kentoh / 123rf

Certains y voient un signe avant-coureur inquiétant pour le monde financier, d’autres pas.

La grande banque américaine JPMorgan s’inquiétait le 3 octobre dernier d’une attrition de la demande pour les Treasuries : « Nous demeurons préoccupés par le manque de demande structurelle pour les Treasuries », écrivaient les analystes Jay Barry et Srini Ramaswamy. Ces derniers craignaient que toute baisse sensible de la demande se traduise par une hausse des taux de rendement et, du coup, d’une baisse de la valeur des obligations gouvernementales.

Seulement une semaine plus tard, la banque d’affaires Morgan Stanley donnait une réplique voilée aux craintes de JP Morgan, écrivant : « La dette publique américaine a créé des problèmes par le passé, mais savoir qui en achètera n’en a pas créé, écrivait Matthew Hornbach, chef mondial de la stratégie macro. Historiquement, les rendements des Treasuries sont d’abord déterminés par la politique monétaire de la Réserve fédérale, avec l’appui de politiques fiscales et de politiques monétaires étrangères. »

Des milliards de dollars manquent au rendez-vous

Voici comment se répartissait la dette américaine de 31 billions $US en septembre 2022, selon finmasters. Les investisseurs américains en détenaient 9,8 billions, la Réserve fédérale, 5,3 billions, la Sécurité Sociale américaine, 2,9 billions, le Japon, 1,3 billion, la Chine 1,1 billion, le Civil Service Retirement & Disability Fund, 900 G$. « Si vous comptez les investisseurs américains à côté de la dette intra-gouvernementale, 53,6%, soit plus de la moitié de la dette, est détenue par des entités américaines », écrit Finmasters. En 2022, le coût de la dette fédérale américaine accaparait 400 GUS, soit près de 30% du déficit de 1,38 billion pour cette année-là.

Le phénomène du retrait des acheteurs de Treasuries a commencé à se manifester de façon plus marquante il y a un peu moins d’un an. En mai 2022, pour la première fois depuis 2010, la Chine faisait passer son avoir en Treasuries sous la barre du billion $US à 980 G$ américains, poursuivant une baisse progressive qui avait commencé en mai 2021. Pendant cette période d’un an, la Chine a réduit ses avoirs en Treasuries de 100 G$US, soit 9% de son portefeuille. On juge que c’est la hausse des taux par la Réserve fédérale, commencée en mars 2022, qui a incité la Chine à réduire ses avoirs.

Ainsi, du premier rang parmi les détenteurs internationaux de la dette américaine, la Chine est passée au deuxième rang, derrière le Japon. Mais le pays du Soleil Levant est également en train de réduire ses avoirs en Treasuries, rapportait le Wall Street Journal en novembre dernier

Ayant acheté environ 500 G$US de dette américaine, faisant passer leur portefeuille à 1,2 billions $US, les Japonais en ont retranché près de 40 G$US d’avril à septembre 2022. « Au lieu de compter sur la demande de Treasuries de la part des investisseurs japonais, les investisseurs sont de plus en plus préoccupés par un changement potentiellement déstabilisant des flux de capitaux mondiaux », écrit le WSJ.

La Fed n’achète plus

Évidemment, il n’y a pas que les investisseurs internationaux, asiatiques surtout, qui boudent les obligations de l’Oncle Sam. Deux autres acheteurs importants se retirent. Tout d’abord, de façon bien affichée, la Réserve fédérale a entrepris de réduire son bilan, ce qui l’amène à ne plus se pointer aux enchères du Trésor américain et à vendre des Treasuries dans les marchés financiers. Ensuite, les banques commerciales américaines sont, elles aussi, en mode d’attrition. Le WSJ calcule que la Fed a abaissé ses avoirs de 180 G$US tandis que les banques se sont départies de 60 G$US.

Par ailleurs, on compte sur les investisseurs américains, institutionnels et particuliers, pour absorber une partie de l’offre des Treasuries qui proposent maintenant des rendements plus attrayants.

Ce n’est évidemment pas une déroute. Mais le repli demeure préoccupant. « Le renversement de la demande a été stupéfiant, car il est rare que la demande de chacun de ces trois types d’investisseurs soit négative en même temps », font ressortir les analystes de JPMorgan.

Le WSJ commente : « Bien sûr, ce n’est pas la première fois que l’on s’inquiète de savoir qui va acheter toutes les obligations. Les mises en garde contre une nouvelle génération de ‘justiciers obligataires’ ont déjà atteint un crescendo avant de tomber à plat ces dernières années, les banques centrales du monde entier s’efforçant d’écraser les taux d’intérêt. Mais certains affirment que cela pourrait changer dans un environnement inflationniste où les banques centrales sont contraintes de couper court dans leur assouplissement monétaire. »

Or, Morgan Stanley juge qu’on n’a pas raison de s’inquiéter du retrait des acheteurs de Treasuries parce que ce ne sont pas leurs achats qui déterminent le niveau des taux de rendement, mais les politiques monétaires de la Fed. C’est un étonnant déni de la loi de l’offre et de la demande dans les marchés financiers.

Pourtant, les Treasury yields semblent bel et bien sensibles à ces lois. « Le 22 septembre, écrit le WSJ, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a enregistré sa deuxième plus forte hausse de l’année après que le gouvernement japonais ait déclaré qu’il achetait des yens avec des dollars provenant de ses réserves de devises étrangères pour la première fois depuis les années 1990. »