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Alors que les 11 FNB d’Emerge Canada sont frappés d’une interdiction d’opérations pour avoir fait défaut de déposer leurs états financiers de 2022, des rapports antérieurs montrent que le gestionnaire de fonds a des obligations financières croissantes à l’égard de ces FNB.

Selon les états financiers intermédiaires des fonds au 30 juin 2022, Emerge doit plus de 2,5 M$ en créances à la série de six FNB Emerge ARK, un montant qui a plus que quintuplé en deux ans et demi.

Les états financiers montrent qu’au 31 décembre 2019, les cinq FNB ARK négociés à cette date avaient des créances à recevoir de 486 442 $ ; au 30 juin 2022, le montant à recevoir avait grimpé à 2 539 245 $ pour les six FNB ARK.

Dans leurs états financiers de 2019, les FNB ARK indiquaient que la créance « représent[ait] les montants que les FNB avaient versés à l’avance au gestionnaire pour leur gestion. Les FNB envisagent d’amortir ces créances durant l’année de déclaration 2020 à partir des futurs frais de gestion et coûts d’administration payables au gestionnaire ». Les états financiers ultérieurs notaient que les FNB prévoyaient de « recouvrer ces créances durant l’exercice suivant ».

Les montants impayés ont commencé à porter intérêt au taux de 2,5 % par an en 2020, et le montant des intérêts au 30 juin 2022 s’élevait à 39 172 $ pour les cinq FNB.

Le montant de 2,5 M$ de créances représente environ 2 % de l’actif sous gestion d’Emerge actuellement, soit 118 M$.

« D’après ce que je peux voir, cette manière d’absorber les frais est très différente de la manière dont un gestionnaire de fonds d’investissement FNB absorbe les frais [habituellement], et pas de la bonne manière », a déclaré un spécialiste en FNB établi sur la côte ouest. (Advisor.ca a garanti l’anonymat à ses sources afin qu’elles puissent parler sans contraintes.)

Emerge a décliné les demandes d’entrevue, mais a déclaré dans un communiqué : « Emerge a absorbé certains frais de fonctionnement des FNB Emerge, ce qui est une pratique courante dans le secteur des fonds. Absorber n’est pas emprunter auprès des FNB. L’absorption des frais de fonctionnement par le gestionnaire a profité aux actionnaires, car cela a réduit le [ratio des frais de gestion] et a contribué positivement à la performance ». Le communiqué a également précisé que les actionnaires ont bénéficié des intérêts.

Dans chaque état financier, les absorptions de frais de fonctionnement indiquées étaient inférieures aux créances indiquées au cours du même exercice financier pour le même FNB ; dans certains cas, elles étaient inférieures d’un ordre de grandeur.

Selon Emerge, un gestionnaire a deux façons d’absorber les fais de fonctionnement : soit les payer directement, soit rembourser ces frais au FNB après que le FNB les a payés.

« Nous avons choisi la deuxième approche, c’est pourquoi nous avons également inscrit une créance pour chaque fonds en tant que “somme due par Emerge Canada” » a déclaré Emerge.

Un examen des états financiers de dix autres petites séries de FNB dont l’actif sous gestion est semblable à celui d’Emerge (moins de 500 M$) a montré que la plupart des gestionnaires absorbaient les frais de fonctionnement de leurs FNB et les payaient directement chaque année. Seulement deux des dix séries de FNB avaient une « créance du gestionnaire de fonds » pour l’exercice 2021, mais les deux créances ont été éliminées pour l’exercice 2022. Aucune des dix séries de FNB n’a déclaré que les créances dues portaient des intérêts.

« Si [la créance] est temporaire, cela ne vaut vraiment pas la peine de la mentionner, a dit un spécialiste des FNB en Ontario. Mais si elle n’est pas temporaire, c’est un problème, car que se passe-t-il si les fonds sont liquidés et payés ? » Cela pourrait entraîner un déficit de trésorerie, selon lui.

Dans son communiqué, Emerge a déclaré que son comité d’examen des investissements « a revu nos pratiques en matière de frais, les divulgations et le rendement du fonds ». Les rapports déposés entre 2020 et 2023 par ce comité, qui a pour mandat de passer en revue les conflits d’intérêts transmis par le gestionnaire, n’indiquaient aucune mention concernant cette question ou les débats sur les créances.

De plus, « les fonds et Emerge ont bénéficié de trois audits favorables de la part de BDO Canada pour les exercices financiers terminés à ce jour, y compris le traitement des montants dus aux fonds pour le remboursement des frais », a déclaré Emerge.

BDO, le vérificateur d’Emerge, a démissionné le 3 novembre 2022 et Emerge n’a trouvé aucun autre vérificateur. Par conséquent, l’entreprise n’a pas pu respecter la date limite du 31 mars pour déposer les états financiers annuels vérifiés, ce qui a mené la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) à rendre une ordonnance d’interdiction d’opérations (OIO) sur les 11 FNB Emerge. Un porte-parole de l’organisme de réglementation a déclaré qu’une telle OIO n’avait jamais été rendue à l’encontre d’une gamme de FNB.

Vu l’ordonnance d’interdiction d’opérations, le secteur des FNB invite les conseillers à rassurer les investisseurs en leur expliquant que leurs actifs sont détenus en fiducie.

Dans un récent message adressé aux actionnaires, Lisa Langley, fondatrice et PDG d’Emerge, a déclaré que, bien que les FNB ne puissent être achetés ou vendus en raison de la suspension des opérations, les stratégies sont toujours gérées activement et tous les actifs sont détenus par le dépositaire des fonds, RBC Services aux investisseurs et de trésorerie.

« Les FNB Emerge existent toujours et ils ont de la valeur », a affirmé Lisa Langley.

L’entreprise s’efforce de répondre aux exigences de la CVMO et de faire annuler l’OIO, a-t-elle dit, ajoutant qu’elle ne pouvait garantir que l’ordonnance serait retirée.

Pat Dunwoody, directrice générale de l’Association canadienne des fonds négociés en Bourse (ACFNB), a souligné que l’argent des investisseurs est détenu en fiducie et qu’il est géré par des gestionnaires de portefeuille pendant que l’ordonnance est en vigueur.

« Les gens ne devraient pas craindre de perdre leur argent, a-t-elle affirmé. C’est juste… qu’ils ne peuvent pas y accéder actuellement. »

Selon Pat Dunwoody, c’est le moment pour les investisseurs de parler avec leurs conseillers : « C’est pour cela que vous payez un conseiller : pour vous donner la certitude qu’il va faire des recherches et s’assurer que votre argent est en sécurité. »

En 2019, Emerge a lancé cinq FNB basés sur les fonds ARK de Cathie Wood (plus un sixième en 2021) et l’an dernier, cinq fonds ESG actifs EMPOWR gérés par des femmes.

Les fonds ARK Emerge ont connu quelques années mouvementées. Le FNB Ark Innovation de Cathie Wood, d’une valeur de 7,5 G$, est devenu célèbre quand il a profité du premier rebond de la pandémie alors que les taux d’intérêt étaient tombés à zéro, et a affiché un rendement annuel de 153 % en 2020. Depuis, il a cessé d’engranger ces profits, car les titres du secteur de l’innovation ont été mis à mal dans un contexte de hausse des taux d’intérêt.

Au 6 avril (dernier jour de négociation de ces FNB), les six fonds ARK Emerge affichaient des rendements sur un an allant de -19,2 % pour le FNB consacré à l’exploration spatiale à -34 % pour le FNB consacré aux innovations de rupture. Seul le FNB consacré aux technologies autonomes et à la robotique affiche un rendement positif (9 %) depuis son lancement. Les six FNB ARK ont tous rebondi cette année, le FNB consacré à l’intelligence artificielle et aux grandes entreprises technologiques étant en tête avec un profit de 27,6 % depuis le début de l’année.

Ces fonds n’ont pas réussi à susciter l’intérêt des investisseurs. Les investisseurs canadiens pouvaient déjà acheter directement les versions américaines des FNB ARK, et BMO a également offert des versions de trois de ces fonds en novembre dernier.

Au 12 avril, le principal fonds, le FNB Emerge ARK Global Disruptive Innovation, avait un actif sous gestion d’environ 73,3 M$ pour ses versions canadienne et américaine. Le deuxième fonds en importance était le fonds consacré à la génomique et à la biotechnologie avec moins de 13 M$ ; les actifs sous gestion de tous les autres fonds étaient inférieurs à 8 M$.

Les manufacturiers canadiens de FNB estiment souvent qu’un actif sous gestion de 20 M$ à 50 M$ constitue le seuil de rentabilité d’un FNB, et que les FNB qui facturent des frais plus élevés peuvent survivre à l’extrémité inférieure de ce seuil. Les FNB ARK Emerge, des fonds actifs composés de 25 à 50 titres, facturent des frais de gestion de 0,8 %.

Les cinq fonds EMPWR lancés en septembre 2022 ont eu encore plus de difficultés à générer des actifs. Au 12 avril, aucun des cinq fonds n’avait franchi le seuil du million de dollars pour les versions en dollars canadiens et américains. Les informations sur les rendements de ces fonds ne sont pas encore disponibles.