Marché primaire : les petits émetteurs boudent le Québec, mais l'argent continue d'y affluer

Depuis 2009, les bourses ont largement favorisé la gestion indicielle. Il suffisait d’acheter un fonds négocié en Bourse répliquant la performance de l’indice S&P 500 pour empocher des rendements annualisés de 16 %.

Selon plusieurs experts, ce contexte a changé. En 2014, la gestion active des portefeuilles devrait prendre du galon.

Ainsi, quand les marchés vont bien, la gestion indicielle a le vent dans les voiles. Même les gestionnaires actifs copient à peu de choses près les indices boursiers.

Cela s’est vu pour les périodes de 1995 à 1999, de 2004 à 2007, puis ces dernières années.

«Pourtant, il y a eu 2000-2001 et la dernière crise financière», rappelle Yves Martin, président d’Akira Capital et spécialiste des produits dérivés.

Il entend un peu partout ces temps-ci : «le marché va bien, on a du S&P 500, on n’a besoin de rien d’autre…»

Même si les rendements passés ne sont pas garants des rendements futurs, on souhaite investir dans ce qui va bien. Yves Martin appelle cela l’effet psychologique de «momentum».

Efficience des marchés

Eugene Fama, prix Nobel d’économie en 2013, affirme qu’il est très difficile de battre les indices boursiers, puisque les marchés sont efficients. Selon lui, les prix des actifs sont toujours justes, car ils reflètent toute l’information disponible.

Ceci est vrai si les anomalies présentes dans le marché sont constamment soumises à l’arbitrage par les différents intervenants.

D’après François Bourdon, vice-président, répartition globale de l’actif et revenu fixe chez Fiera Capital, ce n’est pas le cas. Il cite, en guise d’exemple, le marché canadien des obligations.

«L’anticipation d’une remontée des taux d’intérêt, historiquement bas, favorise une gestion plus active de ces titres. En profitant de l’inefficience du marché obligataire, on peut ajouter du rendement et battre les indices», dit-il.

Rappelons que pour certaines catégories d’actifs, il est carrément impossible de reproduire le rendement du marché. «L’immobilier, les infrastructures ou des prêts aux particuliers entrent dans cette catégorie», énumère François Bourdon.

«Dans les actions américaines, la compétition est grande, et le marché, très liquide. Battre les indices peut donc se révéler difficile, spécialement pour un gestionnaire qui réplique à peu de choses près un indice boursier», concède François Bourdon.

Chez Fiera, les gestionnaires en actions évitent de coller à un indice. Ils prennent de bonnes positions sur certains titres avec la forte conviction qu’ils devraient obtenir un meilleur rendement que l’ensemble du marché.

«Sur un total d’environ 1 500 titres dans l’indice MSCI Monde, notre gestionnaire détient environ 50 placements», illustre-t-il.

Profiter des anomalies

Les gestionnaires passifs doivent détenir tous les titres d’un indice, alors que ceux qui sont actifs ne les achèteront pas s’ils les jugent plus coûteux que d’autres, souligne François Bourdon.

De plus, ceux qui répliquent un indice obligataire n’ont pas d’autre choix que de racheter des titres lorsqu’il y a des paiements de coupons, comme c’est le cas le 1er décembre et le 1er juin de chaque année.

Photo : Bloomberg

 
«Cette nécessité d’acheter des titres crée des situations d’arbitrage, puisque les gestionnaires actifs achètent ces titres avant les indiciels et les leur revendent ensuite en faisant un léger profit», remarque-t-il.

Volatilité

Selon Vital Proulx, président et chef des placements chez Hexavest, depuis une dizaine d’années, la dispersion des rendements des actions parmi les pays développés a été relativement contenue. Ceci est directement lié à une plus faible volatilité de la croissance économique ainsi qu’à la mondialisation des échanges.

«En réduisant les écarts de rendement entre les différentes catégories d’actifs, cette situation a pu rendre une gestion indicielle plus appropriée. Mais à l’avenir, on devrait revenir à un environnement beaucoup plus volatil et ces écarts de rendements s’élargiront à nouveau, d’où l’avantage d’avoir une gestion active du portefeuille», fait valoir Vital Proulx.

Selon lui, les pays sont dans un processus de désendettement. La croissance mondiale devrait être non pas moins volatile, mais plus modeste.

Les banquiers centraux n’ont plus de marge de manoeuvre pour baisser les taux et les gouvernements sont trop endettés pour donner des stimuli budgétaires.

Dans un contexte de hausse de taux et de marchés boursiers plus moroses, répliquer un indice n’est peut-être pas la meilleure stratégie. «C’est particulièrement vrai, si on a des engagements à respecter, comme un régime de retraite», affirme Yves Martin.

Le rôle de fiduciaire de ces fonds devrait les inciter à sortir de l’effet de foule qui consiste simplement à avoir un meilleur rendement que le marché.

«Certains gestionnaires diront : ce n’est pas grave si on a fait un rendement de – 15 %, tout le monde était dans cette situation», illustre Yves Martin.

«Les fonds de pension devraient plutôt aligner leur rendement sur leur passif en recherchant des rendements absolus», croit-il.

Guerre de chiffres

Cette bataille que se livrent les indiciels par rapport aux gestionnaires actifs est avant tout une guerre de chiffres.

D’après les tenants d’une gestion passive, tel que William Sharpe, les gestionnaires qui réussissent à battre leur indice après frais sont une minorité, soit entre 10 et 15 %.

«Il sera très difficile de choisir lesquels de ces 100 gestionnaires performeront mieux que l’indice dans l’avenir», explique Richard Guay, ancien patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec et professeur titulaire en finances à l’UQAM.

Selon François Bourdon, plusieurs études montrent tout le contraire. «Selon une récente étude de Mercer, sur des périodes de cinq ans et sur l’ensemble des catégories d’actifs, les gestionnaires actifs canadiens battent les indices», remarque-t-il.

«Quand on affirme que les gestionnaires ne réussissent pas à le faire après frais, il s’agit souvent des gestionnaires de fonds communs, puisque leurs coûts sont assez élevés», accorde François Bourdon.

«On doit également se rappeler que les indiciels ne pourront jamais mieux performer que le marché, puisque des frais seront toujours associés au fait de répliquer des indices», ajoute-t-il.

Selon Richard Guay, la persistance des rendements est un facteur essentiel pour prévoir si un gestionnaire pourra battre un indice.

«Or, dans les faits, sa bonne ou sa mauvaise performance ne dépend pas uniquement du talent et du travail, mais également de la chance», croit-il.

«Les écarts de talent entre les gestionnaires sont habituellement faibles, et le choix d’un placement peut se révéler être une bonne ou une mauvaise décision pour des raisons hors de la volonté du gestionnaire», ajoute Richard Guay.

«Pour assurer l’équilibre des marchés, il est bon qu’il y ait des gestionnaires indiciels et des gestionnaires actifs», nuance Vital Proulx.

Si tous les investisseurs répliquaient des indices, on aurait de la difficulté à trouver le vrai prix des actifs, selon lui.

«Imaginez si on achetait tous du S&P 500 et que les banques se retrouvaient au bord de la faillite, on continuerait d’acheter l’indice et cela créerait de la distorsion dans le marché», illustre le président d’Hexavest.