Un portrait de Richard Boivin.
Crédit: David Cannon

Mener le Projet de loi 141 à bon port a été un parcours houleux pour Richard Boivin, sous-ministre adjoint au ministère des Finances jusqu’en décembre 2018. Ce projet de loi, qui a fait l’objet d’un fort lobbying, a divisé l’industrie financière jusqu’à l’adoption par l’Assemblée nationale du Québec d’une version amendée, en juin 2018. Retour sur le dernier legs de Richard Bovin et sur sa carrière diversifiée.

« Richard Boivin a été le grand timonier de cet exercice », témoigne Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec d’avril 2014 à octobre 2018. Il évoque la connaissance profonde qu’a cet homme du système financier, son sens poussé de l’intérêt public et sa capacité d’expliquer simplement des choses complexes.

« Le Québec lui doit beaucoup, ajoute Carlos Leitão. Ce fut un travail extraordinaire. La population ne se rend probablement pas compte directement de ce qui a été fait, mais indirectement, particulièrement dans le domaine de l’assurance, parce que c’était là où il fallait absolument mettre ça à jour, elle va se rendre compte avec le temps des bienfaits de cette loi. »

S’il admet y avoir laissé sa trace, Richard Boivin se défend d’être le « père » du projet de loi 141 : « Il ne m’appartient pas, c’est le projet de loi du parlement. J’étais le catalyseur, celui qui a réfléchi et fait des propositions, mais elles n’ont pas toutes été achetées par le ministre ou le conseil des ministres. »

« J’étais surtout un gros rouage, mais je ne travaillais pas tout seul », dit Richard Boivin, évoquant sa petite équipe, « la gang de la rue Cook », comme se plaît à l’appeler Carlos Leitão en référence au fait qu’elle était logée sur cette rue plutôt qu’au 12, rue Saint-Louis, avec le reste du ministère. « Il avait vraiment réussi à créer un esprit d’équipe et tout le monde travaillait dans la même direction, ce qui n’était pas simple », raconte Carlos Leitão.

Quoi qu’il en soit, Richard Boivin est fier d’avoir contribué à la naissance de la Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières. « Ce projet a fait un ménage complet de tout le secteur financier, dit-il. Nous nous retrouvons avec une loi à jour, et l’encadrement le plus moderne à mon avis au Canada actuellement. Nous avons également une Autorité [des marchés financiers] qui est rendue mature, qui va bien et qui a des pouvoirs tout à fait adaptés à la réalité. Il suffit donc de maintenir le rythme, car les choses dans ce secteur évoluent rapidement. »

Selon lui, la publication du Rapport d’application de la loi est prévue pour 2020 et ce sera l’un des premiers grands défis de son successeur, Eric Stevenson. Il considère d’ailleurs celui-ci comme une « bonne relève, qui prend le temps de réfléchir ».

Le projet de loi a polarisé l’attention de la société civile sur les risques de la vente d’assurance par Internet. Or, Richard Boivin soutient que, en 2018, ce genre de vente se faisait déjà, mais sans encadrement. « Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, la technologie est là et se développe rapidement. Est-ce qu’elle va un jour remplacer l’humain ? J’espère que non, mais elle va peut-être l’aider passablement et certainement aider les représentants », soutient Richard Boivin. La loi vise à s’assurer que les Google et Amazon de ce monde n’arrivent pas un jour avec un Uber de l’assurance « avec lequel on va être pris et qu’on n’arrivera plus à encadrer ».

Quant à l’idée de tout mettre dans une même loi omnibus, Richard Boivin l’explique par un concours de circonstances :

« À la pièce, nous n’aurions pas pu présenter cinq ou six projets de loi dans le secteur financier en même temps. Il aurait fallu qu’on recommence chaque fois le processus. »

Si les comités, les juristes et les traducteurs ont trouvé l’exercice ardu, Richard Boivin juge que ce fut un mal pour un bien. L’intégration des différents projets de loi dans un seul projet a été faite par un même légiste, ce qui a permis d’avoir, sur le plan de la structure et sur la façon d’écrire, une loi uniforme, dit-il : « Nous avons été chanceux à cet égard, considérant la longueur du processus et le fait qu’il y a même eu une grève des juristes. »

Le projet de loi 141 prévoyait initialement l’intégration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Or, les parlementaires ont maintenu ces organisations, amendant ainsi le projet de loi. Il ne faut pas y voir un jugement de valeur sur elles, mais la volonté d’avoir un système intégré, parce que jugé plus efficace, selon Richard Boivin. « Sans égard pour les compétences des gens qui y travaillent, ajoute-t-il, on aurait un meilleur système d’encadrement si elles étaient plus intégrées que moins. »

Pourquoi Québec y a-t-il finalement renoncé ? Richard Boivin affirme l’ignorer. Il convient que le dépôt d’un avis juridique par la CSF devant la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale « est possiblement venu déstabiliser la perception des parlementaires vis-à-vis de la portée du projet de loi ». D’après lui, il était plus aisé pour les Chambres « de créer le sentiment de l’absence de protection des consommateurs et de crier au feu en évoquant un recul, que pour nous de démontrer qu’on voulait simplifier le système et avoir une meilleure supervision pour permettre aux responsables de la surveillance d’intervenir quand ça va mal ».

« Les oppositions étaient peut-être déterminées à gagner quelque chose dans le projet de loi, et [ce changement de cap] s’est décidé entre les trois représentants des partis, dont mon ministre. J’ai vu ça aller, et à la dernière minute, c’était le choix qu’il fallait faire pour finaliser le projet », dit Richard Boivin.

Riche parcours 

Natif de Québec, Richard Boivin est diplômé en droit de l’Université Laval, en plus d’être titulaire d’une maîtrise en administration du travail. « J’ai passé mon Barreau le 8 mars 1973, j’ai eu 24 ans le 10, puis j’ai commencé à travailler le 13 au ministère du Travail », relate-t-il.

Cette première incursion de deux ans au sein de la fonction publique est suivie d’un passage au service juridique d’un assureur partie prenante à la naissance d’Industrielle Alliance. Il s’y occupe principalement de dossiers d’assurance automobile. Cela lui ouvre de nouveau la porte du gouvernement en 1977, lors de la création de la Régie de l’assurance automobile, dont il devient l’un des premiers employés. « Lorsque je suis arrivé, la loi applicable pour créer la Régie n’avait même pas encore été adoptée. »

Après trois ans, Richard Boivin s’en va, au profit du ministère de la Justice. « Pour un avocat du gouvernement, que peut-il y avoir de plus intéressant que de travailler au service juridique du ministère de la Justice ? » Il y passe trois années déterminantes : la plupart des dossiers à connotation financière se retrouvent sur son bureau, y compris ceux venus du ministère des Finances et du bureau de l’Inspecteur général des institutions financières.

Richard Boivin est d’ailleurs nommé directeur du service juridique de l’Inspecteur général des institutions financières en 1984, où il apprend à écrire les projets de loi. « Ce fut une période assez enlevante en matière législative. » Il évoque le dynamisme de Pierre Fortier, pendant un temps nommé ministre délégué [Finances et Privatisation] à la fin des années 1980. « Il voulait mettre la province de Québec sur la carte du point de vue financier, en compétition avec le fédéral puis l’Ontario. Souvent, j’apprenais mes mandats en me levant le matin, par les journaux et la radio. » Au tournant des années 1990, Richard Boivin est nommé Surintendant des assurances. « Les institutions financières québécoises avaient alors le vent dans les voiles et aspiraient à devenir des conglomérats, mais la compétition était grande et plusieurs n’ont pas survécu. J’ai vécu la faillite des Coopérants, compagnie mutuelle d’assurance-vie. »

Il est ensuite nommé brièvement Inspecteur général adjoint, mais accepte à la fin de l’année 1997 une offre au privé qui le propulse directeur général de Promutuel Assurance. Après deux ans, au tournant des années 2000, Richard Boivin rejoint Services financiers Partenaires Cartier. D’abord comme vice-président aux affaires corporatives, où il est chargé de la conformité, puis à titre de président de Valeurs Mobilières Courvie, l’une des entreprises du groupe, « dont l’organigramme comprenait à un certain moment au-delà de 75 sociétés ». S’il demeure en poste à la suite de l’acquisition du groupe par Gestion de patrimoine Dundee en 2003, Richard Boivin acceptera finalement l’invitation du ministère des Finances en 2005.

Crise interminable 

À son arrivée comme sous-ministre adjoint à ce ministère, Richard Boivin voulait travailler comme responsable du secteur financier. Ce qui l’intéressait, c’était la législation. « Au gouvernement, on nous déplace souvent, mais il n’était pas question qu’on me bouge. Même si on m’avait offert un poste de sous-ministre en titre n’importe où ailleurs, je n’avais aucun intérêt, car j’allais là pour travailler dans ce secteur et revoir toutes les politiques. C’est une passion pour moi ! »

Son arrivée en avril 2005 coïncide toutefois avec une période assez difficile, alors qu’au mois d’août éclatait le scandale Norbourg. « À partir de là, j’ai nagé dans les scandales. Il y a eu Norbourg, puis Triglobal, Norshield et Mount Real. L’Autorité était au front, au premier rang, mais au ministère, il fallait aussi gérer la situation et c’était un état de crise qui n’en finissait plus. »

Il considère comme des « bons coups » le travail d’harmonisation des décisions administratives en valeurs mobilières ayant mené au régime de passeport, en 2008, et la révision de la Loi sur les sociétés par actions, en 2009. Richard Boivin est aussi satisfait de la décision de la Cour suprême du Canada rendue en 2011 dans le dossier de commission pancanadienne des valeurs mobilières.

« C’est un dossier que Richard connaissait très bien, qu’il prenait à coeur, mais aussi de manière très pragmatique, signale Carlos Leitão. La vie continuait, et non seulement il a travaillé à maintenir l’alliance des « trois amigos » [le Québec, le Manitoba et l’Alberta], mais il a fait preuve de talent diplomatique envers les autres provinces pour leur dire : ce que vous proposez n’a pas d’allure, mais nous allons continuer à travailler ensemble et faire en sorte que tous les régulateurs puissent avoir de bonnes relations afin que le marché financier fonctionne. »

Richard Boivin a quitté le ministère des Finances en décembre. « Tout y était difficile et facile en même temps. Si ça avait toujours été facile, je n’y serais pas resté 14 ans », dit-il. Il aimerait d’ailleurs que toute l’expertise qu’il a acquise puisse servir encore.