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En effet, une avance provenant d’une société faite à un actionnaire qui est un particulier et que l’avance n’est pas remboursée en totalité au cours de l’année suivant la fin de l’année d’imposition de la société pendant laquelle le prêt a été consenti entraîne une inclusion du montant du prêt non remboursé au revenu du particulier. L’un des principaux critères d’application du paragraphe 15(2) L.I.R. est que le prêt doit être fait directement par la société à l’actionnaire. Or, certaines transactions pouvaient contourner les règles du paragraphe 15(2) L.I.R. comme dans le cas où un tiers accorde un prêt à un actionnaire et que la société de ce dernier garantit ce prêt.

Le ministère des Finances du Canada a remédié à ce type de planification lors du Budget de 2016 et les nouvelles règles introduites s’appliquent aux prêts qui demeurent impayés avant le 22 mars 2016 ainsi qu’aux prêts reçus et aux dettes contractées après le 21 mars 2016. Les règles contenues aux paragraphes 15(2.16) à 15(2.192) L.I.R. ont été introduites afin d’éviter que des prêts adossés, soit un prêt garanti par un ou plusieurs biens de la société, ne soient utilisés dans le but de contourner l’application du paragraphe 15(2) L.I.R.

Fonctionnement d’un mécanisme de prêts adossés

Un mécanisme de prêts adossés aux actionnaires existe lorsqu’un actionnaire (ou une personne liée) doit une somme à un intermédiaire, souvent une institution financière, et que l’intermédiaire possède un « droit déterminé », qui se définit généralement comme un droit que l’intermédiaire détient sur le bien et qui restreint l’usage que la société peut faire de ce bien, relatif à un bien d’une société résidant au Canada. De plus, il doit exister un lien entre cette dette d’actionnaire et ce droit déterminé, soit que le contrat de garantie reconnaît ce droit directement ou qu’il est raisonnable de conclure à l’existence de ce lien. Bien que l’objectif des paragraphes 15(2.16) et 15(2.17) L.I.R. soit tout à fait légitime, la portée de cet objectif semble large, voire, selon l’auteur, démesurée, et pourrait comprendre des transactions commerciales qui n’ont pas pour but de contourner les règles du paragraphe 15(2) L.I.R.

Dans l’interprétation technique 2017-0690691E5, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») donne plus de détails quant à l’application de ces nouvelles règles à une situation hypothétique.

L’interprétation technique 2017-0690691E5 – Nouvelles règles de l’article 15 L.I.R.

Dans cette interprétation technique, M. X et Mme X sont deux résidents du Canada qui détiennent chacun 49,995 % des unités d’une société en commandite (« SEC »). La société A est le commandité de SEC et détient 0,01 % des parts de cette dernière. La société B détient 100 % des actions de la société A et la société B est détenue en parts égales par M. X et Mme X. La société de personnes désire acquérir une propriété estimée à 3 M$ et selon le modèle d’affaires de la SEC, Mme X fournit tous les fonds nécessaires aux activités. Afin de financer l’acquisition de la propriété par la SEC, Mme X emprunte la somme requise de 3 M$ d’un tiers (une banque). En échange, la banque requiert un dépôt à terme de la part de société B. Indirectement, par l’entremise de la banque, Mme X a obtenu un prêt qui aurait dû provenir de la société B, et ce, sans déclencher l’application du paragraphe 15(2) L.I.R.

Application des paragraphes 15(2.6) et 15(2.7) L.I.R.

Dans son analyse, l’ARC indique que le paragraphe 15(2.17) L.I.R. s’appliquera à un moment donné si les quatre conditions énoncées au paragraphe 15(2.16) L.I.R. sont respectées.

La première condition à l’alinéa 15(2.16)a) L.I.R. est qu’il doit y avoir, à ce moment, une personne appelée « emprunteur visé » (dans le scénario, Mme X) qui est responsable d’acquitter la dette (« dette d’un actionnaire ») d’un « bailleur de fonds immédiat » (dans le scénario, la banque). Ainsi, l’actionnaire reçoit le financement indirectement plutôt que directement de la société dont cette personne est actionnaire.

La deuxième condition, en vertu de l’alinéa 15(2.16)b) L.I.R., est que, en l’absence des paragraphes 15(2.16) et 15(2.17) L.I.R., le paragraphe 15(2) L.I.R. ne doit pas s’appliquer à la dette de l’actionnaire. Cela fait en sorte que les paragraphes 15(2) et 15(2.17) L.I.R. ne peuvent s’appliquer simultanément et donc que l’emprunteur visé ne sera pas imposé doublement sur un même prêt.

La troisième condition, en vertu de l’alinéa 15(2.16)c) L.I.R., est que, si :

« […] à ce moment, un bailleur de fonds [dans le scénario, la banque], relativement à un mécanisme de financement donné :

(i) soit doit une somme au titre d’une dette ou autre obligation de payer une somme [dans le scénario, le dépôt à terme] à une personne [dans le scénario, Société B] ou société de personnes à l’égard de laquelle […] il s’agit d’une dette ou autre obligation à l’égard de laquelle:

   (A) il s’agit d’une dette ou autre obligation à l’égard de laquelle le recours est limité en tout ou en partie, dans l’immédiat ou pour l’avenir conditionnellement ou non, à un mécanisme de financement,

   (B) il est raisonnable de conclure que la totalité ou une partie du mécanisme de financement donné a été conclu, ou qu’il a été permis qu’il demeure en vigueur, pour l’un des motifs suivants :

          (I) la totalité ou une partie de la dette ou autre obligation a été contractée ou il a été permis qu’elle demeure à payer,

          (II) le bailleur de fonds prévoyait que la totalité ou une partie de la dette ou autre obligation deviendrait à payer ou qu’elle le demeurerait,

(ii) détient un droit déterminé qui est relatif à un bien donné qui a été accordé, directement ou indirectement, par une personne ou société de personnes, et à l’égard duquel […]

     (A) les modalités du mécanisme de financement donné prévoient l’existence du droit déterminé,

     (B) il est raisonnable de conclure que la totalité ou une partie du mécanisme de financement donné a été conclu, ou qu’il a été permis qu’il demeure en vigueur, pour l’un des motifs suivants :

          (I) le droit déterminé a été accordé,

          (II) le bailleur de fonds prévoyait que le droit déterminé serait accordé; […]. » (Notre soulignement)

La quatrième condition, en vertu de l’alinéa 15(2.16)d) L.I.R., est qu’à ce moment, au moins un bailleur de fonds (dans le scénario, Société B) est un « bailleur de fonds ultime ».

L’ARC est d’opinion que, dans le scénario présenté dans l’interprétation technique 2017‑0690691E5, les règles du paragraphe 15(2.17) L.I.R. s’appliquent étant donné que les énoncés du paragraphe 15(2.16) L.I.R. sont vrais. En ce qui concerne l’alinéa 15(2.16)c) L.I.R., il semble que, selon les faits du scénario hypothétique, l’énoncé de la division 15(2.16)c)(i)(B) L.I.R. serait vrai et donc, aux fins de cette interprétation technique, l’ARC n’a pas discuté de la possible présence d’un « droit déterminé » relatif au bien donné en garantie.

La notion de « droit déterminé » et son application

La notion de « droit déterminé » est définie au paragraphe 18(5) L.I.R. comme étant, relativement à un bien, un droit d’hypothéquer le bien, de le céder, de le donner en nantissement ou de le grever de quelque façon que ce soit (afin de garantir le paiement d’une obligation) ou comme un droit d’utiliser le bien, de l’investir, de le vendre ou d’en disposer de quelque façon que ce soit.

Lors de la Table ronde sur la fiscalité de stratégies financières et des instruments financiers de l’Association de planification fiscale et financière du 6 octobre 2017, en réponse à la question 13, le ministère des Finances du Canada a donné des indications sur la signification d’un « droit déterminé ». Les commentaires du ministère des Finances du Canada laissent entendre que les prêts commerciaux ordinaires ne sont pas destinés à être visés par les règles de prêts d’actionnaires adossés. Cependant, le contournement de l’application du paragraphe 15(2) L.I.R. ne doit pas nécessairement être l’un des principaux objets de l’opération pour que le paragraphe 15(2.17) L.I.R. s’applique. Il est donc difficile d’évaluer jusqu’à quel point les prêts commerciaux sont susceptibles de déclencher techniquement les règles du paragraphe 15(2.17) L.I.R.

Il convient de noter que selon les Notes explicatives de 2016, et tel qu’il est confirmé dans le cadre d’une question posée à l’ARC dans l’interprétation technique 2017-0703901C6, « CPA Alberta 2017 Q11: Shareholders Loans », l’ARC et le ministère des Finances du Canada indiquent que les nouvelles règles visent les situations où la société est la véritable source de financement de l’actionnaire. Par conséquent, lorsqu’une garantie sur les actifs de la société équivaut à confier les actifs à l’intermédiaire (comme une institution financière) pour son utilisation générale, un « droit déterminé » s’applique. Par contre, lorsque la garantie est un élément d’un mécanisme de prêt sans lien de dépendance de nature commerciale, de sorte que les actifs faisant l’objet du cautionnement ne peuvent être utilisés que pour rembourser la dette et les intérêts courus, la garantie ne devrait pas donner lieu à un « droit déterminé ».

Malgré les commentaires de l’ARC et du ministère des Finances du Canada, il n’existe aucune exemption à l’égard des garanties accordées pour des prêts commerciaux qui ne vont pas à l’encontre du paragraphe 15(2) L.I.R., mais qui seraient tout de même touchées par les paragraphes 15(2.16) et 15(2.17) L.I.R. En pratique, il est fréquent qu’un contrat de garantie ne se limite pas à la dette d’actionnaire, mais qu’il inclue également toute dette future de l’actionnaire. De plus, il existe des situations où l’institution financière peut requérir une seule garantie pour la dette de l’actionnaire mais également pour un prêt de nature commerciale que l’institution financière fait à la société exploitante (par exemple, une ligne de crédit). Dans ces deux cas, puisque la garantie couvre plus que le prêt à l’actionnaire, un « droit déterminé » s’ensuit.

Conclusion

Les nouvelles règles sur les prêts adossés de l’article 15 L.I.R. sont très larges et englobent un nombre important de situations qui n’ont pas pour objectif de contourner les règles du paragraphe 15(2) L.I.R. Bien que l’ARC ne semble pas avoir l’intention d’agir contre des transactions dont le but premier est simplement commercial, les nouvelles règles pourraient tout de même s’appliquer. Les contrats de garantie devront être rédigés de manière à respecter les conditions très précises afin d’éviter qu’un « droit déterminé » n’en découle. Nous verrons plus tard si la portée des paragraphes 15(2.16) et 15(2.17) L.I.R. sera restreinte aux opérations d’évitement du paragraphe 15(2) L.I.R.

Texte paru dans le Stratège Volume 23, no 1, mars 2018.