Pourquoi certains conseillers pourraient abandonner les fonds communs

La question de la chasse au meilleur climat réglementaire a été soulevée dans des commentaires écrits adressés aux autorités, et dans des séances de consultation sur les frais des fonds communs et la norme du « meilleur intérêt » pour les relations entre investisseur et conseiller. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), qui représentent les organismes de réglementation des valeurs mobilières de tout le pays, cherchent des suggestions de l’industrie et des investisseurs quant à l’opportunité de procéder à des changements affectant la rémunération intégrée des conseillers et d’imposer aux conseillers des normes de service plus élevées.

La fédération des courtiers en fonds communs, qui représente environ 17 000 conseillers et 114 milliards $ d’actifs sous gestion, a dit que les changements de modèles de rémunération pour les fonds communs auraient la conséquence involontaire de transférer des actifs des fonds communs aux fonds distincts.

Puisque ces derniers sont promus par les compagnies d’assurance et structurés comme des polices d’assurance, ils ne sont pas sous la juridiction des autorités régissant les valeurs mobilières. Selon la soumission des courtiers en fonds communs à l’ACVM sur les frais des fonds, les fonds distincts ont moins de contraintes de conformité, paient une rémunération supérieure aux conseillers et sont moins coûteux à administrer. Ils ont aussi des ratios de frais de gestion plus élevés à cause de leurs clauses d’assurance.

Sandra Kegie, directrice générale de la fédération des courtiers, a suggéré une norme du meilleur intérêt, qui inciterait certains conseillers à abandonner les fonds communs de crainte d’être attaqués en justice et acculés à la faillite, risque plus important que s’ils vendaient d’autres produits.

« Si tout ce qui compte pour le conseiller est l’argent et qu’un client l’attaque en justice, ce qui serait un cauchemar, et que le conseiller perd, il perd tout », a dit Mme Kegie lors d’une discussion convoquée le 25 juin à Toronto par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario à l’intention des gens de l’industrie. « Voilà pourquoi le conseiller irait ailleurs. »

Le devoir fiduciaire proposé et que les autorités envisagent devrait s’appliquer à tous les conseillers, et pas seulement aux courtiers attitrés en valeurs mobilières, indique l’Institut canadien des planificateurs financiers (ICPF).

Keith Costello, président-directeur général de l’ICPF, a invité les autorités à coordonner leurs efforts avec leurs homologues du monde des assurances. Il a noté que de nombreux investisseurs particuliers sont servis par des gens extérieurs à l’industrie des valeurs mobilières, comme les agents d’assurance et les comptables.

« Il nous faut une expérience cohérente du consommateur », a dit M. Costello lors du forum de l’ACVM, « de manière à ce que, si je vois mon conseiller ou mon planificateur, je puisse m’assurer, quel que soit le modèle commercial qu’il utilise et quelle que soit la partie de l’industrie à laquelle il appartient, il y a une cohérence. »

En réponse aux commentaires de M. Costello, le conseiller juridique de l’ACVM Jeff Scanlon a concédé que les autorités n’avaient aucun contrôle sur les prestataires de services financiers qui ne sont pas assujettis aux règlements régissant les valeurs mobilières. « Mais il nous faut mettre cela en parallèle avec l’obligation de nous assurer que nous avons la norme qui convient dans le contexte des valeurs mobilières. »

Selon l’avocat d’Ottawa Harold Geller, qui se spécialise dans les litiges et la résolution de différends, les organismes de réglementation des valeurs mobilières exercent bel et bien une influence sur certains vendeurs de produits d’assurance. M. Geller, qui a pour clients à la fois des conseillers financiers et des investisseurs, a dit que les organismes de réglementation ont autorité sur les individus qui sont accrédités dans les deux secteurs : la vente de valeurs mobilières et de produits d’assurance.

Si une norme s’applique à tous les conseils donnés par ces conseillers financiers, a dit M. Geller à un forum de discussion pour investisseurs le 18 juin, cela va aussi affecter le côté de leurs affaires traitant des assurances.

L’abandon des fonds communs par les conseillers pour des raisons réglementaires n’est qu’un d’une série d’arguments avancés en défense du statu quo par l’industrie des fonds et ceux qui vendent ses produits. Les associations corporatives comme L’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) et Advocis (qui est l’association des conseillers financiers du Canada), avancent qu’éliminer les rémunérations intégrées réduirait l’accès aux conseils, serait coûteux et créerait des perturbations.

Pour les groupements de défense des investisseurs, les problèmes principaux sont le conflit d’intérêt inhérent aux rémunérations intégrées et la protection plus importantes qui serait offerte aux investisseurs par l’application d’une norme du meilleur intérêt à la conduite des conseillers. La perspective croissante d’une chasse au meilleur climat réglementaire ne sert qu’à renforcer leur conviction que des réformes sont requises pour mieux protéger les investisseurs.

La Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada) rejette emphatiquement la notion qu’une telle éventualité doive être envisagée par les autorités. Marian Passmore, directrice adjointe de FAIR Canada, a abordé cette question au forum du 18 juin.

« Si l’industrie pense qu’elle agit dans le meilleur intérêt du client ou qu’elle met les intérêts du client au premier plan et qu’elle professe son désir de s’orienter vers un modèle professionnel, dit Mme Passmore, pourquoi dirait-elle que si l’on impose une norme du meilleur intérêt, elle choisirait alors de vendre des fonds distincts à frais élevés pour gagner plus d’argent? C’est vraiment tromper les gens. »

Pour Julia Dubin, avocate torontoise qui se spécialise dans le droit des valeurs mobilières et exerce des fonctions de consultante auprès de FAIR Canada, la solution pour les autorités est simple : « donner l’exemple en appliquant une norme acceptable pour ceux qui sont sous sa coupe, et laisser d’autres organismes de réglementation se soucier de leurs propres responsabilités envers le consommateur. »

Photo Bloomberg