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Alors que les économistes et les banquiers centraux commencent à considérer l’inflation comme plus qu’un phénomène isolé, les investisseurs se demandent comment adapter les portefeuilles à la hausse des prix et des taux d’intérêt.

Craig Basinger, stratège en chef du marché chez Purpose Investments à Toronto, assure que le portefeuille 60/40 fonctionne toujours et est assez résilient, mais qu’il faudra peut-être le modifier si l’inflation persiste.

Il avance que les investisseurs ont critiqué le portefeuille 60/40 en raison d’une « opinion de plus en plus répandue » selon laquelle la répartition des obligations « entrave le rendement ».

« C’est parce que nous étions dans un environnement à faible rendement », estime-t-il.

L’arrivée d’une inflation plus élevée, cependant, conduira probablement à une hausse des taux d’intérêt. Le 27 octobre, la Banque du Canada a prévu que les taux d’inflation annuels continueront d’augmenter, pour atteindre en moyenne 4,75 % le reste de l’année et 3,40 % l’année prochaine.

« Pour chaque hausse des rendements obligataires, votre rendement futur s’améliore en fait un peu, explique Craig Basinger. Peu de classes d’actifs peuvent dire cela. »

Pour lui, l’efficacité du portefeuille 60/40 dans un environnement inflationniste se résume à déterminer si l’inflation récente est transitoire ou non.

« Je reconnais que nous avons vu des chiffres phares phénoménaux sur l’inflation. Mais nous savons aussi que, jusqu’à présent, elle a été largement influencée par les composantes de l’IPC qui ont des prix très flexibles, et qui doivent faire face à des perturbations et à un retour surprise de la demande – et à quelle vitesse elle est revenue dans certains domaines », résume Craig Basinger.

Il ajoute que l’inflation commence à se manifester dans d’autres biens et services, mais toujours principalement dans les articles à prix flexibles.

Selon Craig Basinger, si l’inflation se révèle plus persistante, il sera plus difficile pour les obligations de conserver leur pouvoir d’achat après l’inflation. « Soit les prix des obligations baissent (les rendements augmentent) pour compenser partiellement la hausse de l’inflation, soit le pouvoir d’achat diminue. Ni l’un ni l’autre n’est un bon résultat », affirme-t-il.

Mais les obligations ont toujours des caractéristiques défensives de qualité, note-t-il, et se comportent bien pendant les périodes de « non-risque ». Lorsqu’il y a une « fuite vers la sécurité, l’argent afflue vers les obligations, même si la tendance générale à long terme des rendements est à la hausse ».

Ben Felix, gestionnaire de portefeuille et responsable de la recherche et de l’éducation des clients chez PWL Capital à Ottawa, assure comprendre l’inquiétude des investisseurs du côté des titres à revenu fixe, mais il estime que l’effet des hausses de taux des banques centrales dépend du type d’obligations détenues par les investisseurs.

Les obligations à 30 ans, par exemple, seront touchées « de façon assez importante » par les fortes hausses de taux, prévoit-il. Les investisseurs en obligations à court ou moyen terme pourraient voir les prix baisser, « mais ce qui va se passer, c’est que vous continuez à recevoir les coupons et le principal des obligations que vous possédez déjà, ils vont être réinvestis dans de nouveaux taux plus élevés », précise-t-il.

Ben Felix rapporte que son entreprise choisit pour ses portefeuilles des titres à revenu fixe dont l’échéance globale est plus courte que celle de l’indice obligataire global. Plus précisément, PWL Capital utilise des fonds de Dimensional Fund Advisors qui augmentent l’exposition aux échéances plus longues « lorsque la courbe de rendement est en pente ascendante et diminue lorsqu’elle est plate ou inversée », déclare-t-il.

« Pour les clients qui ont des conseillers, je pense que c’est une bonne approche », dit-il, ajoutant que les fonds ne sont pas disponibles pour les investisseurs autonomes.

Ben Felix assure que les attentes actuelles en matière d’inflation sont déjà prises en compte dans les marchés, mais que des augmentations inattendues de l’inflation pourraient affecter les prix des actifs à court terme.

« Même si l’inflation finit par être plus élevée que prévu, cela ne signifie pas nécessairement que les rendements réels des actions vont devenir négatifs, juge-t-il. Historiquement, c’est quelque chose qui n’a pas eu tendance à se produire, même dans les pays où l’inflation finit par être extrêmement élevée. »

Il note qu’une inflation inattendue extrêmement élevée – supérieure à 18%, ce qui est bien plus élevé que ce que le Canada a connu dans les années 1980 – est liée à des rendements boursiers négatifs, selon le Global Investment Returns Yearbook 2021 du Credit Suisse, publié en mars. Une inflation modérément élevée (allant d’environ 4,1 % à 7,5 %), comme celle que l’économie mondiale connaît actuellement, ne l’est pas.

« Sur le long terme, les rendements réels des actions ont dépassé l’inflation dans le monde entier. Il n’est pas évident que les taux bas soient responsables de la récente surperformance des valeurs de croissance », affirme-t-il.

« Les taux bas mis à part, je pense que les rendements attendus des actions de croissance à grande capitalisation sont faibles en raison de leurs valorisations extrêmement élevées. Il n’est pas certain que l’inflation ou la hausse des taux sera le déclencheur, mais les exemples historiques de sociétés extrêmement grandes avec des prix élevés ont été suivis de faibles rendements. »

Craig Basinger estime que les investisseurs pourraient vouloir reconsidérer les types d’actions qu’ils détiennent.

« Si l’inflation s’avère plus persistante, les actions devraient mieux se porter, mais pas toutes les actions, nuance-t-il. Les [actions] de valeur devraient faire mieux que les [actions] de croissance. Les actions qui sont considérées comme des actifs réels devraient faire encore mieux. Cela [place] le S&P/TSX dans une position plutôt bonne compte tenu de nos pondérations sectorielles relatives, notamment par rapport au marché américain plus axé sur la croissance. »

Craig Basinger fait référence au portefeuille modèle de Purpose pour un investisseur équilibré, dans lequel il est surpondéré en liquidités (entre 8 et 10 %), « légèrement surpondéré » en actions et sous-pondéré en obligations.

« Cette répartition n’est pas uniquement fondée sur les préoccupations relatives à l’inflation à long terme. Elle est fondée sur de nombreux facteurs », conclut-il.