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Vieillissement de la population, allongement de l’espérance de vie, faiblesse des taux d’intérêt : malgré la bonne tenue des marchés financiers ces dernières années, et leur meilleure capitalisation, les régimes de retraite restent néanmoins sous pression. Voilà pourquoi les entreprises se tournent de plus en plus vers des compagnies d’assurance pour en transférer les risques.

La crise économique et financière de 2008, jumelée à la baisse des taux d’intérêt, a fait mal aux régimes de retraite à prestations déterminées (PD). Cependant, dix ans plus tard, la santé financière des régimes de retraite s’est grandement améliorée grâce aux rendements des marchés financiers et aux cotisations plus élevées.

Or, «c’est justement le bon moment pour apprendre des leçons du passé. La bonne santé financière des régimes de retraite est une belle occasion pour en analyser les risques», estime Gino Girard, vice-président et spécialiste en régimes de retraite au sein de la firme Morneau Shepell.

F. Hubert Tremblay, conseiller principal du domaine Avoirs chez Mercer, fait écho à ces propos. «Comme les régimes de retraite ont atteint des niveaux de solvabilité intéressants, et compte tenu de la plus grande incertitude des marchés boursiers, il y a tout lieu de revoir la gestion des différents risques», souligne-t-il.

Ventes records de rentes collectives

Les entreprises en prennent aussi bonne note. Voilà pourquoi elles ont de plus en plus tendance à transférer aux compagnies d’assurance les risques liés aux régimes de retraite. À preuve : le volume des souscriptions des rentes collectives au Canada a continué de croître en 2017 pour atteindre des ventes records de 3,7 G$, soit une hausse de 1 G$ par rapport à 2016. En 2013, les rentes vendues totalisaient 2,2 G$. Or, les ventes pourraient même atteindre 5 G$ en 2018, alors qu’on prévoit qu’un nombre croissant de promoteurs songent à inclure la souscription de rentes dans leur stratégie globale de gestion des risques liés à leurs régimes. «Il y a un intérêt grandissant de la part de nos clients», note d’ailleurs Gino Girard.

L’assureur canadien Sun Life vient en tête de liste des primes directes souscrites en rentes collectives au Québec avec 529,7 M$ en 2017, ce qui lui confère des parts de marché de 27,9 %, devant l’Industrielle Alliance (26,8 %) qui a affiché des primes de 507,1 M$, indique le récent Rapport annuel sur les institutions financières de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

En 2016, la Sun Life avait conclu une entente de souscription combinée de rentes de 530 M$ avec deux promoteurs de régimes canadiens, ce qui en faisait alors le plus important contrat de rentes collectives réalisé au Canada.

En un an, RBC Assurances et Canada-Vie ont pour leur part fait des poussées impressionnantes dans ce marché. Avec des primes directes souscrites qui ont fortement grimpé et qui totalise pour le premier 331,2 M$. Les parts de marché de RBC Assurances ont bondi à 17,5 %, comparativement à 0,16 % en 2016.

Les compagnies d’assurance canadiennes présentes dans le marché des rentes collectives affichent une plus grande capacité et se montrent disposées à assumer davantage d’obligations au titre des prestations aux retraités, constate la firme Morneau Shepell. Des modifications apportées aux lois de diverses provinces, notamment au Québec et en Ontario, ont notamment permis aux promoteurs de régimes de retraite d’éliminer le risque juridique résiduel et de transférer entièrement leurs obligations envers les participants en rentes assurées sans devoir procéder à la liquidation complète du régime en question.

«Il y a fort à parier que la possibilité de décharge des engagements envers les participants en rentes assurées suscitera l’intérêt des promoteurs qui souhaitent réduire la taille des régimes de retraite figurant à leur bilan sans pour autant liquider ces régimes», indique Morneau Shepell.

Historiquement, c’est la terminaison d’un régime qui entraînait un achat de rentes. Aujourd’hui, ces achats sont devenus un moyen de gérer les risques liés aux régimes de retraite toujours en vigueur. Les entreprises ont ainsi l’option d’acheter des rentes sans rachat des engagements (achat de type «buy-in»). En vertu d’une telle entente entre un promoteur de régime et un assureur, ce dernier assume le risque de longévité (risque que le participant survive plus longtemps que prévu) et le risque de taux d’intérêt moyennant une prime déterminée par les deux parties et payée à même la caisse de retraite. Le promoteur demeure responsable du versement des prestations de retraite, des communications avec les participants et des autres activités administratives, mais l’assureur rembourse au promoteur le coût des prestations au moyen d’un versement mensuel à la caisse de retraite. L’autre option, avec rachat des engagements (de type «buy-out»), stipule que l’assureur, en plus d’assumer le risque de longévité et le risque de taux d’intérêt, se charge également des tâches administratives et verse les prestations mensuelles aux retraités.

Bref, en achetant des rentes pour ses participants retraités auprès d’un assureur, le promoteur d’un régime de retraite obtient ainsi la garantie que les rentes de retraite seront versées à ses participants jusqu’à leur décès. Du même coup, le régime de retraite se libère non seulement du risque de longévité, mais également des risques liés au marché et aux taux d’intérêt.

En effet, si les Canadiens peuvent s’attendre à vivre plus longtemps que leurs parents et leurs grands-parents, la mauvaise nouvelle est qu’une meilleure espérance de vie entraîne une augmentation des risques de longévité et des coûts pour les régimes de retraite.

«Il ne faut pas sous-estimer l’impact de l’amélioration de l’espérance de vie, même si elle est difficile à évaluer. Si une entreprise pensait payer des rentes à ses retraités, de l’âge de 65 à 75 ans, elle aura probablement à le faire jusqu’à 80 ans à l’avenir. Or, les entreprises qui pensent que c’est seulement cinq ans de plus se trompent. Elles auront probablement à payer 50 % de plus», avertit Gino Girard, qui ajoute que l’achat de rentes peut s’avérer particulièrement intéressant pour les promoteurs de régimes de grande envergure arrivés à maturité.

Modifier sa politique de placement

D’autres sociétés choisissent plutôt de revoir leur politique de placement. Les entreprises qui offrent des régimes de retraite PD devraient d’ailleurs «profiter de la santé financière actuelle de leurs régimes pour réévaluer leur politique de financement afin d’éviter des pertes importantes advenant une correction boursière», conseille F. Hubert Tremblay.

La solvabilité des régimes de retraite a fortement bénéficié de la vigueur des marchés boursiers ces dernières années. L’indice Mercer de la santé financière des régimes de retraite, qui illustre le ratio de solvabilité d’un régime de retraite hypothétique, s’établissait à 107 % à la fin de juin, comparativement à 106 % au début de l’année. De plus, près de la moitié des régimes de retraite canadiens sont maintenant entièrement capitalisés.

Les promoteurs de régimes de retraite PD ne devraient toutefois pas se laisser berner par un faux sentiment de sécurité. En effet, bon nombre mettent de plus en plus en doute la capacité des marchés boursiers à continuer à produire des rendements aussi solides après une période prolongée de marché haussier.

«Nombre de ces régimes sont beaucoup trop exposés au risque d’investissement, compte tenu de leur bonne solvabilité et du rapprochement de leur horizon de placement. Le risque de déficits énormes qui pourraient réapparaître l’emporte largement sur l’avantage d’accroître les surplus», estime F. Hubert Tremblay.

Afin de réduire les risques de placement, des promoteurs de régimes modifient leur répartition d’actif, certains se contentant notamment de réduire la pondération en actions, alors que d’autres optent pour une stratégie de placement axée sur le passif.

Pour mieux gérer les risques attribuables aux régimes de retraite PD dans les dernières années, bon nombre d’entreprises les ont remplacés par des régimes à cotisation déterminée (CD). Aujourd’hui, dans le secteur privé, seulement un travailleur sur 10 est couvert par un régime de retraite PD, comparativement à un quart des travailleurs il y a 25 ans, constate le conseiller principal chez Mercer. «C’est une tendance irréversible qui va continuer à s’accentuer», constate-t-il, en précisant qu’environ 80 % des employés du secteur public bénéficient encore d’un régime PD.

Dans les regimes PD, les cotisations permettent d’acquerir une rente fixee d’avance. À l’inverse, ce sont les cotisations qui sont fixes dans les regimes CD. Les risques reposent ainsi davantage sur les travailleurs qui doivent composer seuls avec les risques financiers et de longevité.

«Cependant, il ne faut pas démoniser les régimes à cotisation déterminée. Ce sont de bons régimes de retraite qui plaisent même aux nouvelles générations de travailleurs qui sont prêts à prendre plus de responsabilités individuelles», fait valoir F. Hubert Tremblay.

Pour atténuer ces risques, certaines entreprises permettent le décaissement à même les régimes CD par l’entremise de prestations variables. Les participants au regime peuvent ainsi continuer d’y participer, apres leur depart a la retraite, ce qui leur permet d’avoir toujours accès a des placements familiers et à bénéficier de frais de gestion avantageux.