personnes assises devant des ordinateurs, dans une salle de la bourse
rawpixel / 123rf

Cette année-là, seul le fournisseur de services musicaux Stingray avait opté pour les marchés publics afin de poursuivre sa croissance.

L’année précédente, la Bourse de Toronto n’avait aussi accueilli qu’une seule entreprise québécoise, le spécialiste de l’éclairage DEL Lumenpulse, qui devait toutefois s’en retirer trois ans plus tard.

«La situation ne s’améliore pas, loin de là», déplore Louis Doyle, directeur général de Québec Bourse. Cette association, qui regroupe une cinquantaine de sociétés ouvertes québécoises, a été lancée en mars 2016 justement pour valoriser les marchés boursiers.

Québec Bourse, qui avait présenté en 2017 sans succès au gouvernement libéral des mesures visant à favoriser le financement public, espère que le nouveau gouvernement de la Coalition Avenir Québec soit plus réceptif à ses demandes. «On souhaite rediscuter de la question avec le nouveau ministre des Finances. Un écosystème du financement public dynamique est essentiel afin d’appuyer les entreprises», insiste Louis Doyle.

Constatant également le déclin inquiétant du nombre de PAPE au Québec, le Groupe de travail sur le déficit d’inscriptions en Bourse des sociétés québécoises avait fait à l’été 2016 des recommandations au gouvernement, de même qu’à l’Autorité des marchés financiers (AMF) et au Groupe TMX. Pourtant, encore là, cette démarche «n’a pas donné grands résultats. Il ne semble pas y avoir de réelle volonté de changer les choses», déplore Sylvain Vincent, administrateur de sociétés et ancien associé directeur d’EY, qui était membre de ce groupe de travail. Il souhaite également que le nouveau gouvernement prête une oreille plus attentive.

Une tendance à la hausse, sauf au Québec

Ce recul, qui est aussi observé dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde depuis plusieurs années, s’est toutefois renversé l’an dernier, sauf au Québec, notait l’AMF dans sa Revue économique et financière de juillet dernier. Ainsi, il y a eu 28 PAPE ayant généré une levée de capitaux de 6,1 G$ dans l’ensemble du Canada en 2017, par rapport a 4 PAPE et 1,6 G$ l’année précédente. Sur le plan mondial, 2017 a été la plus active des 10 dernières années au chapitre des PAPE.

Pourtant, les causes du déclin du nombre de sociétés inscrites en Bourse et de PAPE au Quebec sont généralement les mêmes qu’ailleurs dans le monde : des bas taux d’intérêt favorisant le financement par la dette, l’abondance de sources de financement alternatives ou encore la croissance par acquisition des grandes entreprises.

Alors, pourquoi le Québec semble-t-il faire bande à part ? Difficile de mettre le doigt sur un facteur en particulier, répondent Sylvain Vincent et Louis Doyle. Mais le transfert du marché des actions de la Bourse de Montréal vers Toronto ne serait pas étranger à la situation.

«Il n’y a plus de ressources destinées spécifiquement au développement du marché québécois, pour faire du porte-à-porte auprès des entreprises afin de les informer et tenter de les convaincre de s’inscrire en Bourse», indique Sylvain Vincent en ajoutant qu’il y a aussi un manque d’analystes financiers et de courtiers qui s’intéressent aux entreprises québécoises.

Autre constat : la disparition graduelle des petits courtiers spécialisés en PME, qui démontraient un intérêt particulier pour les émissions de plus petite taille. On a aussi assisté à une concentration grandissante des gestionnaires de portefeuille au Canada au sein de quelques institutions financières d’envergure. Or, la distance s’est accrue entre les entrepreneurs québécois et les gestionnaires de portefeuille, principalement situés à Toronto.

Des inconvénients et des avantages

Par ailleurs, la problématique des exigences réglementaires et des coûts élevés, qui n’est pas propre au Québec, serait aussi un frein à l’inscription en Bourse. «Quand il y a une telle abondance de capitaux privés disponibles, une entreprise qui recherche du financement va comparer avec les coûts d’inscription et de conformité, en tenant aussi compte du fardeau réglementaire. Elle va vite réaliser que les marchés publics ne sont pas concurrentiels», estime Louis Doyle.

Préoccupées par la diminution graduelle du nombre d’entreprises qui cherchent à s’inscrire en Bourse, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) se sont d’ailleurs penchées sur la question du fardeau réglementaire en menant des consultations au cours de 2017.

En mars dernier, les ACVM ont convenu d’entreprendre des démarches sur la possibilité d’adopter un autre modèle de prospectus, sur la réduction ou la simplification de certaines obligations d’information continue ou encore sur l’amélioration de la transmission électronique des documents pour les investisseurs.

Du côté des frais, soulignons que le dépôt d’une demande d’inscription initiale à la cote de la Bourse de Toronto (TSX) coûte entre 10 000 $ et 200 000 $, selon la valeur au marché de la société au moment de l’inscription. Le courtier qui se chargera de la vente des titres d’une société sur le marché exigera une commission de vente négociable allant de 6 à 10 % de la valeur des titres vendus.

Une société canadienne qui s’inscrit devra également engager des frais juridiques allant de 50 000 $ à 100 000 $. Elle devra aussi payer des frais variant de 1 000 $ à 5 000 $ pour le dépôt et l’analyse du prospectus à l’AMF qui, de plus, percevra une somme de 0,4 % de la valeur des titres. Une entreprise québécoise sera pour sa part tenue d’ajouter des coûts de traduction qui peuvent s’élever jusqu’à 50 000 $.

Cependant, pour certaines, le jeu en vaut sûrement la chandelle, affirment Sylvain Vincent et Louis Doyle. Outre l’accès à des capitaux, l’entreprise peut utiliser ses titres comme monnaie d’échange pour réaliser des acquisitions. «Une entreprise comme Stingray n’aurait sans doute pas pu réaliser autant d’acquisitions si elle était restée privée», estime Sylvain Vincent.

«Certains dirigeants m’ont déjà dit qu’ils préféraient avoir des centaines d’actionnaires plutôt que d’être coincés avec des sociétés de capitaux privés et une convention d’actionnaires qui leur confère des droits de veto leur permettant de s’opposer à des projets de financement ou d’acquisition», affirme Louis Doyle.

Par ailleurs, une inscription en Bourse permet d’accroître la notoriété de l’entreprise sur les marchés locaux et étrangers. «Un client ou un fournisseur connaît mieux une entreprise qui doit publier ses états financiers et des communiqués de presse, et pourrait donc être plus intéressé à faire affaire avec elle», indique Louis Doyle. Mais, ajoute-t-il, cette transparence la force toutefois à divulguer des informations que n’ont pas à donner ses concurrents.

Enfin, une société cotée en Bourse aurait une plus grande capacité d’attirer et de fidéliser des dirigeants et du personnel grâce à de meilleures perspectives de rémunération, notamment au moyen de régimes d’options d’achat d’actions.