une petite boule sur lequel on retrouve le drapeau du Canada à côté d'un signe de dollar
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Avant 1990, les fonds de pension canadiens devaient investir 90% de leurs actifs au Canada. Les choses ont bien changé. Aujourd’hui, les huit principales caisses de retraite canadiennes – les notoires Maple 8 – ne possèdent plus que 25% de leurs actifs au Canada. La part des actions publiques languit à 3%, soit le poids du Canada dans l’indice MSCI Monde.

Selon une analyse de Letko Brosseau, il s’agit d’une situation aberrante où le Canada tient place de parent pauvre. Aux États-Unis, les actifs américains dans les fonds de pension de ce pays occupent une part de 75%, en Australie, de 50%, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, de 45%.

Empreinte gigantesque

Or, les Maple 8 occupent une place démesurée dans le paysage d’investissement canadien. Le plus important de ces huit joueurs, le Régime de pension du Canada, équivaut à 19,7% du PIB canadien. Les dix plus importants se découpent une part de 79,4%. C’est une empreinte gigantesque quand on la compare à celle de 11,5% des dix premiers fonds aux États-Unis et à 9,8% dans l’Union Européenne.

Les gestionnaires de caisses fuient-ils le pays parce que les rendements y sont trop mauvais ? Il n’en est rien. À l’échelle internationale, le marché canadien se détache comme une destination de premier choix. Dans la période allant du 1er janvier 2000 au 30 septembre 2023, les rendements au Canada dépassent ceux de tous les autres marchés boursiers, même ceux des États-Unis. Ainsi, ils sont supérieurs de 1,88% à l’indice MSCI Marchés émergents, de 4% à l’indice MSCI EAFE et de 1,3% à l’indice MSCI US.

Au cours des dix dernières années, le marché canadien arrive au deuxième rang mondial après celui des États-Unis, où la performance a été supérieure de 6,74%.

Oublier les réalités économiques

L’exode des capitaux canadiens obéit à « une logique strictement financière », dit Daniel Brosseau, président cofondateur de Letko Brosseau, une logique qui oublie les réalités économiques qui devraient sous-tendre ces affectations de capitaux.

Prenons l’exemple d’un investissement de 1 M$ effectué à l’étranger qui, au bout d’un an, donne un rendement de 10%; rapatrié au pays, ce rendement hausse de 100 000$ le PIB canadien. Le même 1,0 M$ investi dans une entreprise au Canada va permettre l’achat d’une machine au même montant qui va avoir une production de 1,0 M$ et probablement générer un profit de 100 000$. Au bout d’un an, le PIB s’est enrichi de 2,1 M$, non plus seulement de 100 000$.

La logique strictement financière cache toute la réalité sous-jacente à l’investissement initial. Le 1,0 M$ a produit des biens ou des services, payé des salaires, qui ont conduit à l’achat d’autres biens et services. Enfin, à partir de ces salaires, des contributions sont revenues au fonds de pension sous forme de cotisations additionnelles. Effectué à l’étranger, un investissement initial de 1,0 M$ suscite ailleurs un enrichissement de 2,1 M$ au lieu de le voir éclore au Canada.

Économie en perte de vitesse

Or, l’économie canadienne montre des carences d’investissement à tous les détours. Il n’est peut-être pas étonnant que depuis l’autorisation donnée aux fonds d’investir plus de 10% de leurs actifs à l’étranger, le PIB par habitant au pays a fléchi de 10 points de pourcentage par rapport à celui des États-Unis, passant à 75%.

Par ailleurs, « les Américains investissent environ 125% de plus par travailleur, » note Daniel Brosseau, tandis que le Canada sous-investit de façon chronique dans ses entreprises en démarrage. Pour chaque dollar qu’y injecte le Canada, les États-Unis en injectent 39$. « De plus, les Canadiens ne fournissent que 34% du financement de leurs propres ‘startups’, tandis que les 66% restants sont fournis par d’autres », ajoute-t-il.

Une récente étude de l’Institut C.D. Howe confirmait la lecture de Letko Brosseau, révélant que le PIB par travailleur s’élevait à 105 000$ comparé à 149 000 $ aux États-Unis,143 000$ en France et 141 000$ au Royaume-Uni. La productivité du Canada est constamment en déclin surtout à cause de la baisse de l’investissement, juge l’Institut.

Pourtant, « les occasions d’investissement ne manquent pas au Canada », lance Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à Banque Nationale du Canada Marchés financiers. « Le Canada a admis 1,2 million d’immigrants dans la dernière année alors qu’on a une crise du logement. N’y a-t-il pas un rôle social à jouer dans un tel contexte. (…) Ce n’est pas vrai de dire que l’impératif de la diversification justifie l’attitude des fonds de pension. »

Une règle indicielle financière – pas économique

Sous cet impératif de diversification s’en cache un autre, celui de la règle indicielle de 3% : parce que le Canada ne représente que 3% de l’économie mondiale, les gestionnaires devraient limiter leur part d’investissement à cette proportion. C’est ce que les consultants en allocation d’actifs leurs conseillent systématiquement. Appliquer cette règle « laisserait le pays dépendant de la bonne volonté du reste du monde pour combler la part d’investissement de 97% qui manque », affirme Letko Brosseau.

Daniel Brosseau ne porte pas de blâme à l’endroit des gestionnaires de fonds de pension. « Ils accomplissent le mandat qu’ils ont reçu », dit-il. Par contre, il est grandement temps qu’ils corrigent le tir, juge-t-il, et pour y parvenir il propose d’imposer une contrainte semblable à celle qu’on trouve dans le secteur bancaire. Ainsi, rien n’interdit une banque canadienne de financer une hypothèque à Miami ou à San Francisco, mais elle devra appliquer contre ce prêt une réserve de capital supérieure. De même, rien ne devrait interdire un fonds d’investir à l’étranger, mais il devrait le faire au prix d’une réserve de 5% mise de côté.

« Les entreprises et le pays qui n’investissent pas en eux-mêmes risquent de perdre du terrain et de faillir, juge Daniel Brosseau. Le Canada est riche d’opportunités. Il a besoin de gens qui croient en son avenir et qui ne se détournent pas. »