Une main qui met un dollar dans une boîte de don.
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En permettant à un large éventail d’initiatives de réaliser une multitude de projets qui sont bénéfiques à notre société, l’activité philanthropique est non seulement appelée à croître sur la scène canadienne, mais également sur la scène internationale. Il est difficile de dissocier la fiscalité de l’activité philanthropique. À cet égard, les organismes de bienfaisance se voient accorder directement des allègements fiscaux importants alors que les donateurs bénéficient de mesures d’incitation fiscale faisant en sorte de diminuer le coût de leurs dons. La presque totalité des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (« OCDE ») a adopté sous une forme ou une autre un régime fiscal favorisant l’activité philanthropique.

Récemment, l’OCDE a préparé un rapport présentant les régimes fiscaux applicables aux organismes et aux dons dans plus de 40 pays membres et participants de l’OCDE. Afin de préparer son rapport publié en décembre 2020, l’OCDE a utilisé les réponses de 40 pays membres sur des questions portant sur la nature des incitatifs fiscaux accordés aux donateurs relativement à leurs dons et des avantages fiscaux accordés aux organismes philanthropiques. Le présent article analyse les points saillants de ce rapport détaillé portant sur les incitatifs fiscaux liés à la philanthropie à l’échelle internationale.

Traitement fiscal des organismes philanthropiques

La première phase du rapport de l’OCDE porte sur une analyse des avantages fiscaux accordés aux organismes philanthropiques, notamment en évaluant : i) les critères utilisés pour déterminer si un organisme peut obtenir le statut d’organisme de bienfaisance; ii) le rôle des administrations fiscales et le processus de demande d’enregistrement; et finalement iii) le traitement fiscal des revenus des organismes de bienfaisance.

Sur la question des critères que se doivent d’observer les organismes pour obtenir un traitement fiscal préférentiel en vertu des lois fiscales des différents pays participants à l’étude, trois critères font l’unanimité parmi ces pays soit celui lié au but non lucratif de l’organisme, celui lié à la cause noble défendue par l’organisme et celui lié à l’intérêt général que se doit d’observer l’organisme dans le cadre de la mise en œuvre de ses activités. Bien qu’il soit reconnu que les organismes doivent avoir un but non lucratif, la plupart des pays permettent aux organismes de mener des activités commerciales qui peuvent toutefois être limitées par différents mécanismes prévus en vertu des lois. Quant à la question de la cause noble, communément connue sous la notion de fins de bienfaisance au Canada, certains des pays comme les États-Unis et l’Allemagne ont adopté des définitions larges de cette notion alors que d’autres pays comme l’Argentine ont adopté des définitions restrictives.

Le Canada, quant à lui, se retrouve en milieu de peloton alors que le rapport fait mention que le Canada a récemment mis en place des régimes favorables à certains organismes, dont ceux œuvrant dans le domaine journalistique. Concernant le critère de l’intérêt général, le rapport de l’OCDE mentionne que celui-ci prend différentes formes alors que dans certains cas les bénéfices accordés par les organismes doivent être ouverts à toute la population sans exception, d’autres pays ont prévu que les bénéfices des organismes pouvaient être restreints par des caractéristiques spécifiques comme le genre, l’origine ou la nationalité ou par des caractéristiques qui définissent la cause défendue par l’organisme.

Pour ce qui est du processus de demande d’enregistrement, le rapport de l’OCDE confirme que la très grande majorité des pays ont mis en place un processus d’accréditation ou d’enregistrement des organismes. Alors que certains pays, comme le Canada et l’Allemagne, permettent qu’une demande d’enregistrement soit faite avant même que l’organisme commence ses activités, d’autres pays, comme la Belgique, exigent que l’organisme exerce ses activités depuis un certain temps pour pouvoir déposer une demande d’enregistrement. Le rapport souligne que le rôle de l’administration fiscale centrale diffère d’un pays à l’autre. Certains pays comme le Canada, l’Allemagne et les États-Unis ont mis en place une administration ou un service dédié à la philanthropie alors que d’autres pays comme la France et la Norvège n’ont pas trouvé nécessaire de les mettre en place.

Concernant le traitement fiscal des revenus des organismes philanthropiques, le rapport de l’OCDE mentionne qu’il y a deux catégories de pays : la première catégorie, qui contient la plupart des pays (par exemple, les États-Unis, le Canada et l’Allemagne), exonère tous les revenus ou certaines sources de revenus alors que la deuxième catégorie (par exemple, la Colombie, l’Indonésie et l’Irlande) exonère les revenus d’un organisme seulement si l’organisme réinvestit ses revenus dans la cause noble.

Pour ce qui est des pays qui font partie de la première catégorie, les revenus non commerciaux sont non imposables alors que le traitement fiscal des revenus commerciaux dépendra d’un pays à l’autre. Ainsi, des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande exonèrent d’impôt les revenus provenant d’activités commerciales menées par des organismes philanthropiques alors que d’autres pays cherchent plutôt à limiter les activités commerciales selon différents mécanismes prévus dans les lois fiscales. Le Japon, le Canada et la Belgique, notamment, limitent dans leurs lois respectives les activités commerciales que peut entreprendre l’organisme en prévoyant certains critères qui ont pour effet de restreindre les activités commerciales. D’autres pays comme l’Autriche, l’Allemagne et les États-Unis permettent que des activités commerciales soient effectuées par l’organisme si elles sont liées à la cause noble de l’organisme, sans quoi un impôt spécial pourrait être imposé dans le cas où les revenus tirés de cette activité commerciale dépassent un certain seuil de revenus voire l’annulation de l’enregistrement si ce seuil de revenus n’est pas respecté.

Le traitement fiscal des dons

Le rapport de l’OCDE traite également des avantages fiscaux accordés par les différents pays aux dons des particuliers et des sociétés. En ce qui concerne les dons des particuliers, le rapport établit que la majorité des pays (par exemple, les États-Unis, l’Allemagne et l’Australie) a adopté un régime de déduction fiscale alors qu’une minorité des pays, dont le Canada, a adopté un régime de crédit d’impôt. Par ailleurs, certains pays comme le Royaume-Uni disposent d’un système d’abondement qui fait en sorte que l’État complète un don d’un particulier en bonifiant ou en majorant l’aide accordée à l’organisme philanthropique, alors que d’autres pays ont instauré un dispositif de dotation faisant en sorte que les contribuables puissent, dans leurs déclarations de revenus, désigner un fonds ou un organisme comme « donataire » d’un pourcentage de leurs impôts annuels.

Pour ce qui est de la déduction ou du crédit d’impôt, chacun des pays ayant adopté ces mesures fiscales a mis en place des plafonds quant à la déduction ou au crédit disponible qui sont déterminés, dans le cas d’une déduction, en fonction du revenu imposable ou d’un montant fixe et, dans le cas du crédit, par le revenu imposable, l’impôt dû ou le montant du crédit disponible. Finalement, pour ce qui est du traitement fiscal quant aux dons faits par des sociétés, sauf quelques exceptions, les pays accordent une déduction fiscale aux donateurs et certains pays permettent que les dons des sociétés soient déductibles à titre de frais de publicité.

Traitement fiscal de la philanthropie transfrontalière

Le rapport de l’OCDE fait une revue du traitement fiscal des dons faits à l’étranger ainsi que du traitement fiscal des organismes menant des activités à l’étranger. Comme c’est le cas pour le Canada, sauf certaines exceptions, aucun avantage fiscal sur le plan national n’est généralement accordé par le pays d’un donateur qui fait un don à un organisme situé dans un pays étranger. L’une des exceptions à cette règle est les pays membres de la Communauté européenne qui se doivent d’accorder le même traitement fiscal à tout donateur situé dans un pays membre de l’Union européenne. Par exemple, les donateurs bénéficieront du même avantage fiscal habituellement réservé à un don fait à un organisme philanthropique local que pour un don à un organisme philanthropique situé dans un autre pays membre de la Communauté européenne.

Une autre exception à cette règle vise les traités fiscaux entre certains pays qui peuvent permettre des allègements fiscaux dans le cas de dons transfrontaliers. Par exemple, la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis prévoit un incitatif fiscal pour les dons à un organisme de bienfaisance situé dans l’autre pays contractant jusqu’à concurrence des revenus de source étrangère générés dans l’autre pays contractant en plus de prévoir que les dons à une université américaine ou canadienne fréquentée par le donateur ou un membre de sa famille peuvent également bénéficier d’un avantage fiscal. Finalement, certains pays comme le Canada et la Nouvelle-Zélande prévoient dans leurs lois fiscales certaines situations où des organismes étrangers peuvent bénéficier d’avantages fiscaux. Par exemple, au Canada, les universités étrangères et un organisme étranger qui a fait l’objet d’une donation du gouvernement canadien peuvent obtenir leur enregistrement d’organisme de bienfaisance enregistré au Canada pour ainsi remettre des reçus pour dons à leurs donateurs. Toutefois, force est de constater que certains changements pourraient être implantés par différents pays, dont le Canada, afin de soutenir davantage sur le plan fiscal les dons à des organismes étrangers considérant, entre autres, la dimension mondiale des enjeux dans le monde qui nécessitent une intervention de l’activité philanthropique.

Sur la question du traitement fiscal des organismes philanthropiques qui mènent des activités à l’étranger, comme pour le cas des donations, la plupart des pays n’offrent pas d’avantages fiscaux aux organismes étrangers ayant des activités sur leurs territoires. Certains pays comme la Nouvelle-Zélande vont même exiger que leurs organismes philanthropiques nationaux limitent leurs activités à l’étranger. Toutefois, de façon générale, les pays membres de l’OCDE autorisent leurs organismes philanthropiques nationaux à continuer de bénéficier d’avantages fiscaux lorsqu’ils exercent des activités à l’étranger. Encore une fois, les pays membres de la Communauté européenne représentent une exception à la règle alors qu’ils se doivent d’accorder les mêmes avantages fiscaux à tous les organismes philanthropiques ayant des activités sur leurs territoires, qu’ils soient nationaux ou établis dans un pays membre de la Communauté européenne.

Recommandations

À la suite de son analyse, le groupe de travail de l’OCDE propose certaines recommandations dont les plus importantes sont les suivantes :

  • assouplir et reconsidérer les règles fiscales concernant les dons transfrontaliers et les organismes menant des activités à l’étranger;
  • assurer que les incitatifs fiscaux reflètent les objectifs des politiques publiques des gouvernements;
  • arrimer les mesures entourant le traitement des revenus commerciaux et potentiellement permettre l’exonération des revenus commerciaux, dans la mesure où ils sont réinvestis dans la cause noble de l’organisme philanthropique;
  • réduire la complexité du processus d’enregistrement et les obligations administratives des organismes philanthropiques;
  • améliorer la surveillance des organismes philanthropiques qui mettent en place des stratégies d’évasion et de fraudes fiscales.

Conclusion

Le rapport de l’OCDE nous donne une perspective internationale des incitatifs fiscaux accordés aux donateurs et aux organismes philanthropiques. L’un des constats importants est que les pays qui ont un fort historique dans le domaine de l’activité philanthropique, comme les États-Unis, n’hésitent pas à utiliser des incitatifs fiscaux comme effet de levier afin de promouvoir l’aide philanthropique. De plus, ces pays n’hésitent pas à encourager et à faciliter les activités des organismes philanthropiques nationaux à l’étranger. À la suite des travaux de l’OCDE, il reste à voir maintenant si un pays comme le Canada saura s’inspirer des recommandations du rapport afin de faciliter sur le plan fiscal, entre autres, les dons transfrontaliers et les activités philanthropiques de nos organismes à l’étranger.

Par :Vincent Dionne, Avocat, M. Fisc., KPMG s.r.l./s.e.n.c.r.l., vdionne@kpmg.ca

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratègede l’APFF, (Été 2021), vol. 26, no2.