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Contrairement à certains secteurs comme le courtage à escompte, les ventes en ligne d’assurance vie n’ont pas explosé pendant le grand confinement dû à la COVID-19. Les assureurs et réseaux de distribution étaient-ils suffisamment préparés ? Les plateformes technologiques manquaient-elles à l’appel? L’appétit des clients était-il trop faible ?

On semble pouvoir répondre par l’affirmative à toutes ces questions et la situation est même plus complexe, signalent les connaisseurs interrogés.

En novembre dernier, dans le cadre du Rendez-vous 2021 avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), Lyne Duhaime, présidente de la division québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, soulevait la question de la performance décevante des ventes en ligne : « On n’a pas vu une hausse fulgurante de ventes de polices d’assurance vie en ligne » pendant le confinement.

Selon les chiffres de la LIMRA, les primes d’assurance vie au Canada ont même baissé de 2% en 2020 par rapport à 2019.

Toutefois, nous dit Lyne Duhaime, « la situation très difficile du secteur de l’assurance voyage en pleine pandémie a certainement amplifié les choses ».

L’industrie de l’assurance vie n’était pas en mesure de relever le défi des transactions en ligne de bout en bout, signale Guillaume Fauteux, vice-président, développement des affaires et marketing, Assurance individuelle Assurance individuelle et Investissement-retraite d’UV Assurance. « En assurance vie, les gens ont grand besoin de conseils. Ils doivent être conscients de leurs besoins. On ne trouve pas ces fonctions sur Internet », dit-il.

En outre, sur le terrain des transactions électroniques, l’assurance vie « avait des années de retard » à combler par rapport à l’assurance incendie, accidents et risques divers (IARD).

« Avant la COVID-19, il y avait déjà une fracture numérique très nette entre l’assurance vie et l’IARD. En assurance vie, les propositions électroniques et la signature électronique n’étaient pas très répandues. Mais la pandémie a fait faire un pas de géant à cette industrie en accélérant le développement des échanges électroniques », se réjouit Guillaume Fauteux.

Sous l’impulsion du confinement, poursuit-il, « le travail à distance des conseillers a été grandement facilité. Les assureurs ont développé leurs plateformes électroniques. Cependant, il reste encore beaucoup de papier. En assurance vie, la transaction web à 100 %, de bout en bout, ce n’est pas pour demain. »

À titre d’associé délégué, services consultatifs chez EY Canada, Charles Dugas est responsable du volet données et analytique pour le secteur de l’assurance au Québec. Son diagnostic pose l’équation des coûts en regard des bénéfices.

« La maturité des solutions en ligne dépend de l’intérêt de la clientèle ainsi que des investissements requis », commente-t-il. En d’autres termes, pour aller plus loin sur la voie du commerce électronique, il faudrait que ça soit rentable.

Or, explique Charles Dugas, les produits d’assurance vie sont par nature d’une grande complexité et ils engagent le client sur de longues périodes. « Une assurance auto se renouvelle chaque année et on peut facilement rectifier le tir. En revanche, une assurance vie temporaire est souvent offerte pour une période d’au moins 10 ans. Si on croit s’être trompé, on pourrait devoir attendre longtemps ou payer des frais de résiliation. Avant de s’engager dans l’acte d’achat, on a besoin de conseils », constate-t-il.

Le défi des assureurs désireux de développer les ventes en ligne consisterait ainsi à « mieux comprendre le cheminement du client et le moment où il cherche le conseil », soutient Charles Dugas.

Le jeu en vaut-il la chandelle? Faire cheminer le consommateur de façon intelligente sur des sites web exige de gros investissements. Tel est le dilemme qu’a évoqué l’AMF en réponse à une question que lui a posée Finance et Investissement au printemps.

Selon l’AMF, un obstacle qu’invoquent souvent les entreprises souhaitant vendre sur Internet « n’est pas l’encadrement, mais l’appétit des consommateurs, encore réticents à contracter des contrats financiers de manière entièrement automatisée. Or, développer et administrer une plateforme transactionnelle coûte cher et certains trouvent que le rapport coûts-bénéfices n’est pas à leur avantage et préfèrent attendre avant de se lancer dans l’offre en ligne. »

Le consultant et ex-vice-président exécutif d’AXA Canada, Robert Landry, estime que les assureurs devraient simplifier davantage les processus d’achat sur le Web : « Les produits et la mise en marché n’ont pas été suffisamment repensés dans un but de simplification. »

Il donne l’exemple du site d’un grand assureur. « On accueille l’internaute en lui demandant ce qu’il désire. Une assurance vie permanente ? Temporaire ? Universelle ? Après qu’il ait cliqué sur un de ces choix, il répond à deux ou trois questions, et hop ! on le dirige d’emblée vers un conseiller. C’en est presque loufoque. Ce serait un peu comme aller sur le site d’une pharmacie et se faire demander quel médicament on désire acheter ! »se désole Robert Landry.

Les assureurs pourraient-ils davantage simplifier l’offre de produits complexes de façon à promouvoir la vente en ligne ? « Oui et non », rétorque Christian Laroche, président des opérations Québec du Réseau d’assurance IDC Worldsource. Il représente l’un des réseaux de distribution les plus avancés sur le Web en raison, notamment, de sa filiale Pro Spect assurances, un spécialiste expérimenté du référencement en ligne.

Selon lui, les assureurs ont mis énormément d’énergie à développer des produits simplifiés en ligne pour le grand public. Les processus d’achat en ligne sont faciles et d’une grande homogénéité. « Mais les produits simplifiés ne répondent pas aux besoins des clients pour lesquels les contrats sont plus complexes », observe-t-il.

« Il faudra tôt ou tard trouver un moyen de simplifier les exigences réglementaires. Par exemple, est-il vraiment nécessaire de faire une nouvelle analyse des besoins pour un client connu qui voudrait hausser sa protection d’assurance vie de 2 M$ supplémentaires? », s’interroge Christian Laroche.