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Bien que le capital-décès d’une assurance vie puisse, dans certains cas, représenter une portion importante de la valeur successorale de nos clients, la planification de la nomination de son bénéficiaire est quelques fois négligée. Cela explique peut-être le trop grand nombre de litiges opposant généralement des membres d’une même famille qui se disputent la propriété d’un produit d’assurance à la suite du décès d’un proche.

L’ensemble des règles propres à l’assurance vie prévues par le Code civil du Québec (« C.c.Q. ») ne peut faire l’objet d’un seul article. Le présent texte se veut donc un survol de quelques-unes de ces règles et propose des pistes de solution à certains problèmes qui peuvent être rencontrés en pratique.

La notion de bénéficiaire révocable et irrévocable

L’article 2449 C.c.Q. prévoit deux types de bénéficiaires : révocable et irrévocable. La nomination d’un bénéficiaire irrévocable oblige le titulaire (propriétaire) de la police (contrat) d’assurance à obtenir son consentement s’il souhaite modifier la nomination et nommer une autre personne à titre de bénéficiaire.

Le même article énonce le principe de base suivant : la désignation de toute personne, autre que le conjoint marié ou uni civilement, est révocable, sauf stipulation contraire dans la police ou dans un écrit distinct autre qu’un testament. Ainsi, la désignation d’un bénéficiaire contenue dans un testament est toujours révocable. Le même article énonce que la désignation d’un conjoint marié ou uni civilement à titre de bénéficiaire, dans un écrit autre qu’un testament, est irrévocable, à moins de stipulation contraire.

Dans le cas d’un conjoint, l’ambiguïté peut provenir de l’expression « à moins de stipulation contraire », puisque l’article 2449 C.c.Q. ne prévoit aucune exigence précise quant au contenu et à la forme que doit prendre une telle stipulation.

En pratique, plusieurs compagnies d’assurance ont rédigé leur formulaire afin de respecter la distinction entre la désignation d’un conjoint, marié ou uni civilement, et celle d’un autre bénéficiaire. Le bénéficiaire est irrévocable si c’est la personne à laquelle le titulaire est marié (ou uni civilement), à moins de choisir la révocabilité. Cela peut se faire notamment en cochant une case à cet effet. En posant un geste concret, soit celui de cocher la révocabilité, il est assez évident d’y déceler la volonté de prévoir une stipulation contraire. Pour les autres bénéficiaires, les formulaires prévoient habituellement que le bénéficiaire est révocable, à moins que le titulaire ne choisisse volontairement l’irrévocabilité.

Ordre de priorité des bénéficiaires

Le Code civil du Québec prévoit les règles advenant un conflit entre différentes nominations de bénéficiaires.

Exemple

En janvier 2016, un client souscrit une assurance vie et nomme son fils comme bénéficiaire révocable. En juin 2019, il modifie la désignation en faveur de sa nouvelle conjointe de fait.

De façon générale, la nomination la plus récente sera celle retenue. Cependant, certaines règles particulières doivent être prises en considération. Par exemple, seule la nomination d’un bénéficiaire révocable peut être modifiée sans le consentement de ce dernier. De plus, l’article 2450 C.c.Q. prévoit que la désignation ou la révocation contenue dans un testament ne vaut pas à l’encontre d’une autre désignation ou révocation postérieure à la signature du testament. En d’autres mots, la plus récente désignation l’emporte. L’article prévoit également que la désignation ou la révocation contenue dans un testament ne vaut pas à l’encontre d’une désignation antérieure à la signature du testament, à moins que le testament ne mentionne la police d’assurance en cause ou que l’intention du testateur à cet égard ne soit évidente.

Les cas où la police d’assurance est clairement identifiée dans un testament ne donnent généralement pas lieu à des débats. Il peut en être autrement lorsqu’il faut déterminer l’intention du testateur. Cela peut s’avérer compliqué et mener à des litiges. Il est donc recommandé de bien identifier la police d’assurance vie, notamment en spécifiant le nom de la compagnie d’assurance qui a émis le contrat, la date d’émission et le numéro du contrat d’assurance.

Les règles de forme d’une désignation de bénéficiaire

Les règles de forme d’une désignation de bénéficiaire sont prévues à l’article 2446 C.c.Q. qui mentionne que la désignation se fait par le titulaire dans la police d’assurance ou dans un autre écrit, revêtu ou non de la forme testamentaire. Aucune autre exigence de forme n’est spécifiée, comme la signature du titulaire du contrat d’assurance. Évidemment, il faut être en mesure de prouver que cet écrit représente bien la volonté du titulaire.

La même règle s’applique à la révocation d’une désignation révocable, soit l’exigence d’un écrit mais non pas celle d’une signature. Soulignons également que, conformément à l’article 2449 C.c.Q., la révocation n’a pas à être expresse.

Ces règles relativement souples donnent souvent lieu à des débats entre membres d’une famille et ont mené à des jugements. Pensons par exemple à l’affaire Veilleux c. La Maritime, compagnie d’assurance-vie, AZ-98026509 (C.S.), confirmée en appel AZ-51261715, où la Cour a reconnu un écrit rédigé, non pas par le client, mais par un courtier en assurances de personnes. Ce dernier avait reçu un appel téléphonique de son client qui était le titulaire d’une police d’assurance vie et qui l’avait informé qu’il désirait que son ex-épouse demeure bénéficiaire. La Cour a jugé que ce document était un écrit suffisant au sens de l’article 2446 C.c.Q. Dans ce cas, le courtier a été considéré comme le mandataire du titulaire de la police.

Exemples de cas

Voyons maintenant l’application de certaines autres règles prévues par le Code civil du Québec, en analysant brièvement la situation de votre nouveau client, M. Conrad Laramé. Nous commenterons également quant à certaines incidences fiscales et suggérerons quelques pistes de solution qui pourraient être envisagées.

  1. Conrad Laramé, propriétaire d’une entreprise, est venu vous consulter quant à l’organisation de ses affaires. Il y a quelques années, il a procédé à un gel successoral afin d’intégrer ses trois enfants (actuellement âgés de 15, 18 et 21 ans) dans l’entreprise par l’intermédiaire d’une fiducie qui détient les actions ordinaires. Il est divorcé de Lucie, sa première épouse et mère de ses enfants. Il vit présentement avec Maryse, sa conjointe de fait. Il vous a apporté une copie de son testament qui prévoit un legs particulier de ses régimes enregistrés à Maryse, en pleine propriété, et le résidu en fiducie en sa faveur. Il vous a également remis une copie de trois contrats d’assurance vie. Voici certaines problématiques potentielles advenant le décès de M. Laramé quant à ces contrats.

Contrat no 1

  1. Laramé est l’unique titulaire et Lucie et lui-même sont les vies assurées, le produit d’assurance étant payable au deuxième décès. La succession du dernier titulaire est bénéficiaire.

Au décès de M. Laramé, le titre de propriété de la police d’assurance sera transféré à la fiducie en faveur de Maryse selon son testament. Des primes pourraient alors être encore payables conformément au contrat d’assurance et le fiduciaire devra alors utiliser les revenus ou le capital de la fiducie pour les payer.

L’alinéa 70(6)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») prévoit les conditions du transfert sans impôt à une fiducie au conjoint : d’une part, le conjoint survivant a droit, sa vie durant, à tous les revenus de la fiducie et, d’autre part, nulle autre personne que le conjoint ne peut, avant son décès, recevoir ou obtenir de toute autre façon l’usage de toute partie du revenu ou du capital de la fiducie.

Le transfert de cette police d’assurance à la fiducie exclusive au conjoint a pour effet de contaminer cette dernière qui ne respecte plus les critères pour se qualifier comme telle. Conséquemment, aucun des biens de M. Laramé faisant partie du résidu de la succession ne pourrait être transféré à la fiducie sur une base d’impôt différé, puisqu’une partie des revenus ou du capital servirait à payer les primes de l’assurance. L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a d’ailleurs confirmé et réitéré cette position à de nombreuses reprises, notamment dans l’interprétation technique 2006-0185551C6. La nomination de la fiducie à titre de bénéficiaire de l’assurance ne modifierait pas ce résultat. Afin d’éviter une telle situation, M. Laramé pourrait nommer Maryse, conjointe au sens fiscal, comme titulaire subrogée. Maryse serait alors titulaire d’une assurance dont Lucie serait la vie assurée et elle pourrait modifier le bénéficiaire s’il est révocable. M. Laramé pourrait aussi prévoir, dans son testament, une seconde fiducie testamentaire dont le seul objectif serait la détention du contrat d’assurance. Ces pistes de solution, ainsi que d’autres, ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients tant d’un point de vue légal, fiscal que personnel et chaque situation doit être analysée par les conseillers du client.

Contrat no 2

  1. Laramé est également titulaire du deuxième contrat dont lui seul est assuré. Son ex-épouse Lucie en est bénéficiaire et ses trois enfants sont les bénéficiaires subrogés.

Lucie, épouse divorcée de M. Laramé, est bénéficiaire nommée au contrat. L’article 2459 C.c.Q. prévoit que le divorce rend caduque toute désignation de l’ex-époux ou conjoint uni civilement à titre de bénéficiaire. La prestation de décès sera donc versée aux trois enfants de M. Laramé à titre de bénéficiaires subrogés. Les deux plus vieux pourront administrer seuls les sommes reçues. Quant au plus jeune d’entre eux, Lucie, à titre de tutrice, aura l’administration des sommes, conformément à l’article 192 C.c.Q., et ce, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 18 ans. Il serait peut-être souhaitable d’informer M. Laramé d’un tel résultat et de s’assurer que cela lui convient. Dans le cas contraire, la nomination de la succession à titre de bénéficiaire et la création d’une fiducie testamentaire en faveur de l’enfant mineur pourraient être une piste de solution. Celle-ci a cependant aussi des inconvénients qu’il faudrait analyser avec M. Laramé.

Mentionnons que les règles de l’article 2459 C.c.Q. ne s’appliquent pas au conjoint de fait qui demeure bénéficiaire même lors d’une séparation entre conjoints, et ce, tant que le titulaire ne modifie pas la désignation.

Contrat no 3

Le troisième contrat, dont la vie assurée est celle de M. Laramé, est détenu par sa société de gestion et Maryse en est la bénéficiaire.

Maryse étant bénéficiaire d’un contrat d’assurance dont les primes sont payées par la société par actions qui en est aussi la titulaire, M. Laramé devra ajouter à son revenu annuel, à titre d’avantage imposable, le montant de ces primes, conformément au paragraphe 15(1) L.I.R. L’ARC a confirmé ce résultat, notamment dans l’interprétation technique 2004-0081901I7. Cela pourrait être évité en modifiant la désignation de bénéficiaire en faveur de la société par actions en remplacement de Maryse. Il faudra alors s’assurer que tous les autres éléments comme le testament, la convention entre actionnaires, les caractéristiques des actions émises, etc. sont planifiés afin que le capital-décès soit ultimement versé à Maryse conformément aux volontés de M. Laramé.

Souscription à un nouveau contrat

À la fin de la rencontre avec M. Laramé, celui-ci s’ouvre davantage sur sa situation personnelle. Il vous apprend qu’il a un autre enfant, Paul, né d’une relation extraconjugale, avec lequel il a des contacts non fréquents, mais réguliers. Lucie et Maryse connaissent l’existence de Paul, mais sans plus. M. Laramé vous dit qu’il aimerait laisser un héritage à Paul, mais sans le nommer dans son testament afin de minimiser les contacts avec les autres membres de sa famille. Afin d’atteindre son objectif, M. Laramé pourrait souscrire un contrat d’assurance vie dont il serait le titulaire et l’assuré. Son fils Paul en serait le bénéficiaire. Advenant le décès de M. Laramé, Paul recevrait directement le capital-décès qui lui serait versé par la compagnie d’assurance sans passer par la succession, minimisant ainsi les contacts avec les autres membres de la famille.

Conclusion

Les produits d’assurance vie étant de plus en plus utilisés en planification financière et successorale, non pas seulement à titre de protection d’un risque, mais aussi pour diversifier leur portefeuille, il nous faut garder en tête les règles propres aux assurances et travailler en collaboration avec des professionnels du domaine afin de nous assurer que le capital-décès sera ultimement versé aux bonnes personnes, conformément aux volontés de nos clients, tout en tenant compte des aspects légaux et fiscaux de chaque situation.

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Suzanne Désy, Notaire, LL. B., D.D.N., TEP, Directrice, Planification fiscale, BMO Groupe financier, Suzanne.Desy@bmo.com

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Automne 2020), vol. 25, no 3.