». Dans ce dernier cas, la partie XI.01 L.I.R. prévoit qu’il incombe au particulier contrôlant le régime enregistré de s’assurer que le régime ne détient pas un « placement interdit » pour ainsi éviter les conséquences fiscales.

Alors que les nouvelles dispositions prévues à la partie XI.01 L.I.R. semblent bien définir la nature de l’obligation du fiduciaire d’un régime enregistré relativement aux notions de « placement admissible », « placement interdit » et « avantage » ainsi que les conséquences fiscales qu’il en découle, c’est tout le contraire lorsqu’on considère les obligations du fiduciaire relativement à un impôt redevable par le régime lui-même en vertu de la partie I L.I.R. Prenons l’exemple d’un régime enregistré faisant l’objet d’une cotisation en se basant sur le fait qu’il a exploité une entreprise et se voit donc assujetti à un impôt de la partie I L.I.R. sur son revenu généré par cette entreprise. Dans un tel cas, il y a lieu de se demander si le Ministre pourrait invoquer l’article 159 L.I.R., qui prévoit qu’à titre de « représentant légal » d’une fiducie, le fiduciaire est solidairement responsable avec la fiducie de payer un impôt qui demeure impayé par la fiducie dans la mesure où le fiduciaire a en sa possession ou sous sa garde des biens qui appartiennent ou appartenaient à la fiducie. L’Agence du revenu du Canada s’est récemment prononcée de façon favorable en ce qui a trait à l’imposition d’une obligation au fiduciaire du régime enregistré dans un tel cas; dans le Folio de l’impôt sur le revenu S3-F10-C1, « Placements admissibles – REER, REEE, FERR, REEI et CÉLI », entré en vigueur le 1er octobre 2018, on peut d’ailleurs lire ceci :

« […] Si un régime enregistré ne dispose pas d’actifs suffisants pour payer les impôts exigibles (par exemple, en raison de la sortie de biens ou de leur transfert à une autre institution), le fiduciaire peut être tenu de payer les impôts en application de l’article 159. »

Le fondement de la position du Ministre à ce sujet a déjà été exposé dans l’interprétation technique 2011-0405531E5, datée du 22 septembre 2011, à savoir :

« This is in reply to your email of May 5, 2011 concerning whether subsection 159(1) of the Income Tax Act would apply to an issuer of a tax free savings account (TFSA) to be vicariously liable for the tax liability of a TFSA trust, and whether any other provision of the Act would cause the issuer of a TFSA to be liable for the tax liability of a TFSA trust. The letter states that your client offers TFSAs governed by a specimen agreement in the form of a declaration of trust.

A TSFA trust could be liable for tax under Part I on its taxable income pursuant to subsection 146.2(6) where at any time in the taxation year it carried on a business or held one or more properties that were non-qualified investments. With respect to the Part I tax pursuant to subsection 146.2(6), the Crown will look to the trustee for any outstanding liability of the trust pursuant to subsection 104(1). Reference to a trust is, generally, deemed to include a reference to a trustee having ownership or control of the property. As subsection 104(1) equates the trustee with a trust, any liability under the Act in respect of a trust becomes the liability of the trustee, for the purposes established in this subsection. »

Cette position du Ministre d’imposer une obligation au fiduciaire du régime enregistré relativement à l’impôt redevable par le régime peut, à bien des égards, être remise en question. Dans un premier temps, cette position, en particulier l’interprétation que le Ministre fait du paragraphe 159(1) L.I.R. dans les circonstances, ne prend pas en compte le fardeau imposé aux fiduciaires de régimes enregistrés de veiller à ce que les milliers de régimes qui sont sous sa garde et pour lesquels il agit à titre de fiduciaire ne contreviennent pas aux différentes dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu alors que, bien souvent, c’est le titulaire du régime enregistré qui détermine la nature et la fréquence des placements comme, par exemple, dans le cas de régimes autogérés. À cet égard, le Ministre a déjà reconnu dans la décision anticipée 2011-040239I7, datée du 8 septembre 2011, que les conséquences fiscales prévues au paragraphe 159(2) L.I.R. ne pouvaient pas s’appliquer à un fiduciaire d’un régime enregistré, c’est-à-dire :

« Based on a literal interpretation of subsection 159(2) and the definition of “legal representative” in subsection 248(1), the trustee of an RRSP is required, before distributing the property of the trust, to obtain a clearance certificate, certifying that all amounts for which the annuitant is liable under the Act have been paid or security for the payment thereof has been provided. However, it is recognized that such an interpretation would create economic havoc and unreasonable delays in the distribution of amounts out of RRSPs. The courts would very likely take a contextual and purposive approach to interpreting those provisions, see Canada Trustco Mortgage Co. v. The Queen, [2005] 5 C.T.C. 215 (S.C.C.) 2005 D.T.C. 5523, and find that the provisions do not apply to such broad circumstances.

The existence of an administrative policy providing that subsection 159(2) would only be applied to a trustee of an RRSP in circumstances where the beneficiary was a non-resident, would greatly reduce the administrative burden and delays in the distribution of amounts out of RRSPs. However, the formulation of such a policy is outside the mandate of the Income Tax Rulings Directorate. In this regard, the matter would need to be referred to the appropriate functional programs area. Meanwhile in the absence of such an administrative policy, the provisions of subsection 159(2) and (3) do not generally apply as against the trustee of an RRSP. »

Ainsi, les positions du Ministre sur l’application de l’article 159 L.I.R. dans le cas d’un fiduciaire de régime enregistré semblent être contradictoires.

Dans un deuxième temps, bien que les tribunaux ne se soient pas prononcés sur l’application de l’article 159 L.I.R. dans le contexte d’un fiduciaire d’un régime enregistré, la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Louie v. The Queen, 2018 TCC 225, par. 87, a récemment traité de la question de la responsabilité du fiduciaire dans le contexte de l’application des règles fiscales portant sur la notion d’« avantage » accordé par l’entremise d’un régime enregistré. Quant à l’argument formulé par la titulaire du régime enregistré selon lequel le fiduciaire, et non le titulaire du régime enregistré, était responsable du paiement de l’impôt en vertu de la partie XI.01 L.I.R., la Cour a conclu que de rendre responsable le fiduciaire du régime par le truchement d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu rendrait inopérantes les dispositions spécifiques de cette même loi prévoyant que la responsabilité du paiement de l’impôt reposait sur le titulaire du régime enregistré. Ainsi, un argument semblable pourrait être avancé étant donné que les dispositions de la loi prévoient explicitement que le régime enregistré, et non le fiduciaire ou le titulaire du compte, est responsable du paiement de l’impôt.

Afin de potentiellement rendre responsable le fiduciaire du régime enregistré de l’impôt payable par le régime, le Ministre invoque, à l’appui de ses prétentions, le paragraphe 104(1) L.I.R., qui édicte qu’aux fins de la loi, la mention de fiducie vaut également mention du fiduciaire de la fiducie. Or, il est important de préciser que le paragraphe 104(1) L.I.R. ne constitue pas une disposition d’assujettissement à l’impôt rendant expressément le fiduciaire responsable du paiement de l’impôt de la fiducie. Cet assujettissement à l’impôt de la fiducie, si celui-ci existe en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour le fiduciaire d’un régime enregistré, découlerait plutôt de la disposition d’assujettissement prévu à l’article 159 L.I.R. D’autre part, l’interprétation qu’il faut donner au paragraphe 104(1) L.I.R. doit se faire en prenant en contexte le paragraphe 104(2) L.I.R., qui établit qu’une fiducie est réputée être un particulier aux fins de la loi sans que l’assujettissement du fiduciaire à ses propres impôts sur le revenu en soit atteint. Ainsi, la Loi de l’impôt sur le revenu distingue, d’une part, l’impôt payable par la fiducie sur ses propres revenus et, d’autre part, l’impôt payable par le fiduciaire sur ses propres revenus.

Conclusion

La position du Ministre selon laquelle le fiduciaire d’un régime enregistré peut entraîner sa responsabilité personnelle à l’endroit d’un impôt payable par le régime soulève clairement plusieurs questions sur le plan juridique et pratique. Plus particulièrement, il y a lieu de se demander si cette position prise par le Ministre reflète l’intention du législateur quant à la responsabilité des fiduciaires en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu dans le cadre de l’administration des régimes enregistrés.

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 24, no 1, printemps 2019.