Rentes : les peurs enfouies de vos clients

Si la rente permet de limiter le risque de longévité en assurant un certain niveau de revenu durant toute la vie, elle est vue d’un mauvais oeil par les clients qui rechignent devant l’idée de confier à un assureur une somme d’argent importante, sur laquelle ils n’auront plus de contrôle ou d’accès.

« La rente est souvent considérée comme l’enfant pauvre de la planification financière, explique Daniel Laverdière, directeur principal, Planification financière et conseil, à la Financière Banque Nationale. La rente a une mauvaise réputation chez le consommateur qui a l’impression de donner tout son argent à un assureur et de perdre toute la somme par la suite. »

« En assurance vie, les gens n’ont pas cette perception négative, poursuit-il. Ils aiment l’idée de payer des petites primes durant plusieurs années afin que leur succession reçoive une somme importante à leur décès. Ils ont l’impression de gagner quelque chose à la fin du compte. »

Même son de cloche chez François Forget, planificateur financier et directeur administratif de Stratégie financière Impact : « Prendre l’argent de leur « cagnotte » et la donner à un assureur pour en retour recevoir une rente n’est pas quelque chose que beaucoup de clients veulent faire puisqu’ils ont l’impression d’être dépossédés de leur argent. C’est le premier frein que je rencontre avec les clients. »

Aversion pour la perte et l’ambiguïté

C’est ce qu’on appelle, en finance comportementale, l’aversion pour la perte. Cette peur de perdre quelque chose ne permet pas à l’individu de bien évaluer les risques réels auxquels il s’expose.

Par exemple, dans le cas de la rente, le client aura tendance à surévaluer les probabilités qu’il meure tôt. Selon un article publié en 2007 dans les pages du Financial Analyst Journal, les chercheurs Wei-Yin Hu et Jason S. Scott, cette possibilité lui semblera deux fois plus probable que celle qu’il vive tellement longtemps que l’ensemble des primes versées totaliseraient davantage que la rente initialement payée.

D’ailleurs, les retraités auraient beaucoup plus d’aversion pour le risque que les investisseurs qui ne sont pas encore arrivés à cette étape de leur vie. Selon un rapport de l’Institut C.D. Howe, les retraités feraient preuve d’une « hyper aversion pour le risque » et auraient « cinq fois plus d’aversion pour le risque que la moyenne des gens ».

En plus de ne pas aimer perdre d’argent, les clients préfèrent baser leurs évaluations sur des probabilités connues puisqu’ils sont également sujets à une aversion pour l’ambiguïté. Par exemple, selon Wei-Yin Hu et Jason S. Scott, un individu sera toujours plus susceptible de parier sur la pige d’une balle dans un bol contenant 50 balles rouges et 50 balles noires que dans un autre contenant une composition inconnue de balles rouges et noires.

« Dans la littérature sur la finance comportementale, cette préférence est appelée « l’aversion pour l’ambiguïté »: les gens sont plus défavorables aux paris ambigus (probabilités inconnues) qu’aux paris risqués (probabilités connues), écrivent les deux chercheurs. Les retraités qui sont les plus incertains par rapport à leurs probabilités de survie seront donc moins attirés par les rentes. »

Manque de perspective

De plus, les individus ont tendance à prédire les conséquences d’une situation dans un cadre plus étroit que celui qu’ils devraient prendre pour réaliser une évaluation plus réaliste de la situation.

Par exemple, comme l’expliquent Wei-Yin Hu et Jason S. Scott, un individu qui se demande s’il devrait parier 10 $ devrait évaluer l’impact du pari sur l’ensemble de sa richesse, pourtant, ce 10 $ sera souvent perçu de façon isolée.

« Avoir une partie de ses revenus qui proviennent d’une rente devrait permettre à un retraité de dépenser davantage puisque son besoin d’épargne par précaution face au risque de longévité est réduit, écrivent les deux chercheurs. Toutefois s’ils prennent un cadre plus étroit, ils risquent de percevoir la rente comme un pari non relié au reste de leurs actifs et estimer qu’ils jouent une mise sur leur espérance de vie. »

Une autre leçon peut être tirée de la finance comportementale : les individus ont peur de se retrouver avec un placement non liquide. Selon un sondage mené par la Société des Actuaires en 2004, un organisme canado-américain, 61 % des travailleurs soutiennent que le fait de garder le contrôle de ses investissements est très important pour eux à la retraite.

« Si le fait d’avoir éventuellement besoin de liquidités pour faire face à une urgence est une excellente raison de ne pas mettre toutes ses économies dans une rente, ça ne devrait pas empêcher quelqu’un d’en placer de petites parties dans des rentes, écrivent Wei-Yin Hu et Jason S. Scott. Toutefois, comme dans le cas de la surévaluation des risques de mourir jeune, les gens ont aussi tendance à surévaluer les possibilités que des événements catastrophiques arrivent. »

Photo Bloomberg