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Les fonds négociés en Bourse (FNB) jouissent d’un nombre très inégal de mainteneurs de marché (MM) – ou teneurs de marché –qui émettent de manière continue des cours acheteur et des cours vendeur pour ces fonds. Pour certains FNB, une vingtaine de mainteneurs de marché le font, alors que pour d’autres, c’est le cas d’un seul, d’après une étude de Valeurs mobilières TD. Un conseiller ne devrait pas bouder pour autant ces derniers, car la qualité de la tenue de marché, entre autres mesurée par l’écart cours acheteur-cours vendeur, devrait primer.

Ainsi, le mainteneur de marché est un acteur clé de l’écosystème des FNB. Sans lui, la plupart des FNB au Canada n’afficheraient pas de cours en continu. Il constitue un intermédiaire essentiel dans les transactions, explique Dan Hallett, vice-président et associé chez HighView Financial Group. « Avec les actions, les transactions se font entre contreparties; tout achat d’un investisseur implique une vente de la part d’un autre. Sur le plan des FNB, leur structure liquide ouverte tient aux mainteneurs de marché dont l’activité sert à tenir les prix proches de leur valeur », dit-il.

« Les investisseurs canadiens bénéficient d’un des écosystèmes de FNB les plus diversifiés au monde », lit-on dans l’étude de Valeurs Mobilières TD. En effet, alors qu’on compte aux États-Unis un FNB pour 36 381 investisseurs, au Canada, la proportion est d’un FNB pour 9 183 investisseurs.

Pour répondre à l’afflux de FNB provenant d’un nombre croissant d’émetteurs, les MM doivent accueillir de plus en plus d’émissions « avec des capacités et des bilans limités », note Valeurs mobilières TD.

Il en résulte que le nombre de mainteneurs de marché qui publient activement des cours sur un FNB est inégal. En moyenne, calcule la TD, chaque FNB compte 2,5 MM dont la valeur moyenne des ordres publiée par FNB s’établit à 192 000 $. L’analyse de la TD s’est limitée aux ordres de 100 000$et plus, ce qui laisse entendre que la valeur moyenne est possiblement inférieure.

Or, la dispersion du nombre de MM par FNB est importante. Certains fonds d’iShares affichaient jusqu’à 23 mainteneurs de marché, pour une moyenne de 3,7 par fonds. Chez Vanguard, on comptait en moyenne 6 MM par FNB, et chez BMO Gestion mondiale d’actifs, 3,2. Pour la majorité des émetteurs, elle se chiffre à 2 ou moins.

Pour l’année en cours, rapporte la TD, 52 courtiers ont affiché au moins un cours acheteur ou un cours vendeur d’un ordre de plus de 100 000 $. Cependant, plusieurs d’entre eux négocient de façon limitée et ne sont pas nécessairement des participants autorisés à créer et racheter des unités de fonds, si bien que l’on ne peut pas les considérer comme des mainteneurs de marché actifs.

En réalité, moins de 23 courtiers ont négocié plus de 50 % du temps. Un plus petit nombre encore, soit 13 courtiers exactement, ont systématiquement joué le rôle complet de teneur de marché, ayant pleine autorisation pour créer et racheter des unités. Pour la plupart, ceux-ci travaillent auprès des banques.

Question de popularité

Comment expliquer cette dispersion ? Elle n’est pas attribuable au nombre de FNB par émetteur, l’étendue de la gamme n’ayant pas de lien. Par ailleurs, chez 18 manufacturiers de fonds, on trouvait au moins un FNB soutenu par 10 MM ou plus.

La clé tient à l’actif total voué aux FNB, explique Andres Rincon, directeur, ventes et stratégies FNB, chez Valeurs mobilières TD et coauteur de l’étude sur la tenue de marché. « L’actif total en FNB chez Vanguard est d’environ 45 G$, dit-il. Chez Fidelity, il est d’environ 3 G$. » L’actif du premier entraîne plus d’activité de la part des MM que l’actif du second. D’autres facteurs expliquent qu’un FNB bénéficie ou non d’une forte tenue de marché.

« Vanguard compte beaucoup plus de FNB qui se négocient depuis plus longtemps que ceux de Fidelity, et le plus grand nombre de teneurs de marché assure des montants plus substantiels échangés », poursuit Andres Rincon.

Un autre facteur essentiel tient à la facilité de transaction d’un FNB. « Vanguard, iShares et BMO ont des produits plus simples qui sont plus faciles à échanger pour les teneurs de marché, surtout leurs produits passifs », ajoute-t-il.

Les possibilités d’arbitrage et de couverture qu’offre un FNB constituent un facteur important dans la tenue de marché, note Frédéric Viger, directeur général et cochef des ventes institutionnelles de FNB à la Financière Banque Nationale (FBN). Par exemple, un FNB peut être favorisé par le fait qu’un MM peut couvrir ses transactions en ayant recours à des options et des dérivés sur un marché comme le TMX de Montréal.

Cependant, ces facteurs restent relativement secondaires. « Les FNB sont un concours de popularité, lance Andres Rincon. Il faut être connu. Un FNB comme XIU se négocie depuis plus longtemps et va donc être négocié davantage. C’est la popularité qui attire le plus grand nombre de teneurs de marché. »

Qualité contre quantité

L’étude de Valeurs mobilières TD est avant tout quantitative, et non qualitative, reconnaît d’emblée Andres Rincon. Ce qui compte pour l’investisseur n’est pas le nombre absolu de mainteneurs de marché qui s’activent autour d’un FNB, mais plutôt « la largeur de l’écart entre le cours acheteur et le cours vendeur », soutient Frédéric Viger. La valeur d’un fonds ne réside pas dans le nombre de MM actifs, selon lui, mais dans la qualité de la tenue de marché, et cette qualité se traduit par des écarts serrés sur les cours.

Même si la FBN est le principal MM au Canada, avec une part de 40 %, nous informe Frédéric Viger, il arrive souvent qu’elle soit le seul MM sur un FNB. Et, précise-t-il, « l’écart n’est pas nécessairement plus serré si tu as plusieurs teneurs de marché que si tu en as un seul ».

Il n’est pas évident pour un conseiller ou un investisseur de connaître le nombre de MM pour un FNB spécifique. Il faut s’informer auprès des émetteurs ou des revendeurs de fonds, propose Frédéric Viger. Cependant, connaître l’écart sur les cours, également l’écart de ceux-ci par rapport à la valeur liquidative sous-jacente, suppose d’observer les cours pendant quelques jours pour voir s’ils demeurent dans une fourchette raisonnable ou souffrent d’écarts importants.

Andres Rincon ne renie pas la différence que peut faire un nombre élevé de MM. « Bien que le nombre ne détermine pas toujours la qualité, il détermine la diversité d’appétit de risque et des sommes à investir, ce qui se traduit souvent par une meilleure exécution pour les investisseurs. Si le niveau de tenue de marché pour un FNB ne devrait pas être le principal motif de sélection d’un FNB, les investisseurs devraient garder à l’esprit la diversité du soutien à un FNB dans les bonnes et mauvaises périodes », écrit-on dans l’étude.

Les teneurs de marché n’ont pas d’influence sur la performance d’un FNB, reconnaissent Andres Rincon et Frédéric Viger. Par contre, ils ont un effet sur le coût d’acquisition ou de vente et affectent ainsi le rendement.

Liquidité avant tout

Les conseillers et leurs clients ne devraient pas se soucier démesurément du nombre de teneurs de marché pour un FNB en particulier ni des écarts vendeur-acheteur sur celui-ci. Ultimement, « tout revient à la liquidité dont bénéficie un produit », tranche Dan Hallett.

James Gauthier, responsable de la recherche et de la surveillance des produits chez iA Gestion privée de patrimoine, est du même avis. « Si plus de teneurs de marché sont impliqués, on peut soupçonner que la liquidité est plus élevée et les écarts plus serrés, dit-il. Or, les écarts et la liquidité ne tiennent pas aux teneurs de marché, ils tiennent plutôt aux titres sous-jacents qui composent le FNB. »

« Avec un FNB qui suit l’indice S&P 500, même avec un seul teneur vous aurez une forte liquidité et des écarts serrés. Par contre, avec un FNB qui détient des actions privilégiées ou de secteurs spécialisés, les écarts seraient forcément moins serrés et la liquidité moins grande », ajoute James Gauthier.

Peut-on encore innover ?

Les conditions particulières du marché canadien, avec son nombre élevé de produits et le bassin relativement restreint de MM, pourraient-elles compromettre à long terme la profitabilité et la viabilité de l’industrie des FNB ?

« Ce n’est pas encore une préoccupation, constate Andres Rincon. Cependant, la communauté devrait se rappeler que la tenue de marché est un service offert aux émetteurs. Avec de plus en plus de FNB, la tenue devient plus ardue et c’est un élément que les émetteurs devraient considérer. »

Frédéric Viger abonde dans le même sens. « Il y a encore de la place pour croître et les émetteurs peuvent lancer de nouveaux produits tant qu’ils sont en mesure de trouver un teneur de marché principal. »

L’innovation n’est pas compromise non plus, juge-t-il. « Ce qui pourrait freiner un teneur de marché dans son adoption d’un nouveau produit, ce n’est pas le fait qu’il y en aurait trop, mais plutôt le fait que la couverture pour un produit soit trop difficile d’accès. Ce serait le cas avec un produit dont les actifs sous-jacents ne sont pas cotés en Bourse, comme des actifs réels négociés hors cote, par exemple. »