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Une représentante en épargne collective, dont le passé a refait surface durant la campagne électorale municipale de Montréal, cause des tracas à la Chambre de la sécurité financière (CSF). En effet, sa nomination à titre de membre du comité de discipline de la CSF pour la période 2021-2023 soulève un doute quant au processus de vérifications d’antécédents fait par la CSF avant que les professionnels membres de la CSF soient nommés par son conseil d’administration au comité de discipline.

Cette affaire rendue récemment publique par le journaliste de La Presse, Philippe Teisceira-Lessard, a forcé la CSF à demander à son syndic de faire enquête sur les allégations concernant cette représentante.

Selon ces révélations, la conseillère Dimitra Kostarides, qui est candidate au poste de conseillère municipale dans Côte-des-Neiges pour Ensemble Montréal, aurait été liée à un scandale financier au début des années 2000. À ce moment, elle utilisait une autre manière d’écrire son nom, soit Demetra Kostaredes.

C’est ce changement dans la graphie de son nom qui aurait trompé la vigilance du personnel de la CSF, selon une source de l’industrie financière. On ignore également le moment exact où Demetra Kostaredes aurait commencé à se désigner de Dimitra Kostarides. Cette dernière manière de se présenter est celle qui figure actuellement au Registre des individus autorisés à exercer de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ce dernier régulateur suit également l’affaire. Finance et Investissement n’a trouvé de demande de changement de nom ni d’avis en ce sens auprès des registres portant sur ces sujets publiés par le Directeur de l’état civil du Québec.

Or, bon nombre de jugements rendus au Québec évoquent le nom de Demetra Kostaredes. En février 2004, le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRVM) interdisait à Demetra Kostaredes et à son ancien associé, Léonidas Valkanas toute activité en vue d’effectuer une opération sur les titres de Milestone Financial Ltd, une société étrangère qui serait résidante aux Iles Turks et Caïcos, British West Indies et qui effectuerait un appel public à l’épargne sans détenir de prospectus visé.

« Léonidas Valkanas effectue présentement le placement de titres sans le visa et l’inscription requis par les articles 11 et 148 de la Loi ; de plus, pour ce faire il bénéficie de l’aide de Demetra Kostaredes », alléguait à cette époque l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier, l’ancêtre de l’AMF, selon le jugement du BDRVM.

Or, les droits d’exercice à titre de conseiller en placement de Léonidas Valkanas étaient suspendus depuis le 31 janvier 2003, selon les allégations de l’AMF.

« Demetra Kostaredes a été inscrite à titre de représentante pour la firme Demers Conseil Inc. le 14 mars 2003, mais ses droits furent suspendus le 2 juin 2003 et ils le sont toujours à la date de la présente. Auparavant, elle avait été inscrite en épargne collective pour le compte de la firme Planification financière KPLV Inc. », lit-on dans le jugement du BDRVM de 2004. Cette dernière firme avait été acquise par IPC Investment Corporation en décembre 2000.

Au courant des années 2000, des clients de KPLV poursuivent Léonidas Valkanas alléguant que celui-ci aurait effectué de l’appropriation de fonds.

L’un d’eux, George Tzovanis, a gain de cause contre Léonidas Valkanas en 2009. Le juge Robert Mongeon écrit alors : « Il est également évident que Kostaredes et [Kosta] Parthimos sont conscients de l’implication de Valkanas tout au long de l’affaire, mais ils ont choisi de rester vagues sur leur implication dans cette entreprise, ainsi que sur l’implication de Valkanas lui-même. Considérant que les trois étaient des partenaires égaux dans toutes les affaires de KPLV et qu’ils travaillaient en étroite collaboration, Kostaredes et Parthimos pourraient avoir si peu de connaissances sur qui est le vrai pouvoir derrière New Millenium. » [NDLR : notre traduction]

Selon ce jugement Demetra Kostaredes était responsable du compte de George Tzovanis : « Elle n’a jamais « négocié » sur le compte du plaignant. Elle a simplement « remplacé » Valkanas en tant que responsable de compte principalement parce qu’elle pouvait agir en tant que tel grâce à son association avec Demers Conseil », [notre traduction du jugement].

Le 7 décembre 2000, Léonidas Valkanas, Kosta Parthimos et Demetra Kostaredes vendent leur entreprise de courtage en placements KPLV et la clientèle de celle-ci à IPC Investment Corporation. Or, les suites de la transaction ne se déroulent pas comme le souhaite Léonidas Valkanas, et s’en suit une série d’actions devant les tribunaux contre IPC et ses anciens associés.

En 2013, un jugement de la Cour d’appel du Québec relate certains faits entourant cette histoire. On y apprend qu’IPC a dû payer 1,7 M$ à d’anciens clients et plus d’autres frais et d’autres coûts « qu’elle est vraisemblablement en droit de réclamer également de Valkanas ».

« En effet, de nombreuses procédures furent éventuellement intentées par ces clients, tant contre IPC que Valkanas, alléguant la conduite frauduleuse de ce dernier. Or, de ces affaires qui se rendirent à procès, les jugements furent dévastateurs à l’égard de Valkanas. Tous conclurent à sa conduite frauduleuse », écrit la juge Marie St-Pierre.

Réaction de la CSF

Cette affaire inquiète la CSF. « La Chambre de la sécurité financière est préoccupée de la situation. En sus des vérifications en cours, la Chambre de la sécurité financière a demandé à son syndic de faire enquête sur les allégations concernant Mme Kostarides. Nous avons aussi informé le président du Comité de discipline qui pourra prendre les mesures qui s’imposent en fonction du règlement du Comité de discipline de la Chambre. Nous ne ferons pas d’autres commentaires compte tenu du processus d’enquête en cours », a déclaré Daniel Richard, porte-parole de la CSF, dans une déclaration écrite.

Celui-ci souligne, par ailleurs, que « c’est l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui a la responsabilité de voir à la délivrance des permis et à l’inscription des conseillers ; Mme Dimitra Kostarides est inscrite par l’AMF à son registre, selon ses processus et ses règlements. »

« Nous ne pouvons pas commenter les allégations qui circulent dans les médias, poursuit-il dans sa déclaration. Nous pouvons cependant confirmer que Mme Kostarides n’a pas été et n’est pas désignée actuellement comme membre du comité de discipline d’un dossier disciplinaire de la Chambre de la sécurité financière. Nous suivons de près ce dossier et effectuons les vérifications en collaboration avec l’AMF concernant les allégations relativement à Mme Kostarides et nous prendrons les mesures qui s’imposent, le cas échéant ».

L’AMF n’a pas voulu émettre de commentaire ni répondre à nos questions. « La Chambre de la sécurité financière (CSF) a demandé à son syndic d’ouvrir une enquête à propos des allégations concernant madame Kostarides. Nous allons donc laisser le syndic de la CSF faire son travail et ne ferons aucun commentaire supplémentaire », écrit Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF, dans une réponse à nos questions.

Dimitra Kostarides n’a pas retourné l’appel de Finance et Investissement laissé à son bureau, mercredi.

On ignore donc les circonstances entourant la mise en candidature de Dimitra Kostarides au poste membre du comité de discipline de la CSF. Or, le Règlement sur le comité de discipline de la CSF stipule que, pour soumettre sa candidature à titre de membre du comité de discipline, il faut que « l’Autorité n’a[it] jamais révoqué, suspendu, refusé de renouveler ou assorti de restrictions ou de conditions [le] certificat [d’un représentant] ». De plus, ce représentant doit posséder « une conduite professionnelle et déontologique exemplaire », être « une référence pour ses pairs » et posséder « la probité et l’intégrité nécessaires pour agir à titre de membre du comité de discipline ».

« Un représentant doit compléter la fiche de mise en candidature et transmettre celle-ci au secrétaire du comité de discipline », précise le règlement.

On apprend également que, lorsque le président du comité de discipline fait enquête sur les agissements d’un membre du comité de discipline, à l’issue de celle-ci, il peut soit l’aviser qu’aucune mesure administrative ne lui sera imposée ; lui donner un avertissement écrit ; le suspendre de l’exercice de ses fonctions au sein du comité de discipline ; ou transmettre son dossier au conseil d’administration afin d’en recommander sa destitution.

Actuellement, 82 professionnels sont membres du comité de discipline de la CSF pour la période 2021-2023.