Homme d'affaire sur une route droite face à un soleil levant.
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«Lorsque je me suis lancé comme agent général en 1999, j’ai pu obtenir du financement. Ça m’a permis de faire des acquisitions. En 2018, il serait presque impossible de repartir à zéro et de refaire le même chemin», dit John Hamilton, fondateur et conseiller principal du Groupe financier Horizons (GFH).

D’une part, les cibles d’achats chez les agents généraux (AG) établis sont moins nombreuses qu’il y a vingt ans. Or, les assureurs exigent dorénavant des volumes d’affaires beaucoup plus élevés de la part des AG, et les conseillers s’attendent à une offre variée.

«Comment les petits agents généraux pourraient-ils attirer les courtiers et augmenter leurs volumes d’affaires sans avoir déjà des contrats avec plusieurs assureurs, ce qu’ils n’ont pas faute de production suffisante ? C’est un cercle vicieux (catch-22)», dit John Hamilton qui a cédé, en juillet, les postes de président et chef de la direction de GFH à Nick Pszeniczny, de la Great-West.

Est-il encore possible de se lancer en affaires à titre d’agent général ? Des connaisseurs de l’industrie évoquent trois possibilités.

Première piste, l’AG virtuel

«Selon moi, les nouvelles technologies permettent l’émergence de nouveaux modèles d’affaires, par exemple des agences générales virtuelles», estime l’avocat Adrien Legault, chef de la conformité chez Aurrea Signature.

Finaeo fait partie de ces initiateurs. Située à Toronto, cette fintech se présente comme le «premier agent général numérique au monde». Elle dit avoir aménagé une «place de marché virtuelle» entre assureurs et conseillers. Dans son matériel de marketing destiné aux conseillers, Finaeo signale fournir un logiciel gratuit de gestion de la relation client (CRM). Elle déclare aussi verser des commissions plus élevées que la moyenne. Finaeo affirme avoir des ententes de distribution avec au moins «deux ou trois» assureurs et rejoindre «plus de 1 000 conseillers».

Deuxième piste : l’AG boutique

Président du conseil et chef de la direction de IDC Worldsource Insurance Network, Paul Brown esquisse une autre voie d’avenir, celle de l’agent général de type boutique.

«Les changements à la réglementation pourraient susciter un nouveau modèle de distribution de type boutique», évoque le patron de cet AG situé à Mississauga, en Ontario.

Paul Brown trace un parallèle avec le monde de l’investissement. «Si la réglementation en distribution de produits d’assurance en venait à s’inspirer de l’univers des fonds communs et des valeurs mobilières, il pourrait alors y avoir une occasion de développement d’agents généraux de type boutique», évoque-t-il. Un tel genre d’AG est une petite firme qui offre des services spécialisés pour un segment particulier du marché.

Voilà une perspective qui ferait l’affaire de Guy Duhaime. Le président-fondateur de l’agent général Groupe Financier Multi Courtage a la désagréable sensation de manquer d’air.

«Nous avons voulu être un agent général de type boutique. Chez Multi Courtage, personne n’est un numéro. Nous essayons d’éviter les répondeurs. Ce n’est pas évident, car on se demande s’il y a encore de l’avenir pour des firmes comme la nôtre !» dit le patron de cet AG de Saint-Hyacinthe qui regroupe près de 125 conseillers.

Guy Duhaime explique que des assureurs demandent de plus en plus de volumes d’affaires. Et ils annulent les contrats de distribution des plus petits AG.

«C’est inexplicable, car les progrès de l’informatique ont simplifié la façon de faire les choses. À cause de l’annulation de contrats de distribution, nous devons faire transiter une partie de nos affaires par l’intermédiaire d’un gros agent général. Nos marges bénéficiaires et nos bonis sont moins élevés que les siens. La seule logique que j’y vois, c’est que les assureurs veulent peut-être favoriser la concentration afin de s’approprier la distribution. Il leur est sans doute plus facile d’intégrer un seul gros agent général d’un coup que d’en acheter cinq, six ou sept, les uns après les autres !» présume Guy Duhaime.

Troisième piste : l’association

En 2018, la question du volume de ventes dresse d’importants obstacles sur le chemin des conseillers désireux de devenir agents généraux. Cependant, leurs ambitions entrepreneuriales peuvent se réaliser par d’autres moyens.

«L’ambition entrepreneuriale ne passe plus nécessairement par le développement d’une firme d’agence générale», dit André Di Vita, ex-vice-président, développement assurances et rentes collectives chez Les assurances Hollis. Il constate que de nombreux jeunes entrepreneurs développent actuellement des cabinets multidisciplinaires de qualité.

«C’est dans ce milieu qu’on retrouve ceux qui auraient été tentés, il y a vingt ou trente ans, par le développement d’agences générales», dit André Di Vita.

Ces petits cabinets – souples, agiles, à l’affût des besoins des clients du XXIe siècle – pourraient éventuellement «se greffer» à des agents généraux établis, ajoute Stéphane Rochon, président et chef de la direction d’Humania Assurance.

John Hamilton pense également que l’association de petits cabinets à des AG établis constitue la meilleure façon en 2018 d’entrer dans le domaine.

La «greffe» à des AG établis reposera sur un partage accru des bénéfices. «Plus le cabinet brasserait des affaires, plus les gains augmenteraient. En revanche, les grandes décisions seront toujours prises par l’agent général», évoque John Hamilton.

Cette formule laisse-t-elle place à la possibilité de voler un jour de ses propres ailes ? Stéphane Rochon veut bien le croire : «Peut-être qu’un jour, certains de ces cabinets performants, greffés à des agents généraux, pourront devenir eux-mêmes des agents généraux !»

Une condition essentielle doit toutefois être remplie : ces petits cabinets qui deviendront grands doivent garder le cap sur le développement de marchés nichés.

«Rien ne sert de s’attaquer à des marchés qui seront accaparés par les sites web des assureurs eux-mêmes. Visez des marchés de niche. Des marchés pointus», prévient Hakim Nouira, associé délégué, Services consultatifs chez Ernst & Young. De tels segments de marché pourraient être l’assurance invalidité chez les travailleurs autonomes ou la couverture des besoins des entrepreneurs, par exemple.

C’est un message que martèle depuis quelques années déjà Robert Landry, ex-vice-président exécutif chez AXA Canada. Il estime que «l’assurance de personnes haut de gamme et l’assurance commerciale sont les secteurs rentables qui nécessitent une intervention humaine soutenue. C’est là où un modèle d’affaires efficace d’agence générale peut arriver à s’imposer.»