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Par rapport à leurs pairs, les conseillers dont la part la plus élevée de l’actif géré est orientée vers les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont davantage susceptibles d’être jeunes, de gérer plus d’actif et de servir plus de clients fortunés.

C’est ce qui ressort des sondages menés au début de 2021 dans le cadre du Pointage des courtiers québécois et du Pointage des courtiers multidisciplinaires.

Chez les conseillers en placement sondés dans le cadre du premier pointage, les répondants ayant les plus fortes pondérations en investissement ESG sont plus jeunes que la moyenne (47,2 ans comparativement à 49,2 ans pour la moyenne générale). Ils gèrent davantage d’actif (207 M$ comparativement à une moyenne de 176M$). Ils ont aussi davantage de clients ayant des actifs élevés (47% de clients ayant 1 MS et plus par rapport à 35 % pour la moyenne). Et les probabilités que ce sous-groupe soit des conseillères sont plus élevées.

Interrogés à ce sujet, les patrons de réseaux font preuve de prudence.

« Chez Gestion privée de patrimoine CIBC, on ne fait pas de corrélation aussi nette entre l’âge du conseiller et l’adoption de l’investissement ESG. A ce chapitre, j’ai des conseillers expérimentés qui se comparent avantageusement à des plus jeunes. La tendance n’est pas aussi nette, non plus, par rapport à la richesse des clients et à l’actif géré », dit Charles Martel, directeur général et chef régional, région du Québec chez Gestion privée de patrimoine CIBC.

Il constate que les comportements changent en faveur de l’ESG. « Cependant, le changement n’est peut-être pas aussi rapide qu’on pourrait le croire », ajoute-t-il.

Même son de cloche chez Denis Gauthier, premier vice-président, directeur national de la Financière Banque Nationale Gestion de patrimoine. «Il ne faut pas généraliser au sujet de l’âge, du sexe ou de l’actif sous gestion», dit-il en ajoutant que le vent de changement ESG est « réel ». Il y a trois ou quatre ans, poursuit-il, « il fallait expliquer ce qu’était l’investissement ESG. Aujourd’hui, on présente les solutions ».

Dans leurs commentaires, la plupart des conseillers en placement confirment l’intérêt grandissant des clientèles envers l’investissement ESG.

« Il y a une transition dans le marché qui se fait », note un conseiller de BMO Nesbitt Burns. « Les gens commencent à en parler. Mon modèle est récent, avant je ne l’offrais pas. C’est pour ça que ce n’est pas une grosse proportion », précise un conseiller de CIBC Wood Gundy en évaluant à 10% le pourcentage de son actif géré orienté vers des stratégies ESG. Pour sa part, un conseiller de la Financière Banque Nationale dit « commencer à mettre ça en processus en augmentant le pourcentage en ESG», qui s’établit à 20% dans son cas.

Parmi les conseillers en placement ayant répondu au sondage, le pourcentage moyen pondéré en fonction de l’actif qui est orienté ESG s’établit à 20,8%, soit une hausse par rapport à la part moyenne pondérée de 2020 (15,6%).

Toutefois, 3 répondants sur 10 (29%) ne font pas place à l’ESG dans leurs portefeuilles. Parmi ceux-ci, certains sont climatosceptiques, d’autres sont préoccupés par l’absence de critères standardisés pour qualifier les investissements orientés ESG ou disent n’y porter aucun intérêt. «On ne m’a pas encore démontré l’avantage, même si j’ai assisté à des formations. C’est du beau marketing», dit un sondé sans part d’ESG dans son actif géré. «C’est une bulle. Les évaluations des entreprises dans ce secteur n’ont aucun lien avec leur valeur réelle. Le secteur est trop risqué», juge un de ses pairs.

Les données du Pointage des courtiers multidisciplinaires sont du même ordre que celles des courtiers de plein exercice.

Les représentants en épargne collective dont l’actif administré a les plus fortes pondérations en ESG sont plus jeunes (47,2 ans comparativement à la moyenne de 49,8 ans) et susceptibles d’être des conseillères. Ils administrent davantage d’actifs (42,5M$ comparativement à 39,1 M$) et sont légèrement plus susceptibles de servir des clients ayant 1 M$ et plus à investir.

Éric Lauzon, vice-président, développement des affaires de Gestion de patrimoine Assante, exprime également son scepticisme: « Je ne suis pas convaincu que ces chiffres s’appliquent chez nous ou dans l’industrie. »

Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité de Mérici Services Financiers, ne donne pas son point de vue à l’égard de ces données compilées. Or, selon lui, « l’ESG n’est pas une mode ».

« On en parle dans nos colloques et congrès. Il y a quelques années, les rendements n’étaient pas au rendez-vous. Les produits étaient coûteux. Cela a changé, mais il faut choisir les bons produits. Ce n’est pas parce que le sigle ESG se trouve dans un prospectus qu’un fonds reflétera nécessairement les préoccupations ESG », poursuit Maxime Gauthier.

Dans le cas des représentants sondés chez les courtiers multidisciplinaires, la part moyenne pondérée de l’actif administré qui est orienté ESG s’établit à 9,6%, par rapport à 5,7% en 2020. Un conseiller sur quatre (25%) affirme n’avoir aucune part en ESG dans ses portefeuilles. Parmi ceux-ci, certains n’ont tout simplement pas pris le temps d’étudier l’offre de produits ou la jugent insuffisante. D’autres remettent en question leurs rendements ou disent qu’aucun de leurs clients n’y est favorable.

Conversation nécessaire

Selon Maxime Gauthier, trop de clients ne savent pas que des produits d’investissement rejoignent leurs convictions éthiques ou environnementales.

« Aux conseillers de prendre les devants. Lors de leurs rencontres, ils devraient poser des questions du genre “Est-ce que l’environnement est important pour vous?” Les clients seront heureux de répondre à ces questions. Ils sauront que leurs conseillers maîtrisent cet enjeu et qu’ils peuvent investir en fonction de leurs valeurs », explique Maxime Gauthier.

Bon nombre de représentants en épargne collective signalent s’intéresser depuis peu à l’ESG.

« Avant j’avais des doutes, maintenant j’ai plus de preuves que ce n’est pas un coup de marketing. Il y a une forte tendance vers ça », dit un conseiller de la Financière Sun Life. « Ça commence. J’ai des jeunes qui arrivent et qui sont forts là-dedans. Ça va augmenter, surtout avec la pandémie », signale un conseiller du Groupe financier PEAK. « Ces fonds ont été plus payants en 2020 et les clients sont de plus en plus conscients. Ça va continuer d’augmenter», dit un autre d’IG Gestion de patrimoine. «Les clients commencent à s’y intéresser », affirme un conseiller de SFL Gestion de patrimoine.

Personne n’y perd au change, affirme Éric Lauzon. «Selon un sondage de J.D. Power, les clients qui pensent que leurs conseillers et leurs firmes sont en faveur de l’investissement ESG sont plus satisfaits que la moyenne», dit-il.

Les conseillers qui négligeraient ces conversations jouent gros, prévient Denis Gauthier: « S’ils n’en ont pas déjà parlé, ils risquent de ne pas avoir l’air au courant et d’avoir l’air dépassés. Les nouvelles générations veulent savoir où on se situe. Il y a le danger de les perdre! »

Cependant, les firmes de gestion de patrimoine ne peuvent forcer personne à devenir des ambassadeurs de l’investissement ESG.

« On suggère à nos conseillers de s’informer sur l’ESG et sur les outils à leur disposition. On les encourage à intégrer l’ESG à leurs modèles d’affaires. Si on se dit sélectionneur d’actions [stock picker], ça va. Si on se dit gestionnaire de patrimoine, ça va. Si on se dit spécialiste de l’ESG, ça va aussi! L’important, c’est de prendre de l’ESG ce qui s’harmonise avec sa pratique et qui a fait ses preuves », résume Charles Martel.