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Un représentant en épargne collective (REC) d’expérience conteste devant la Cour du Québec les cotisations fiscales que lui a émises Revenu Québec (RQ) dans un dossier de partage de commission. Son avocat souhaite d’ailleurs fédérer les efforts de contestation judiciaire des autres REC en litige avec l’autorité fiscale québécoise en faisant de cette affaire un dossier type.

Le 11 décembre dernier, Me Danny Galarneau, avocat chez Cain Lamarre, a déposé au nom de son client une demande introductive d’instance en contestation de cotisations fiscales à la Cour du Québec, district de Montréal.

Même si ce n’est pas la seule requête du genre à avoir été déposée devant un tribunal, celle-ci pourrait paver la voie à celle d’autres représentants.

L’avocat souligne que, pour les autres conseillers actuellement en opposition avec RQ pour des dossiers semblables, un agent de RQ a accepté de suspendre les dossiers dans l’attente de la décision finale du dossier type. « Les gens qui veulent que leur dossier soit suspendu doivent se manifester auprès de Revenu Québec ou à l’égard de leur professionnel responsable de leur dossier, sinon leur dossier va continuer à être traité par l’agent responsable du dossier », a indiqué Me Danny Galarneau en entrevue à Finance et Investissement.

Le juriste souligne que certains conseillers actuellement en opposition relativement à un partage de commission pourraient ainsi voir leur dossier mis sur la glace en attendant le dénouement de ce cas.

Revenu Québec n’a pas confirmé cette information, rappelant qu’elle « ne commente pas les dossiers qui sont devant les tribunaux », a indiqué Claude-Olivier Fagnant, porte-parole de RQ, dans un courriel réponse à l’ensemble de nos questions.

La demande introductive d’instance raconte l’histoire d’un REC, qui travaille depuis longtemps dans l’industrie selon Me Danny Galarneau et est lié à un courtier en épargne collective bien établi. Le conseiller est aussi représentant en assurance de personnes, en assurance collective de personnes et en planification financière. Il détient entre autres, par l’intermédiaire d’une société de gestion, un cabinet en assurance de personnes lequel est inscrit dans les autres domaines de pratique. Il possède son bloc d’affaires.

Selon une entente conclue en 2015 avec son courtier, le représentant partage 70 % de ses commissions en épargne collective avec ses sociétés et s’en verse 30 % personnellement. Son cabinet lui verse également un salaire.

« Les dossiers (des représentants) ne sont pas tous uniformes. C’est très individualisé le partage. C’est le droit au partage qui est la question clé du dossier », dit Me Danny Galarneau.

Le REC juge que ce partage est raisonnable étant donné l’ampleur des frais assumés par ses sociétés, dont l’embauche du personnel pour le soutien administratif et logistique. S’ajoutent à cela tous les frais d’exploitation de sa place d’affaires, dont le loyer, les assurances, la publicité et les promotions, les télécommunications, les fournitures de bureau, les frais bancaires, etc.

Pour deux années civiles, RQ lui achemine un avis de cotisation soutenant que le REC aurait dû inclure dans ses déclarations de revenus personnelles les revenus de commissions d’épargne collective générées par son entreprise, plutôt que dans celles des sociétés par actions dont il était actionnaire. De plus, l’autorité fiscale refuse que certaines dépenses encourues et déduites par ses sociétés par actions ne soient déduites à l’encontre des revenus de commissions additionnels lui ayant été réattribués. RQ conteste aussi le traitement fiscal de la compensation qu’il a reçu d’un courtier après le départ d’un client important, estimant qu’il était imposable comme revenu d’entreprise.

Même s’il a déposé un avis d’opposition à RQ, le conseiller n’a pas attendu la décision sur son opposition et porte le dossier devant les tribunaux. Il juge que l’autorité fiscale « bafoue la pierre angulaire du droit fiscal canadien, soit les principes de prévisibilité, certitude et équité ainsi que le respect du droit des contribuables à la réduction maximale légitime de leur charge fiscale ».

Me Danny Galarneau et son équipe de juristes fondent leurs arguments selon trois principaux éléments. D’abord, selon lui, RQ doit respecter les rapports juridiques véritables établis entre le conseiller et ses sociétés, soit les ententes conclues entre le REC et ses sociétés.

« Non seulement la position de la Défenderesse (Revenu Québec) remet en question des ententes valablement convenues de manière légale et transparente, elle menace aussi l’ensemble des ententes convenues par les entreprises exploitant dans le domaine de l’épargne collective durant les Années en cause, et ce, sans aucune assise légale », lit-on dans la requête introductive. On y note d’ailleurs qu’« aucun revenu n’a été dissimulé aux autorités fiscales : la totalité des revenus de l’Entreprise ont été déclarés par (les sociétés) et le Demandeur (REC) ».

Me Danny Galarneau souligne d’ailleurs que son client n’a rien à se reprocher : « La structure qu’il avait respectait les exigences légales. »

Autre argument : même si le conseiller n’avait pas respecté la Loi sur les valeurs mobilières en convenant les ententes de partage de commission avec ses sociétés — ce qui est nié par le principal intéressé — « ce non-respect n’aurait aucun impact sur le traitement fiscal approprié des revenus de commissions d’épargne collective ».

Selon le conseiller, la position de Revenu Québec irait à l’encontre des principes établis par les tribunaux, soit que le traitement fiscal ne saurait dépendre de la légalité d’une opération.

« C’est pourquoi, par exemple, les revenus provenant d’activités criminelles sont imposables sur le plan fiscal, et font régulièrement l’objet de vérifications et de cotisations par les autorités fiscales », lit-on dans le document.

« Si le traitement fiscal des ententes conclues entre les intervenants du domaine des produits et services financiers dépendait des changements de position administrative de l’AMF, c’est la stabilité et la prévisibilité du régime fiscal qui s’en trouveraient ébranlées », apprend-on.

Troisièmement, même si les positions administratives de RQ ne créent pas l’état du droit, l’avocat souligne que, dans certaines interprétations de RQ, le fait qu’une société loue des locaux, possède des équipements et traite avec les clients et fournisseurs en son propre nom permettrait de déterminer si une société exploite une entreprise. « Or, l’ensemble de ces critères sont respectés », lit-on.

RQ aurait ainsi « omis de tenir compte de ses propres interprétations techniques, qui appuient la position du Demandeur, soit que et opéraient une entreprise durant les Années en cause », lit-on dans la requête.

En novembre, à l’occasion du congrès de l’Association de planification fiscale et financière, la direction de RQ soulignait que sa position à l’égard du partage de commission n’est pas nouvelle. Dès le début des années 2000, les autorités fiscales soulignaient que ces commissions devaient être attribuées à un REC et non à sa société, car seul celui-ci pouvait mener des activités de distribution de fonds communs.

Selon Me Galarneau, Revenu Québec soutient que la société à qui on partage des montants d’argent n’opère pas d’entreprise, car elle n’offre pas de services financiers. L’ennui est que Revenu Québec a une position inverse à celle présentée dans le cas des joueurs de pokers, que son cabinet a représenté, ajoute-t-il : « Ils disent qu’ils organisent leurs affaires comme une entreprise, alors que notre prétention c’est dire que c’est un jeu de hasard et ils sont chanceux ou ils ne le sont pas. Il y a des critères qui ont été établis par la jurisprudence, par des lois et des lettres d’interprétation, où on doit faire l’évaluation : “Est-ce que la personne opère réellement une entreprise ?” On répond à l’argument de Revenu Québec qui dit que la (société) inc. n’opère pas d’entreprise parce qu’elle n’est pas détentrice du permis pour vendre le produit financier. Nous, on dit que c’est une entreprise intégrée. Elle détient les locaux, c’est elle qui est propriétaire des équipements, fait la gestion et détient des comptes bancaires. Quand on regarde les critères que Revenu Québec elle-même établit pour dire qu’une entreprise est exploitée, bien là ils parlent des deux côtés de la bouche. »

Par ailleurs, si le tribunal jugeait que l’ajout des commissions d’épargne collective aux revenus du REC est justifié, RQ devrait accepter qu’il déduise de son revenu les dépenses engagées pour la distribution de produits d’épargne collective, selon la requête.

Enfin, conformément à l’entente commerciale convenue entre le courtier et le REC, la Contrepartie reçue pour la vente d’une part de sa clientèle s’apparente à une vente d’achalandage, selon les avocats du demandeur. Ainsi, ceci constituerait un gain en capital, et non un revenu d’entreprise et devrait être imposée de la sorte.

« Recevoir un dédommagement parce qu’(une entité) s’est accaparé d’un client, c’était un one shot deal. Le conseiller n’opère pas d’entreprise en recevant ce genre de dédommagement là. C’est comme vendre quelque chose de spontané. Il l’a déclaré en gain en capital, parce que quand on vend de l’achalandage, on va déclarer un gain en capital », précise le juriste.

L’ARC aurait répondu

Selon certaines sources au fait du dossier, l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) aurait reçu une réponse de la part de l’Agence de revenu du Canada (ARC) relative aux différentes questions qu’il lui a posées afin de concevoir un projet de modification des règles favorisant la constitution en société par les représentants assujettis à l’OCRI.

« L’ARC a affirmé qu’elle ne prend pas position sur ce type de dossier, mais qu’elle n’a aucun commentaire à formuler », selon une source. Rien n’empêcherait ainsi l’OCRI d’aller de l’avant avec le projet, selon une autre source. Reste à ce que l’organisme de réglementation présente une version finale de son projet après avoir consulté les parties prenantes.

L’OCRI n’a pas souhaité corroborer ces affirmations. « Il ne serait pas approprié de divulguer toute communication ou toute information échangée avec l’ARC ou avec une autre partie prenante dans ce dossier », a déclaré Ariel Visconti, spécialiste en affaires publiques à l’OCRI.