Une femme minuscule regardant un immense signe de pourcentage.
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Une tempête parfaite a soufflé sur le plan de retraite de nombreux clients. La lutte contre l’inflation et les craintes de récession ont fait dégringoler simultanément le prix des actions et celui des titres à revenu fixe. Jumelées à la hausse du coût de la vie, ces turbulences nuisent à ceux qui tentent bon an mal an de générer un rendement positif après inflation et après frais de gestion.

Voici des mesures à suivre afin d’ajuster le plan de retraite des clients et de les rassurer.

« Je n’ai pas de contrôle sur les marchés boursiers ni sur l’inflation, mais je pourrais faire quelque chose pour réduire mes frais de gestion », remarque Mélanie Beauvais, actuaire et planificatrice financière chez Bachand Lafleur, Groupe Conseil.

Des frais de gestion trop élevés pourraient retarder la date du départ à la retraite de quatre ans, révèle l’édition 2022 du Baromètre du degré de préparation à la retraite, de la firme d’actuariat Mercer. L’analyse de Mercer démontre qu’un investisseur qui débourse le niveau médian de frais de gestion pour les particuliers (1,9 %) serait prêt à prendre sa retraite vers l’âge de 70 ans, soit bien au-delà de l’âge traditionnel de la retraite de 65 ans. Par comparaison, un épargnant qui paie des frais de 0,6 %, soit les frais médians d’un participant à un régime de pension à cotisations déterminées et d’épargne collectif pourrait prendre sa retraite vers 66 ans.

Selon ce même baromètre, on estime qu’un individu qui part à la retraite à 65 ans et paie des frais de gestion médians de 1,9% durant cette période épuisera son épargne cinq années plus tôt que s’il déboursait les frais médians des régimes collectifs (0,6 %). Lorsque c’est possible, on souhaite donc maximiser les contributions à un régime de retraite d’employeur avant d’opter pour le REER. L’épargnant peut examiner les différents frais payés en consultant, par exemple, l’aperçu du fonds et le prospectus simplifié. Son conseiller peut, quand c’est opportun, lui offrir des fonds indiciels, des fonds de série F (sans commissions de suivi) ou des fonds négociés en Bourse avec des ratios de frais de gestion plus faibles.

Par ailleurs, un investisseur à l’approche de la retraite et craignant l’inflation devrait résister à la tentation de liquider son portefeuille d’actions afin de tout convertir en titres à revenu fixe. À long terme, l’inflation n’aura pas d’incidence négative sur les actions, puisque les revenus et les profits générés par les entreprises vont grimper avec la hausse du coût de la vie. Celles-ci devraient pouvoir hausser le prix de leurs produits et services et augmenter leurs bénéfices, ce qui se traduira par un prix de l’action plus élevé.

« On peut expliquer au client qui a une espérance de vie et de décaissement de quelques décennies qu’une part matérielle de son épargne-retraite ne sera pas dépensée avant 15 ans, voire plus. On veut donc demeurer investi dans les marchés boursiers afin de protéger le portefeuille contre l’érosion du pouvoir d’achat », remarque Martin Dupras, planificateur financier et président de ConFor financiers.

Revoir les hypothèses de projection

Bien sûr, le plan financier des clients repose sur plusieurs hypothèses de projection, y compris le rendement et le taux d’inflation. Les conseillers se fient souvent aux normes établies par l’Institut québécois de planification financière (IQPF) qui revoit ses données chaque année. L’inflation a donc été révisée en avril 2022 et est passée de 2,0 % à 2,1 %. Cela peut surprendre, vu que l’indice des prix à la consommation (IPC) dépasse depuis janvier, mois après mois, les 5% au Canada. Or, ces normes ne sont pas des prévisions à court terme, mais servent à préparer des projections à long terme, soit bien au-delà de dix ans.

« Les actuaires des fonds de pension au Canada utilisent également une hypothèse de projection d’inflation qui oscille entre 2,1 % et 2,2% lorsqu’ils évaluent le passif de leur régime de retraite », constate Martin Dupras. Ces projections tiennent également compte de la cible d’inflation de la Banque du Canada qui, depuis 1991, est de 2 %. Les hausses importantes du taux directeur ces derniers mois témoignent de cet objectif de ramener d’ici quelques trimestres l’inflation vers ce taux.

Si l’inflation devait demeurer élevée pendant la prochaine décennie, qu’en serait-il des autres hypothèses ? « Pour être cohérent, le rendement des titres à revenu fixe pourrait aussi augmenter sur un horizon à long terme. On devrait alors corriger également cette hypothèse. Cela devient complexe et, conceptuellement, il faudrait donc augmenter les deux variables. Ma solution de compromis est de présenter au client un scénario autre où l’inflation est augmentée d’un demi-point de pourcentage », explique Martin Dupras.

Prenons le cas type de Diane, 60 ans, qui a accumulé dans son REER 500 000 $ et qui souhaite prendre sa retraite aujourd’hui. Elle n’a pas d’autres épargnes, mais a droit aux prestations maximales mais a droit aux prestations maximales du Régime de rentes du Québec (RRQ) qu’elle choisit (pour simplifier l’exemple) de prendre à 60 ans et à celles de la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) perçues à 65 ans. Quel montant peut-elle retirer dès cette année avec une hypothèse de rendement net de 4% et une inflation de 2,1% (on épuise le capital à 100 ans) ? « Dans un tel scénario, prévoit Martin Dupras, elle peut maintenir un pouvoir d’achat (revenu indexé à l’inflation de 28 000$ par année). Si l’inflation grimpe à 2,6 %, la cliente subira une baisse de revenu de 5,4 % et pourra retirer un revenu annuel indexé de 26 500 $. On suppose ici que le RRQ et la PSV sont également indexés à un taux de 2,6 %. » Et qu’arrive-t-il si Diane décide de travailler une autre année? « En reportant d’un an sa retraite (salaire brut de 60 000 $), elle pourra conserver son coût de vie de 28 000$ même si l’inflation demeure à 2,6 % », poursuit-il.

Lorsque les rentes indexées du gouvernement représentent une large part des revenus du retraité, comme c’est le cas de Diane, les projections sont moins sensibles à une hausse du taux d’inflation. « À mesure qu’on a plus d’actifs, comme 1 M$ en REER ou un gros fonds de pension dont la rente n’est pas indexée, la hausse de l’inflation fait plus mal en proportion et les revenus gouvernementaux pleinement indexés ont un moins gros poids. On se retrouve donc à financer soi-même l’indexation », ajoute le planificateur financier.

En outre, de nombreux planificateurs financiers présentent déjà à leur clientèle un scénario pessimiste où les rendements sont inférieurs d’un point de pourcentage aux projections des normes d’hypothèses. On soustrait donc ce rendement dans toutes les catégories d’actifs et on garde les autres variables inchangées. On calcule ensuite le coût de vie qui épuise le capital avec un taux de survie de 25 %. « Si on choisit plutôt d’augmenter l’hypothèse d’inflation (d’un point de pourcentage), on se retrouve avec grosso modo le même résultat, puisque le rendement réel sera le même », constate Mélanie Beauvais.

Reporter la PSV et le RRQ ?

« Dans un contexte inflationniste, l’idée de couvrir les dépenses de base par un revenu viager indexé est très attrayante », affirme Mélanie Beauvais. Les études de l’Institut canadien des actuaires (ICA) rappellent que le report de l’admissibilité aux prestations de retraite du RRQ et de la PSV de 65 ans à 70 ans non seulement permet de profiter de rentes bonifiées, mais aussi de protéger les retraités contre les risques combinés de l’inflation et de la longévité. « Généralement, si on est en bonne santé et qu’on a les moyens de financer ce report avec de l’épargne-retraite, on veut le faire », affirme-t-elle. Même chose si on craint de manquer de sous et qu’on a une aversion élevée pour le risque.

Par ailleurs, la pénalité lorsqu’on prend la rente du RRQ à 60 ans plutôt qu’à 65 ans est importante, soit de 36 %. Reporter sa rente du RRQ de 60 ans à 61 ans aura un effet significatif, calcule Martin Dupras, notamment en raison de la mécanique de réduction qui permet de bonifier de quelque 11,2% la rente à 61 ans pour une personne qui a versé les contributions maximales. « On estime qu’une personne qui attend à 65 ans pour demander sa rente de retraite du RRQ pourrait recevoir jusqu’à 70 000 $ de plus durant sa retraite. Cette estimation est basée sur l’espérance de vie moyenne, qui est de 87 ans pour une personne actuellement âgée de 65 ans », souligne Frédéric Lizotte, porte-parole de Retraite Québec.

Dans le cas où les rentes reportées ne suffisent pas à couvrir les dépenses incompressibles comme la nourriture et le logement, on pourrait envisager l’achat d’une rente viagère auprès d’un assureur (voir l’encadré ci-dessus). « Elle permettra d’accroître la viabilité du plan de retraite en épuisant moins rapidement le capital, tout en diminuant l’insécurité financière du client », remarque Mélanie Beauvais. Ce pourrait être le cas d’un investisseur qui ne vit pas bien la volatilité au quotidien des rendements de ses placements. Et bonne nouvelle, la hausse des taux dans la dernière année suscite l’intérêt des clients pour les rentes. Pourquoi ? « Il est probable que la valeur des placements en revenu fixe a diminué avec la hausse des taux d’intérêt. Cela peut avoir eu un effet psychologique », croit Mélanie Beauvais.

Un homme de 60 ans qui débourse 500 000 $ afin d’acheter une rente viagère obtiendrait un revenu mensuel non indexé d’environ 2 730 $ par mois. « Le rendement de cette rente non indexée sera de 4,45 % si le décès est à 85 ans et de 5,30 % à 90 ans », précise-t-elle. D’un point de vue successoral, l’achat d’une rente viagère peut donc se révéler coûteux si le client décède précocement. C’est un arbitrage entre la sécurité et la flexibilité.