Une femme aux ongles jaunes qui tient une petite tête de licorne en plomb.
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Bien que la récente chute des marchés, notamment en raison du virus de la  COVID-19, et l’incertitude économique risquent de ralentir leur croissance, les entreprises désignées « licornes » ont récemment retenu l’attention des investisseurs. Par contre, il faut être prudent avec ces jeunes entreprises inscrites en Bourse qui ne dégagent pas encore de bénéfice, car elles peuvent aussi bien engraisser un portefeuille que le plomber, préviennent des spécialistes.

Une licorne est une start-up privée évaluée à plus d’un milliard de dollars américains. Aileen Lee, fondatrice de Cowboy Ventures, a inventé l’expression « Unicorn » en 2013, en choisissant cet animal imaginaire afin d’illustrer la rareté statistique à propos de ces entreprises.

Dans une récente analyse (« Wounded unicorns are running for the clouds »), la firme de gestion de patrimoine Richardson GMP souligne que ces entreprises ont, dans l’ensemble, plus de difficulté en Bourse depuis quelque temps.

« La chasse à la licorne devient de moins en moins attrayante depuis que de nombreux premiers appels publics à l’épargne (PAPE) importants ont connu récemment des ratés plutôt que de générer un coup de circuit garanti », écrivent les quatre auteurs de l’analyse.

Si des PAPE de ces dernières années comme ceux de Peloton (équipements d’exercice et médias), de Lyft (covoiturage) et d’Uber (transport) ont eu du succès, c’est une tout autre histoire depuis le début de 2019.

Les analystes de Richardson GMP citent les exemples de Beyond Meat (alimentation végétale), Zoom Video Communications (vidéoconférence) et CrowdStrike (cybersécurité). « Le titre de ces sociétés s’est envolé après leur offre initiale. Par contre, au cours des derniers mois, ces titres ont perdu une grande partie de leurs gains initiaux », lit-on dans le document de Richardson GMP.

Par exemple, l’action de Beyond Meat (BYND au Nasdaq) s’est d’abord échangée à 66 $ US en mai 2019, pour s’envoler deux mois plus tard à un sommet de 235 $ US, le 26 juillet. À la fin de février 2020, elle était tombée à 106 $ US.

Selon Craig Basinger, chef des placements chez Richardson GMP, il ne faut pas pour autant tourner le dos aux licornes, mais il faut être prudent et bien s’informer.

« Investir dans des entrées en Bourse peut être passionnant et parfois très douloureux. Nous croyons que si un investisseur veut être actif dans ce marché, il doit faire [preuve d’]une diligence appropriée et faire ses propres devoirs », dit-il en entrevue à Finance et Investissement.

De plus, un investisseur ne devrait y placer que le montant qu’il est prêt à perdre, juge Craig Basinger.

Des occasions et des menaces

Même message de prudence de la part de Louis Lajoie, analyste principal, bureau du chef des placements, chez Banque Nationale Investissements.

Les licornes représentent-elles une occasion ou une menace dans un portefeuille ? « Ça dépend », répond-il.

Bien entendu, les cimetières sont remplis de beaucoup d’entreprises « ayant promis mer et monde », à commencer par de nombreuses point com disparues à la suite de l’éclatement de la bulle technologique, au début des années 2000.

Cependant, Louis Lajoie fait remarquer que certaines licornes d’autrefois « ont réussi à trouver le chemin de la rentabilité au fil des années, au grand bénéfice de leurs actionnaires ».

Selon lui, il faut également se méfier des entreprises inscrites en Bourse « qui carburent à l’enthousiasme des investisseurs plutôt qu’aux profits », car elles représentent rarement des aubaines pour les investisseurs. Autrement dit, leur potentiel d’appréciation à terme est moins intéressant.

« En toute circonstance, si un seul titre a une incidence disproportionnée sur l’ensemble d’un portefeuille, qu’il s’agisse d’une licorne ou non, c’est probablement l’occasion de revoir la diversification de celui-ci », rappelle Louis Lajoie.

Par ailleurs, il juge que les investisseurs ont intérêt à « tempérer leurs attentes » en ce qui a trait aux licornes, car leur capacité à répondre aux attentes optimistes des investisseurs est habituellement fort incertaine.

« Il se peut que ce soit effectivement un succès, mais il ne faut pas sous-estimer la possibilité d’échec. C’est pourquoi il est important d’éviter une trop forte concentration dans de telles sociétés, particulièrement lorsque leurs cours boursiers reflètent uniquement les scénarios les plus favorables », explique Louis Lajoie.

Au mérite

Pour Jean-René Ouellet, analyste principal et gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins, il ne faut pas commettre l’erreur de considérer les licornes comme un ensemble uniforme. En effet, chacune doit être évaluée en fonction de ses caractéristiques spécifiques, c’est-à-dire ses forces et ses faiblesses, de même que le dynamisme de leur secteur d’activité.

La taille importante de certaines licornes avant leur entrée en Bourse est aussi un autre enjeu à prendre en considération, souligne-t-il. « Lorsqu’une société devient publique avec une capitalisation boursière excédant déjà quelques dizaines de milliards de valorisation, cela implique assurément que la croissance future sera peut-être moindre », prévient Jean-René Ouellet.

Il rappelle que les géants d’aujourd’hui comme Apple, Amazon et Microsoft, sont entrés en Bourse avec une évaluation inférieure à un milliard de dollars américains. « Ainsi, les investisseurs dans les Bourses traditionnelles ont pu participer au plein essor de ces sociétés », dit-il.

Par exemple, l’action d’Apple s’est échangée sous la barre des 5 $ US durant les années 1980, 1990 ainsi qu’au début des années 2000. Par contre, depuis le lancement de l’iPhone, le titre de l’entreprise a connu une progression fulgurante et a dépassé les 325 $ US en février dernier.

Aujourd’hui, quand des licornes entrent en Bourse en ayant déjà une « taille gigantesque », cela signifie que les investisseurs initiaux et privés ont déjà profité en grande partie de leur potentiel de croissance.

Règles de base

En fait, il faut retenir deux choses fondamentales, selon Jean-René Ouellet.

Premièrement, certaines licornes peuvent représenter de belles occasions d’investissement si elles ont un modèle d’entreprise nouveau, qui viendra bouleverser leur secteur d’activité ou l’économie, et qui assurera une forte croissance de leurs ventes.

Deuxièmement, les licornes peuvent représenter une menace dans un portefeuille si leur titre s’échange à des multiples d’évaluation trop optimistes (par exemple, le cours-bénéfice ou le cours-valeur comptable). Car, même si l’entreprise a une performance très respectable sur le plan de ses activités et de ses finances, sa performance boursière pourrait être décevante, souligne Jean-René Ouellet.

En résumé, les règles de base de l’investissement s’appliquent toujours avec les licornes, bien qu’elles s’adressent généralement aux investisseurs de style croissance qui ont une plus grande tolérance au risque.