Traitement fiscal des dommages : une question de jurisprudence
sebra / Shutterstock

« La Loi de l’impôt sur le revenu (fédérale) est l’une des lois les plus complètes et c’est l’une de ses forces, toutefois, et c’est aussi le cas avec la Loi de l’impôt (Québec), le traitement fiscal des dommages ne relève pas d’un cadre législatif complet, car il n’existe que très peu de dispositions législatives traitant spécifiquement d’une catégorie de dommages. Par exemple, les dommages différés versés pour congédiement font l’objet d’un article, tout comme les lésions professionnelles, mais dans la majorité des cas, on ne prévoit rien dans ces lois en ce qui a trait au traitement fiscal devant être appliqué », indique Me Martin Delisle, avocat fiscaliste, associé chez De Grandpré Chait s.e.n.c.r.l.

Le traitement fiscal des montants reçus ou payés à titre de dommages, que ce soit dans le cadre de règlements à l’amiable ou de jugements, doit d’abord être analysé sous l’angle de la relation juridique existant entre le payeur et le bénéficiaire, estime Martin Delisle.

Lire aussi – Dossier fiscalité

« La relation juridique entre le payeur et le bénéficiaire de la somme constitue un facteur important pour déterminer le traitement fiscal applicable », analyse Martin Delisle.

S’il s’agit d’une relation juridique commerciale, il y a de très fortes chances que les montants reçus ou payés à titre de dommages puissent être considérés comme du revenu d’entreprise, signale-t-il. « Mais tout reste une question de faits », tient-il à souligner.

Dans l’arrêt Tsiaprailis (affaire Tsiaprailis c. La Reine, [2005] 1 R.C.S. 113, 2005 CSC 8), la Cour suprême du Canada souligne que les rapports juridiques établis par un contribuable doivent être respectés en matière fiscale, sauf disposition contraire de la loi ou hormis une conclusion selon laquelle il s’agit d’un trompe-l’oeil, évoque Martin Delisle.

« La Cour suprême du Canada est relativement claire là-dessus et Revenu Québec, ainsi que l’Agence du revenu du Canada, doivent respecter les rapports juridiques entre les parties, exception faite des cas de fraude », ajoute-t-il.

Principe de la substitution

Selon Martin Delisle, compte tenu de la jurisprudence et bien que ce ne soit pas toujours un automatisme, l’analyse du traitement fiscal qui sera effectué, le sera alors selon le principe de la substitution. Une analyse doit alors permettre de déterminer adéquatement la nature et l’objet de la somme qui a été payée ou reçue à titre de dommages.

Lire aussi – Cinq conseils fiscaux de fin d’année

La Cour suprême du Canada a émis quatre principes relativement au principe de la substitution, la première étant que toute somme reçue à titre de dommage est neutre d’un point de vue fiscal. Pour déterminer si la somme reçue doit être considérée comme un revenu, il faut d’abord statuer sur ce que cette somme visait à remplacer et si l’élément remplacé aurait été imposable pour la personne qui en a bénéficié.

Selon le second principe, l’application du principe de la substitution ne repose pas sur le caractère imposable de l’un ou de plusieurs des éléments de référence permettant de calculer les dommages-intérêts. « Cette analyse doit se faire du point de vue du bénéficiaire, en fonction de la nature du droit et des allégations », ajoute Martin Delisle. Il s’agit là du troisième principe.

Finalement, la Cour suprême du Canada a déterminé que le principe de la substitution pouvait être considéré dans le cas où le dédommagement a été versé dans un contexte commercial ou non.

Le principe de la substitution s’applique donc pour déterminer la déductibilité des sommes versées par le payeur des dommages. Il faut toutefois noter qu’aucun montant versé comme dommages-intérêts n’est déductible avant qu’il ne soit arrêté et déterminé définitif, et que ne soit établie l’obligation de la payer, selon la décision Woloshyn (affaire Woloshyn c. La Reine, 2011 CCI 306).

Martin Delisle considère également que le contribuable doit faire preuve de prudence dans les propos ou les affirmations tenus dans le cadre des procédures judiciaires ou non-judiciaires à l’origine du paiement ou de la réception du montant de dédommagement. Et ce, que ces propos aient été tenus via son avocat ou non. Ses prétentions peuvent s’avérer décisives au moment de déterminer l’objet du dommage.

Selon lui, lors de règlements hors cour conclus au civil, il arrive souvent qu’une somme forfaitaire soit versée sans qu’on ait déterminé au préalable ce à quoi le paiement devait se rapporter, malgré la présence de plusieurs réclamations de dédommagement de différente nature. Cette situation complique le traitement fiscal des montants alors reçus.

« Pour essayer de déterminer le bon traitement fiscal des montants reçus à titre de dommages, il est important d’identifier et de ventiler les différentes réclamations de dommage dans les procédures et surtout lors de la conclusion d’un règlement hors cours », mentionne Martin Delisle.

Traitement fiscal des honoraires judiciaires

La question entourant le traitement fiscal des frais judiciaires et extrajudiciaires est un aspect du traitement fiscal des dommages qui fait peur un peu à tout le monde, selon Martin Delisle.

Il y a une certaine logique à respecter en ce qui a trait au traitement fiscal des honoraires judiciaires et extrajudiciaires, souligne-t-il. « Une entreprise ne peut, d’un côté, déduire les honoraires qui lui ont été facturés dans le cadre de ses activités commerciales et de l’autre, lorsque cette entreprise récupère un montant d’argent, prétendre que ce montant n’est pas imposable », évoque-t-il.

Pour illustrer la situation, Martin Delisle cite l’arrêt Goff Construction (Goff Contruction Ltd. C. La Reine, 2009, D.T.C. 5061 (CAF)). Goff Construction a poursuivi un cabinet d’avocat relativement à une faute extracontractuelle. Tout au long de la durée des procédures judiciaires Goff a déduit les honoraires extrajudiciaires et judiciaires de ses avocats, payés au cours des années d’imposition où les procédures judiciaires ont perduré. Puis, un règlement hors cours est intervenu et Goff a obtenu 400 000 $ en dédommagement.

Lors de l’année de la réception de cette somme, Goff ne l’a pas inclus dans son revenu, la qualifiant de non imposable, puisqu’elle visait le remboursement de frais et de dépenses déjà défrayés comme dédommagement à titre de compensation et non pas à titre d’enrichissement ou de revenu perdu. La Cour d’appel fédérale a toutefois analysé le traitement fiscal des dommages sous le principe de la substitution, et a conclut qu’en déduisant les honoraires judiciaires et extrajudiciaires, Goff récupérait ces montants dans le cadre de ses activités commerciales. Le montant récupéré a donc été considéré comme des revenus.

Selon Martin Delisle, l’arrêt Goff Construction démontre bien qu’une dépense déduite et afférente au paiement d’un dédommagement est susceptible de rendre un montant payé à titre de dommage, ente les mains du bénéficiaire, imposable.