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«Aller en résidence» est synonyme, au Québec, d’un départ pour la maison de retraite, dont deux modèles dominent : le CHSLD, à l’image peu enviable, et la maison privée, dont l’attrait est à géométrie variable. À l’instar de ce qui se fait partout dans le monde, de nouveaux modèles émergent, qui ont comme point commun la prise en charge par les retraités eux-mêmes de la résidence où ils vont probablement finir leurs jours.

Parmi ces modèles, on trouve l’emphytéose. Il s’agit d’un contrat, un «bail» en quelque sorte, souvent à très long terme, allant de 10 à 99 ans, qui confie aux locataires la responsabilité entière de l’entretien de la propriété. «C’est une forme de cession temporaire de propriété, dont traite un chapitre spécifique du Code civil», note Me Pierre Jean-Claude Allard, avocat et économiste à la retraite.

Le statut légal d’un tel bail le situe à mi-chemin de la vente et de la location, ce qui confère au propriétaire original de la demeure des avantages fiscaux substantiels, qui peuvent être accrus par divers jeux de lettres de contrepartie.

C’est pourquoi ce genre d’entente se fait dans la plus stricte confidentialité. En effet, certaines ententes peuvent être à la limite de la légalité en permettant au propriétaire de se dégager de façon substantielle, sinon en totalité, de toute charge fiscale à l’endroit de sa demeure, même s’il en conserve la propriété entière, alors que celle-ci gagne en valeur et qu’il en récoltera un jour le gain en capital complet.

Un certain modèle à petite échelle a sans doute cours, mais il est très difficile d’en savoir quelque chose en raison de la discrétion qui entoure de tels projets. Il met en jeu un groupe d’une demi-douzaine de personnes ou de couples qui louent une demeure de grand prix en contractant un bail emphytéotique.

Communauté discrète

L’avantage majeur pour les locataires retraités tient au fait qu’ils peuvent ainsi avoir accès à une propriété de grande valeur à laquelle leur capital de départ, tant individuel que collectif, ne leur donnerait pas accès. Au lieu d’engloutir leur capital dans l’achat d’une propriété trop chère, ils peuvent en bénéficier pour un loyer souvent fort avantageux, tout en conservant leur épargne-retraite pour payer d’autres services.

De tels arrangements se font rarement entre seulement deux particuliers, avertit Pierre Jean-Claude Allard. «Il s’agit presque toujours d’une succession, d’une fiducie, d’une réalité d’affaires», note-t-il. En effet, une emphytéose imposerait une contrainte de temps trop importante à un individu.

SECRET

Nous avons tenté de vérifier ou de confirmer ces informations auprès de trois fiducies à Montréal et d’un groupe de gestion de fortune privée. Les réactions ont été de deux ordres : on a dit ne pas disposer de telles propriétés ou on n’a pas voulu accorder d’entrevue.

«C’est exactement le genre de réponse à laquelle il fallait s’attendre, commente Pierre Jean-Claude Allard. C’est un sujet dont on ne désire pas parler sur la place publique. Par contre, un groupe qui se présente aux bureaux d’une fiducie en compagnie d’un avocat qui sait de quoi il parle constatera que les portes s’ouvrent assez facilement.»

Un avocat spécialiste des marchés immobiliers et qui a demandé l’anonymat met cependant un bémol aux propos de Pierre Jean-Claude Allard. S’il reconnaît qu’un projet d’emphytéose tel qu’exposé peut se réaliser, il ne veut pas se prononcer sur sa réalisation, parce que, dit-il, «il y a trop de ramifications possibles».

Il ajoute que toute emphytéose, selon la loi, doit nécessairement ajouter de la valeur à l’immeuble. «Je ne vois pas pourquoi un retraité passerait par une emphytéose, dit-il. On ne fait pas quelque chose qui va être transmis aux héritiers, aucune valeur ne reste, elle retourne au propriétaire. Si les personnes qui planifient une retraite ne peuvent pas acheter une maison individuellement, pourquoi ne pas acheter plutôt une copropriété indivise ?»

Évidemment, si un propriétaire exige qu’un groupe de retraités ajoutent à sa maison de 1 M$ une valeur équivalente, tout l’intérêt du projet se dissout. Toutefois, rétorque Pierre Jean-Claude Allard, «un groupe pourrait très bien trouver un propriétaire qui, voyant par ailleurs un avantage fiscal à une emphytéose, accepterait que l’ajout de valeur s’élève, par exemple, à seulement 10 000 $».

Maisons sur le marché

L’achat en groupe d’une propriété pourrait être une solution de rechange au bail emphytéotique, selon Stéfanie Cadou, courtier immobilier chez Royal LePage Village, qui se spécialise dans les transactions immobilières relatives aux personnes âgées. Elle ne connaît pas les particularités de la proposition que met en avant Pierre Jean-Claude Allard, mais elle voit très bien la possibilité de la transposer à son secteur.

Ainsi, dit-elle, «il y a de grosses propriétés à Laval, par exemple, qui sont en vente depuis longtemps, et j’imagine très bien qu’un propriétaire pourrait vouloir louer la sienne à long terme plutôt que de la garder sur le marché et de payer les taxes pour rien». Cependant, elle ne voit pas du tout la possibilité de convenir d’un bail emphytéotique dans un tel cas.

En effet, l’achat d’une propriété par un petit groupe de personnes lui semblerait plus indiqué que la location, car celle-ci laisse les occupants à la merci du propriétaire qui voudrait un jour reprendre possession de son immeuble.

Selon elle, un achat protégerait mieux les retraités, ceux-ci convenant entre eux d’une entente semblable à celle qui a cours dans l’acquisition de copropriétés pour les prémunir contre les problèmes que suscitent le départ ou le décès de l’un ou de l’autre.

Cohabitat Québec

Selon Pierre Jean-Claude Allard, «de plus en plus de gens voudront mener des projets de ce type. Au lieu de parler d’ «intergénérationnel», ce qui entraîne souvent des réactions négatives, on peut parler plutôt d’ «intragénérationnel». Les gens d’une même génération vont autogérer leur hébergement.»

C’est un phénomène que l’on voit poindre de plus en plus au Québec. La plupart des projets intragénérationnels réalisés à ce jour ont pris la forme de cohabitations, où tous les participants sont copropriétaires de leur habitat commun. Cohabitat Québec, qui se présente comme «un syndicat de copropriété divise géré par une coopérative de solidarité», a adopté ce modèle.