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Il n’est pas rare qu’au sein d’un couple de clients des déséquilibres économiques se créent. Ils peuvent parfois se transformer en abus, selon la dynamique propre au couple. Un conseiller peut jouer un rôle afin de les cerner et de favoriser l’autonomie financière de chacun des conjoints.

C’est l’un des messages qu’a livrés la chercheuse de l’institut national de la recherche scientifique (INRS) Hélène Belleau, docteure en sociologie, lors de l’événement ProLab 2022, organisé par la Chambre de la sécurité financière, en juin dernier. Dans une conférence sur la dynamique financière des couples, elle a également proposé des solutions afin d’aider les conseillers à bien jouer leur rôle.

Ainsi, une foule de situations peuvent mener à un déséquilibre économique au sein d’un couple.

Par exemple, une famille déménage en région ou à l’étranger afin de favoriser la carrière d’un conjoint, alors que l’autre met sa carrière en veilleuse ou subit un chômage prolongé en raison de la difficulté à trouver du travail dans le nouveau milieu.

Ou encore, une mère cesse de travailler temporairement afin de s’occuper d’un jeune enfant pendant que son conjoint travaille davantage pour combler le manque à gagner. « Ce qui creuse les écarts de revenus entre les conjoints, c’est souvent l’arrivée des enfants dans le couple. A expliqué Hélène Belleau. Ça va demander plus de sous. Les femmes vont prendre leur congé de maternité et du temps pour s’occuper des enfants. Les hommes vont travailler plus. Les salaires des hommes augmentent quand ils ont des enfants. »

Autre exemple, le membre d’un couple qui gagne le plus petit revenu n’arrive pas à épargner, car suivre le train de vie du conjoint ayant la paie la plus élevée accapare toutes ses liquidités.

La gestion des affaires financières du couple ou son état matrimonial permet parfois de rééquilibrer cette situation. Ainsi, les conjoints mariés sont généralement soumis au régime du patrimoine familial, qui prévoit le partage de la valeur des biens du patrimoine familial entre les époux, dont les régimes de retraite et l’épargne-retraite.

Or, ce rééquilibrage n’est pas toujours présent. Par méconnaissance du droit qui régit les conjoints en union libre ou pour diverses raisons qui découlent de la dynamique amoureuse, des clients en couple laissent perdurer des iniquités financières.

Avec son équipe de l’INRS, Hélène Belleau a mené une enquête en 2015 auprès de 3 250 Québécois de toutes les régions afin de connaître leurs habitudes en matière de gestion des finances personnelles. « On a posé la question à nos 1683 répondants en union libre au Québec et 45 % croyaient avoir le même statut social que les gens mariés. C’est une erreur. Et 4% ne savaient pas. De plus, 40% croyaient – à tort – que le conjoint le plus pauvre aura le droit de demander une pension alimentaire pour lui-même, et 16% ne savaient pas », a expliqué la chercheuse.

Entre autres en raison de l’effet des rendements composés sur les placements à long terme, les iniquités peuvent même se creuser avec le temps, d’autant que les ménages québécois gèrent souvent séparément le financement de leur retraite.

D’après l’enquête de l’INRS, au sein des conjoints mariés, 52% administrent leur épargne-retraite selon le mode « chacun pour soi » et 48% vont mettre en commun leur épargne pour leurs vieux jours. Parmi les couples en union libre, c’est 74 % et 26 % respectivement.

De plus, la chercheuse a observé que 58% des femmes délèguent la gestion des affaires financières du ménage à leur tendre moitié. Les femmes ont aussi tendance à payer davantage pour des biens non durables, comme les vêtements des enfants ou l’épicerie.

Arrive maintenant la question de la violence financière d’un conjoint aux dépens de l’autre, c’est-à-dire un abus de pouvoir économique qui limite le bien-être de l’autre. « C’est un sujet tabou. Pourtant, on sait que quand il y a de la violence physique, il y a souvent de la violence économique avant », a noté la chercheuse.

Considérant que les conseillers peuvent avoir une influence décisive dans la vie financière des clients, ils devraient être sensibles aux signes d’abus, dont les suivants qu’a nommés Hélène Belleau:

  • Un conjoint ridiculise l’apport de l’autre dans le revenu du ménage.
  • Un conjoint économise pendant que l’autre met sa carrière en veilleuse pour s’occuper des enfants, surtout dans le cas des conjoints en union libre et sans contrat de vie commune.
  • Tout l’argent de l’un est envoyé à l’étranger pour aider sa famille. « On sait que beaucoup de familles immigrantes envoient énormément d’argent à l’étranger pour soutenir la famille. Si tous les revenus de l’un s’en vont, ça serait intéressant de savoir pour quelle famille et si les deux sont d’accord, car ça peut limiter l’accès à l’argent de la personne dont le salaire part », a expliqué Hélène Belleau.
  • Un conjoint force l’autre dans un projet contre son gré ou sans son consentement. « On a ici les dettes transmises sexuellement, soit celles qu’on contracte dans l’amour, dans le plaisir, mais qu’on rembourse dans la honte de s’être fait avoir. Ça arrive quand un des conjoints cautionne l’autre pour un projet avec lequel il n’est pas d’accord, mais le fait par amour », a illustré la conférencière.
  • Après que les deux conjoints ont été informés d’une injustice économique au sein de leur couple, l’un la fait perdurer volontairement.

Que faire lorsqu’on constate un signe d’abus ou qu’une iniquité temporaire persiste au détriment d’un des conjoints?

  • Inciter les deux conjoints à garder une autonomie financière. Cela veut dire que chacun devrait déposer sa paie dans un compte personnel. Or, selon l’étude de l’INRS, 28% des couples la déposent dans un compte conjoint.
  • Considérer l’économie domestique au sens large. Par exemple, convenir que le temps investi par l’un des conjoints à s’occuper des enfants a une valeur pour l’ensemble de la famille, car cela permet à l’autre conjoint de se consacrer à sa carrière.
  • Impliquer les deux conjoints dans les décisions financières ou les rencontrer séparément. Il peut être plus facile d’aborder individuellement avec un client les questions délicates, comme le danger de déléguer les affaires financières au conjoint, le risque de longévité accrue pour les femmes, les risques financiers en cas de rupture.

Selon Fabien Major, planificateur financier et conseiller en placement pour Gestion de capital Assante, si l’un des conjoints se désintéresse des questions financières, le conseiller devrait solliciter sa rétroaction, en disant par exemple ceci lors d’un appel en privé: « C’est votre famille, je veux vous entendre. »

  • S’assurer que les deux conjoints savent ce qu’il adviendra lors d’une rupture (de la maison, du chalet, des placements, etc.). Pour ce faire, on devrait bien expliquer les différences entre le droit fiscal et le droit privé, notamment les implications du mariage et de l’union libre.
  • Veiller à faire les suivis lorsqu’on recommande à un couple de signer une convention de vie commune, car moins de 5% des couples en union libre concluent une telle entente. En effet, ce type de contrat force souvent les couples à envisager la rupture et cette dissonance peut parfois les empêcher de passer à l’acte.

Selon Fabien Major, on doit présenter ce type de contrat plutôt comme une preuve d’amour, comme un projet de couple afin de le consolider. « Si une convention de vie commune est une solution et que les clients procrastinent, on doit ramener le sujet à l’ordre du jour: « Je sais que dans vos objectifs vous avez dit que vous souhaitiez régler ça. Je vous ai fait un petit calendrier et voici les étapes pour s’y rendre. J’ai justement un confrère notaire qui serait prêt à s’occuper de votre dossier. » C’est notre rôle de parfois pousser un peu gentiment, parce que c’est quelque chose qui peut avoir un impact sur notre expérience future », a-t-il dit.

Hélène Belleau parle aussi de l’importance de proposer d’autres options aux clients que le contrat de vie commune, comme le mariage. Celui-ci est non seulement perçu comme une preuve d’amour, mais souvent un acte qui peut être relativement économique. « Organisez vos finances autrement en attendant de faire votre contrat de vie commune. Ça laisse l’espoir que le projet se réalise, et ça peut limiter un peu les dommages », a-t-elle signalé.

Pour réorganiser les affaires financières, le couple peut planifier l’épargne-retraite différemment en la traitant comme une dépense commune du budget. Les conjoints peuvent également revoir le mode de gestion des dépenses quotidiennes en fonction des revenus, par exemple en s’assurant que chacun a un revenu minimal discrétionnaire qui lui appartient et qui ne servira pas à payer les dépenses familiales.

La relation avec le conseiller doit reposer sur la confiance et l’absence de jugement, a souligné Hélène Marquis, directrice régionale, planification fiscale et successorale à Gestion privée CIBC.