Une main donnant un dollar à une autre main.
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Certains représentants en épargne collective redoutent la pratique à honoraires en estimant qu’elle pourrait nuire à la valeur de leurs blocs d’affaires.

Cette appréhension est ressortie du sondage que Finance et Investissement a effectué dans le cadre du Top des cabinets multidisciplinaires de 2019. «Ça devient inquiétant, car ma pratique n’aura plus la même valeur», mentionnait un conseiller dans ses commentaires.

Il y a quelques années à peine, les commissions à la vente, comme les frais d’acquisition reportés, faisaient la pluie et le beau temps. Aujourd’hui, les comptes à honoraires, qui consistent à facturer au client un pourcentage de son actif sous administration, prennent de l’ampleur.

Selon les experts qu’a rejoints Finance et Investissement, ce passage aux honoraires pourrait diminuer la valeur des blocs d’affaires. À certaines conditions…

Vendre à juste prix

Pierre Vincent porte le titre de vice-président principal, Distribution et développement de produits d’assurance individuelle chez iA Groupe financier. Selon lui, la crainte d’une perte de valeur des blocs d’affaires se concrétisera si les conseillers négligent de vendre leurs services «à juste prix».

Car tel est le piège qui se tend sur le chemin de conseillers prompts à offrir leurs services à bas prix : leurs blocs d’affaires en subiront fatalement les conséquences. «Si des conseillers vendent leurs services au rabais, la valeur de leurs blocs d’affaires en sera inévitablement touchée», constate Pierre Vincent.

La possibilité que les conseillers sous-estiment la valeur de leurs services est une réalité vécue par les cabinets multidisciplinaires. Ils ont réagi en établissant des prix planchers.

«Il y a danger que les honoraires soient trop faibles et, par le fait même, insoutenables à long terme. C’est pourquoi nous avons établi une grille d’honoraires minimaux. Nous avons également une grille d’honoraires suggérés», signale Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.

Le patron de MICA ajoute vouloir également éviter des tarifs démesurés. «Des honoraires de 2 % attireraient l’attention de nos services de conformité. À l’inverse, il n’est pas question d’accepter les yeux fermés des honoraires de 0,40 %», ajoute-t-il en précisant que les grilles d’honoraires reposent sur la taille de l’actif sous administration.

Même son de cloche chez Mérici Services Financiers. «On a fait un travail d’analyse à l’interne afin d’éviter les honoraires trop bas, qui risqueraient d’être insoutenables», explique Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective pour ce courtier.

Une valeur plus grande

D’après Pierre Vincent, la valeur des blocs d’affaires des conseillers à honoraires bénéficiera de ce mode de rémunération tant que les conseillers agiront dans les règles de l’art. «Si les services rendus sont de qualité et si les clients sont conscients de la valeur de ces services, les honoraires auront alors la même importance que les commissions de vente dans les revenus des conseillers. De plus, ces clients à honoraires servis dans les règles de l’art seront plus fidèles. Un taux de rétention élevé augmentera la valeur des blocs d’affaires», avance-t-il.

Maxime Gauthier renchérit : «À la limite, un bloc d’affaires basé sur des honoraires pourrait avoir une valeur supérieure à celle d’un bloc s’appuyant sur des commissions de vente. Les clients étant informés de la rémunération du conseiller, cela évacuerait un élément de risque de l’équation.»

Peu importe le type de rémunération, poursuit Maxime Gauthier, le client doit avoir la conviction qu’il paie son conseiller d’une façon qui est juste : «Et le conseiller doit toujours se demander s’il donne des services d’une façon raisonnable.»

La relation change

Le passage aux honoraires modifie la relation entre les clients et les conseillers. Les clients ont davantage de pouvoir.

«Il y a 20 ans, tout était standardisé. Les frais étaient figés dans le béton. Aujourd’hui, tout est négociable. En raison de la rémunération à honoraires, les clients peuvent percevoir qu’ils ont la possibilité de quitter leur conseiller quand ils le veulent», constate Marc Dubuc, représentant en épargne collective chez Services en placements Peak.

«Sachant qu’ils peuvent quitter plus facilement leur conseiller, les clients ont un plus grand pouvoir de négociation. La relation change. Des conseillers peuvent ressentir cette pression et penser qu’elle diminuera la valeur de leurs blocs. Toutefois, s’ils offrent un haut niveau de service, ils peuvent aussi augmenter leur taux de rétention de clientèles… ce qui rehaussera la valeur de leurs blocs !» affirme celui qui a déjà été directeur principal, stratégie marketing et gestion de l’offre du manufacturier de fonds Fiducie Desjardins.

Les vétérans pourraient écoper

Daniel Guillemette, président-fondateur du cabinet Diversico, Experts-conseils, est un acheteur expérimenté de blocs d’affaires. Selon cet entrepreneur, les conseillers qui approchent de la retraite seraient les plus vulnérables face à l’irrésistible poussée de la rémunération à honoraires.

«Un certain nombre de vétérans n’ont pas encore eu de conversations sérieuses avec leurs clients concernant leur rémunération, dit-il. Au cours de leurs carrières, les commissions à la vente allaient de soi et ils se sont concentrés sur les rendements et les autres aspects plus visibles de la relation d’affaires. La conversation sur les honoraires ne sera pas facile. Et il est possible que leurs clients aient alors un mouvement de recul !»

Le dirigeant de Diversico estime que la rétention de ces clientèles pourrait alors être problématique, «à moins que les relations entre ces clients et leurs conseillers soient fortes».

Étant donné que les conseillers en début de carrière sont davantage portés vers la rémunération à honoraires, ils pourraient, ajoute Daniel Guillemette, être «plus méfiants» à l’égard de la valeur des blocs d’affaires de ces vétérans.