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Les chutes coup sur coup de Silicon Valley Bank, Crédit Suisse, Signature Bank et Silvergate jettent le trouble dans la communauté des investisseurs institutionnels. Selon le plus récent sondage mondial des gestionnaires de portefeuille réalisé par Bank of America, un choc de crédit systémique est le sujet qui, à hauteur de 31% des répondants, préoccupe le plus les gestionnaires à ce moment. L’humeur des participants est à un des plus bas niveaux recensés au cours des 20 dernières années.

Le réputé stratège haussier Marco Kolanovic, chef de la recherche quantitative chez JPMorgan, a publié le 20 mars un rapport déclarant que les faillites des banques, les remous boursiers et l’incertitude économique suscitée par la lutte des banques centrales contre l’inflation ont accru les chances que survienne « un moment Minsky ». Évoquant le nom de l’économiste Hyman Minsky, un tel moment identifie l’éclatement d’un boom économique qui a accumulé des niveaux de risques et de dettes que les emprunteurs sont incapables de rembourser.

Les deux faillites bancaires les plus retentissantes du dernier mois sont Silicon Valley Bank et Crédit Suisse. Il s’agit de deux cas très différents, mais qui ont un trait majeur en commun : la perte de confiance de leurs déposants face à leur potentielle insolvabilité.

Selon Bob Michele, chef des placements chez JPMorgan Asset Management, la contagion qui sévit dans le monde bancaire international ne fait que commencer. « Vous allez voir des impacts longs et variables, cumulatifs et décalés heurter le marché. Je pense qu’il s’agit là uniquement de la pointe de l’iceberg. »

Base très friable

Or, ce que les ténors de la finance et les médias auxquels ils parlent manquent de nous dire, c’est combien fragile au départ est la structure de capital sur laquelle reposent les banques, rappelle Anat Admati, économiste et professeure de finance à l’Universtité Stanford et auteur du livre The Bankers’ New Clothes. Lors d’une présentation en 2016 à une Conférence de la Federal Reserve Bank of Minneapolis, elle réitérait l’avertissement de son livre, à l’effet que la base de capital propre des banques est nettement insuffisant.

À la suite de la crise de 2008, et devant les nouvelles exigences de Basel III, les banques ont affirmé avoir haussé leur capital propre à 10% et même 12% de leurs actifs. Mais c’est un leurre, constatait Anat Admati dans son livre. En réalité, quand on cherche le réel capital de réserve total des banques, sans les acrobaties de « poids de risque » qu’on subdivise en trois sous-catégories de capital, le niveau réel de capital propre se situe plutôt entre 3% et 5%.

Dans le cas de JPMorgan, la plus grande banque américaine, au début de 2012 son équité totale s’élevait à 3,1% lorsque calculée selon la valeur au marché de ses actifs, à 5,6% selon leur valeur historique. Pourtant, il fut un temps au tournant du 20e siècle où les autorités américaines exigeaient un niveau de capital propre de 20%-25%.

Un niveau de 5% est nettement insuffisant pour une société multinationale dont les tentacules s’étendent partout dans l’économie et la société. Anat Admati fait valoir que, « hors les banques, il est rare qu’une entreprise saine finance plus de 70% de ses actifs avec de l’emprunt. » Dans le cas des banques, c’est 95%.

Zombies bancaires

Un tel niveau de levier rend les banques intrinsèquement risquées, juge Anat Admati, pourtant c’est dans ces mêmes institutions que tout le monde confie ses épargnes. C’est ce qui a fait dire à Anat Admati, lors d’une présentation au ministère des finances de La Haye, que « les banques sont les zombies du 21e siècle. »

Anat Admati rappelle également la gigantesque présence des dérivés sur taux d’intérêt, sur un total de produits dérivés d’une valeur notionnelle de 189 billions $US concentrés aux États-Unis à plus de 89% dans seulement quatre banques. Au niveau mondial, selon la Banque des règlements internationaux, la valeur notionnelle des dérivés s’élevait en juin 2022 à 632 billions $US, dont les dérivés de taux d’intérêt occupent une part de 502 billions $US, soit 79% de l’ensemble.

L’exposition nette est évidemment moindre, s’élevant aux États-Unis à 446 milliards $US, mais cela demeure une somme considérable quand on se rappelle qu’une perte de 1,8 milliard $US a suffi pour emporter Silicon Valley Bank.

Or, tout cet édifice de dérivés sur taux d’intérêt est considérablement fragilisé par une hausse de taux qui les a vus monter de 425 points de base en moins d’un an.

Enfin, rappelons un dernier fait historique et crucial peu évoqué dans les remous actuels. Avant la crise de 2008, d’avril 2004 à août 2006, la Réserve Fédérale avait également haussé son taux directeur de 425 points de base, dressant la table un an avant que l’édifice bancaire ne commence à se désagréger. Il y a une différence majeure : en 2006, la hausse avait été de 425%, partant d’un creux de 1%; en 2023, partant d’un creux de 0,08%, la hausse a été de 5 725%.