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Cette annonce du quotidien fait écho à l’annonce du gouvernement Trudeau lors du Budget 2018 selon laquelle le gouvernement étudie de nouveaux modèles qui permettraient les dons privés et le soutien philanthropique à des organismes œuvrant dans le domaine des nouvelles locales et du journalisme qui pourraient, potentiellement, se voir octroyer le statut d’organisme de bienfaisance enregistré en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Bien entendu, cette ouverture du gouvernement Trudeau afin de permettre le financement philanthropique à ces organismes est certes une excellente nouvelle et permettrait également à certains autres organismes jouant un rôle fondamental dans notre communauté de bénéficier d’un financement philanthropique. Cependant, étant donné l’état actuel du droit pour les organismes de bienfaisance, la mise en œuvre de cette annonce pourrait nécessiter des changements importants aux règles prévues à la Loi de l’impôt sur le revenu et aux positions administratives de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») concernant les notions de « fins de bienfaisance » et d’« activité politique ».

Fins de bienfaisance

Les fins de bienfaisance, parfois appelées les « objets » d’un organisme, sont les buts par lesquels l’organisme mène ses activités au quotidien. Afin d’obtenir son statut d’organisme de bienfaisance enregistré et de maintenir un tel statut, l’organisme doit consacrer ses ressources exclusivement à des fins de bienfaisance. La Cour suprême du Canada dans l’affaire Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. MRN, [1999] 1 R.C.S. 10 (« Vancouver Society »), a confirmé que la « bienfaisance » relève de quatre catégories : la pauvreté, la religion, l’éducation et une autre fin qui profite à la collectivité. Pour qu’une fin de bienfaisance se qualifie dans cette dernière catégorie, la Cour suprême du Canada a conclu que la méthode suivante était utile afin de déterminer si la fin profite à la collectivité, à savoir :

  • observer la tendance qui se dégage des décisions des tribunaux qui ont reconnu certaines fins comme étant des fins de bienfaisance au sens de la quatrième catégorie et d’analyser si, par extension ou analogie raisonnable, la fin est similaire;
  • examiner certaines anomalies acceptées par les tribunaux pour voir si elles couvrent la fin à l’étude;
  • déterminer si, en conformité avec les fins déclarées par l’organisme, les revenus et les biens de l’organisme peuvent être affectés à des fins clairement étrangères à la bienfaisance; et
  • servir l’intérêt de la communauté ou d’un groupe d’une certaine importance plutôt que des intérêts privés.

Quant à l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance en fonction de la quatrième catégorie, l’ARC a adopté une approche rigide lorsque vient le temps de déterminer si une fin quelconque se qualifie aux termes de cette quatrième catégorie. Entre autres, l’ARC prend la position que, pour relever de la quatrième catégorie, la fin doit être reconnue par les tribunaux ou la loi comme une fin de bienfaisance. Or, la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vancouver Society a plutôt indiqué que, pour qualifier une fin comme relevant de la quatrième catégorie, il fallait plutôt utiliser les décisions des tribunaux ayant reconnu certaines fins comme étant des fins de bienfaisance au sens de la quatrième catégorie à titre de comparables et de chercher à déterminer si cette nouvelle fin peut se qualifier par une extension ou une analogie raisonnable aux autres décisions des tribunaux en la matière.

Évidemment, étant donné que le domaine des nouvelles et du journalisme ne tombe pas dans l’une des trois premières catégories relevant de la bienfaisance, il y a lieu de se demander si un organisme faisant la promotion de l’accès aux nouvelles et à l’information afin de servir la communauté peut se qualifier aux fins d’enregistrement étant donné l’approche restrictive prise par l’ARC. De plus, la Cour d’appel fédérale dans l’affaire News to You Canada c. MRN, 2011 CAF 192, a conclu qu’un organisme visant à produire des émissions traitant de l’actualité et des affaires publiques conçues pour offrir de l’information impartiale et objective au public en général ne pouvait pas être enregistré en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu étant donné qu’il ne relevait pas de la quatrième catégorie :

« [30] En conclusion, pour qu’elles constituent des fins de bienfaisance, les fins poursuivies par l’appelante doivent présenter un intérêt spécial pour la communauté, compte tenu du contexte social, moral et économique de la société au moment concerné. Les fins poursuivies par l’appelante ne répondent pas à ce critère. Même si je suis d’accord pour dire que la production et la diffusion d’émissions traitant en profondeur des nouvelles et des affaires publiques peuvent améliorer la sensibilisation aux actualités, je ne considère pas ces seules fins comme étant de la nature de l’intérêt “spécial” requis d’une œuvre de bienfaisance. »

De toute évidence, cette décision constitue un obstacle pour un organisme diffusant de l’information au public en vue d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance dans l’état actuel du droit. Une solution serait celle de prévoir explicitement dans la Loi de l’impôt sur le revenu qu’un organisme faisant la promotion de l’accès aux nouvelles et à l’information afin de servir la communauté pourrait obtenir un statut dans le but de pouvoir délivrer des reçus pour don comme c’est le cas pour les associations canadiennes enregistrées de sport amateur qui ont obtenu un statut particulier. Bien sûr, l’avantage de légiférer, au lieu de procéder par voie administrative, est de limiter la portée de la quatrième catégorie à d’autres situations.

Activité politique

En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, un organisme de bienfaisance sera considéré comme étant administré exclusivement à des fins de bienfaisance s’il consacre une partie infime de ses ressources à des activités politiques, ses activités politiques sont accessoires aux fins de bienfaisance de l’organisme et les activités de l’organisme ne comprennent pas un soutien ou une opposition à un parti politique ou un candidat. La Loi de l’impôt sur le revenu définit une « activité politique » comme comprenant le fait d’effectuer un don à un « donataire reconnu » s’il est raisonnable de considérer que ce don est offert pour appuyer les activités politiques de ce donataire reconnu. Considérant qu’il s’agit d’une définition non exhaustive de l’expression « activité politique », les tribunaux ont précisé qu’une activité politique consiste également à :

  • promouvoir les intérêts d’un certain parti politique;
  • chercher à obtenir la modification des lois du Canada ou d’un pays étranger;
  • chercher à obtenir le changement d’une politique du gouvernement ou le changement de certaines décisions des autorités gouvernementales au Canada ou d’un pays à l’étranger;
  • tenter d’influencer le gouvernement de façon partisane.

Le domaine du journalisme pourrait entrer en conflit avec la notion d’activité politique telle qu’elle est définie actuellement par les tribunaux. Par exemple, on n’a qu’à penser à la situation où, dans le cadre d’un éditorial, un journaliste critiquerait une décision du gouvernement en proposant un changement de la politique gouvernementale. Certes, la notion d’activité politique définie par les tribunaux peut difficilement s’arrimer avec le domaine du journalisme. Évidemment, des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu quant à la portée des activités politiques d’un organisme sont à prévoir si le gouvernement souhaite permettre à des organismes dans le domaine des nouvelles locales et du journalisme de délivrer des reçus pour don et de se qualifier à titre d’organisme de bienfaisance enregistré.

Conclusion

À la suite de l’annonce de la ministre Lebouthillier, le 20 janvier 2016, prévoyant la fin du programme de vérification des activités politiques des organismes de bienfaisance, qui avait été mis de l’avant sous le règne du gouvernement Harper, l’ARC a lancé une consultation publique concernant les activités politiques des organismes de bienfaisance le 28 octobre 2016, qui s’est terminée par la publication du rapport du Groupe de consultation sur les activités politiques le 31 mars 2017, lequel prévoyait les quatre recommandations suivantes :

  • réviser la position administrative et les politiques de l’ARC afin de permettre aux organismes de bienfaisance de participer pleinement au dialogue sur les politiques publiques et à l’élaboration de celles-ci;
  • mettre en œuvre des changements à l’administration de la Loi de l’impôt sur le revenu par l’ARC dans les domaines suivants afin d’améliorer la clarté et l’uniformité : observation et appels, vérifications, communication et collaboration;
  • modifier la Loi de l’impôt sur le revenu en supprimant toute référence aux « activités politiques » non partisanes afin d’autoriser explicitement les organismes de bienfaisance à participer pleinement et sans restriction au dialogue non partisan sur les politiques publiques et à l’élaboration de celles-ci, pourvu que ces activités soient secondaires à leurs fins de bienfaisance et qu’elles contribuent à leur avancement; et
  • moderniser le cadre législatif qui régit le secteur de la bienfaisance afin de mettre l’accent sur les fins de la bienfaisance plutôt que sur les activités, et adopter une liste inclusive de fins de bienfaisance acceptables afin de refléter les enjeux et les approches sociaux et environnementaux actuels.

Les effets des problèmes discutés précédemment pourraient bientôt être atténués. Nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse du gouvernement relativement aux recommandations du Groupe de consultation sur les activités politiques.

Vincent Dionne, avocat, M. Fisc.
Norton Rose Fulbright Canada s.e.n.c.r.l., s.r.l.
vincent.dionne@nortonrosefulbright.com

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 23, no 2, du mois de juin 2018.