Un homme d'affaire en position pour se lancer dans une course.
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Les fonds négociés en ­Bourse (FNB) indiciels lancés en premier dans un marché profitent souvent d’un important avantage par rapport aux fonds qui le sont par la suite dans ce même marché. C’est ce qu’on appelle l’avantage du premier arrivé. Par contre, il n’est pas évident que cet avantage en confère un aux investisseurs.

Au début de 2021, l’arrivée sur le marché canadien des premiers FNB de bitcoins illustre cet avantage. Un seul jour peut être décisif. Purpose Investments a lancé son FNB Bitcoin (BTCC), le premier FNB de bitcoins au monde, le 18 février 2021. Le lendemain, Evolve Funds lançait son propre FNB de bitcoins. Un mois plus tard, le BTCC a accumulé un milliard de dollars (G$) en actif sous gestion (ASG), déclassant Evolve et les autres émetteurs qui avaient lancé leur propre FNB de bitcoins.

À son premier anniversaire, le FNB Bitcoin de Purpose (BTCC) atteignait déjà 1,4 G$ d’ASG, soit 29 % de l’ensemble des actifs en FNB de cryptoactifs, et affichait un volume moyen des opérations quotidiennes (VMOQ) de 56 millions de dollars (M$), cinq fois plus que son plus proche rival. Le secteur des FNB de cryptoactifs au Canada comptait 43 produits et cumulait 4,8 G$ d’ASG en février 2022, selon une analyse de Valeurs mobilières TD effectuée le 22 février 2022.

À pareille date, le FNB Bitcoin d’Evolve (EBIT) n’avait engrangé que 96 M$ d’ASG, même si ses frais de gestion de 0,75 % étaient alors de 25 points de base inférieurs à ceux du FNB de Purpose. Son VMOQ s’élevait à 7 M$. Même situation pour le FNB Galaxy Bitcoin de CI (BTCX). Mis sur le marché seulement trois semaines après celui de Purpose, et malgré des frais de gestion de 0,40 %, il ne réussissait qu’à accumuler 456 M$ d’actifs en février 2022, son VMOQ s’établissant à 11 M$.

Cet avantage du premier arrivé – comment on le préserve, comment on le perd – en est un que les analystes s’expliquent mal. Certes, le ­FNB ­Bitcoin de ­Purpose a profité d’un autre important avantage de visibilité en voyant des options sur son fonds cotée à la Bourse de Montréal. Or, même cet avantage n’a pas réussi à lui conserver la première place, à tous les moments de son histoire. « Ça tient probablement au simple fait que les premiers venus bénéficient d’une longueur d’avance, mais ça peut aussi être en partie le résultat d’effets de réseau et de marketing », fait ressortir ­Frédéric ­Viger, directeur général et ­co-chef des ventes institutionnelles de ­FNB à Banque Nationale Marchés financiers (BNMF).

En mars, ­BNMF dévoilait le fruit d’une analyse couvrant 23 ­FNB canadiens qui suivent neuf indices différents et qui tente d’expliquer l’avantage du premier venu. On a comparé des fonds qui suivaient le même indice lancés depuis 2002, car les actifs ­sous-jacents des produits sont les mêmes, peu importe l’émetteur, selon l’étude menée par un groupe d’analystes financiers sous la coordination de ­Patrick ­McEntyre, directeur et co-chef des ventes institutionnelles de ­FNB à BNMF.

Un paradoxe ressort. D’un côté, les premiers arrivés jouissent d’un avantage en recueillant 55 % de l’actif total des fonds qui suivent l’indice en particulier. De l’autre, les premiers venus en général exigent des frais de gestion plus élevés que les fonds lancés par la suite. Ainsi, certains premiers venus réussissent à maintenir leur position de tête même si leur ­FNB coûte plus cher que ceux lancés par leurs concurrents, même quand tous les fonds suivent un même indice.

BNMF établit une distinction clé entre deux types d’investisseurs : les négociateurs à court terme qui se soucient d’abord et avant tout de la liquidité d’un ­FNB, et les détenteurs à long terme pour qui les frais comptent ­par-dessus tout. Ces derniers, fait ressortir l’étude, « constituent la base première » du marché à cause de leur sensibilité aux frais et de leur perspective à long terme.

Par contre, les premiers sont généralement plus à l’aise de payer des frais de gestion un peu plus élevés, car cet écart de frais est minime par rapport aux économies sur les frais de transaction.

Deux dynamiques

Au fil du temps, le marché évolue en deux genres d’équilibres. Dans le premier scénario, l’émetteur du fonds lancé en premier courtise les négociateurs, car leur besoin de liquidité les rend moins sensibles aux frais de gestion plus élevés. Ses concurrents lancent par la suite d’autres fonds, généralement avec des frais de gestion plus faibles, et se livrent entre eux une guerre de prix.

Si l’émetteur du fonds lancé en premier ne réussit pas à recruter un nombre suffisant de négociateurs, perd des actifs au profit de concurrents et juge qu’il serait plus rentable de baisser ses frais, il entrera dans la guerre de prix. ­Celle-ci se poursuit jusqu’à ce que les frais se nivellent chez tous les émetteurs de fonds. Cependant, ce nivellement des frais ne signifie pas nécessairement que le premier émetteur perd sa position dominante.

Dans le second scénario, le premier émetteur, s’il réussit à recruter la clientèle des négociateurs à court terme, voit ses frais plus élevés confirmés tant que les revenus générés par cette clientèle sont plus élevés que ceux qu’il pourrait obtenir en diminuant ses frais dans une tentative de servir les deux types d’investisseurs. La clientèle des négociateurs devient dépendante du ­FNB lancé en premier sur le marché. En effet, d’une part, elle est friande de la plus grande liquidité que son ­FNB assure et, d’autre part, elle est retenue par le coût lié au fait de réaliser un gain en capital en vendant son ­FNB pour acheter le fonds d’un concurrent.

« L’épargne sur les frais est minime comparativement aux coûts de transaction plus grands et l’obligation de réaliser des gains en capital » qu’un investisseur peut vouloir différer, fait ressortir l’analyse de ­BNMF.

Du coup, comme le montre cette analyse, la prédominance du fonds lancé en premier qui réussit à servir majoritairement une clientèle de négociateurs se voit confortée grâce à un ­VMOQ plus élevé, des transactions accrues et un écart ­vendeur-acheteur plus serré – en dépit de frais de gestion supérieurs.

La division du marché entre investisseurs à long terme et négociateurs se confirme aux ­États-Unis. Dans ce marché, on voit un nombre croissant d’émetteurs qui, après avoir lancé un premier fonds visant les négociateurs ayant une liquidité plus élevée, lancent un deuxième ­FNB visant les investisseurs de long terme avec des frais réduits. L’étude de ­BNMF explique pourquoi cette deuxième émission ne constitue pas une cannibalisation, mais bien la tentative de s’adresser à deux clientèles distinctes. Pour l’instant, on n’a pas vu d’émetteur poursuivre une stratégie similaire au ­Canada, mais cela pourrait devenir le cas, note l’étude.

Frédéric ­Viger considère que l’avantage du premier lancé se vérifie dans certaines catégories d’actifs, notamment dans les cryptomonnaies, dans les ­FNB thématiques et les FNB à titre unique (FNB ­Tesla ou ­Apple, par exemple), « mais il tient moins dans le secteur ­ESG, ­dit-il. À cause de l’importance des flux d’argent, si un autre fournisseur entre avec une proposition intéressante, on a vu des premiers lancés perdre leur avance ».

« ­Il existe bien des cas où des premiers lancés ont été détrônés par un suiveur, confirme Daniel Straus, directeur général, recherche sur les ­FNB à ­BNMF. On l’a vu dans des secteurs thématiques, par exemple en robotique et en aérospatiale. »

On trouve un cas éloquent aux ­États-Unis dans le secteur des marchés émergents, où le ­FNB Marchés émergents MSCI d’iShares (EEM) demeure un titre important, avec un ­ASG de 23 G$ US. Cependant, rappelle ­Daniel ­Straus, cela n’a pas empêché le ­FNB ­Indice d’actions émergentes de ­Vanguard (VWO) de le supplanter. « ­Il a fallu cinq ans pour que ­VWO prenne le dessus sur EEM », relève l’analyste. Mais aujourd’hui, ­VWO l’emporte haut la main avec un ­ASG de 98 G$ US.

Même dans le marché des ­FNB de bitcoins, le statut de premier lancé est loin d’être garanti. Dès la deuxième année de son existence, et suivant les malheurs qui se sont abattus dans l’univers des cryptomonnaies, le ­FNB ­Bitcoin de ­Purpose (version en dollars canadiens) avait vu son ASG fondre à 379 M$, selon le ­Compendium des ­FNB de ­BNMF de mars 2023. Il s’est fait surpasser par le ­FNB CoinShares ­Bitcoin de 3iQ (BTCQ), dont l’ASG menait le bal à 437 M$ et qui fait aussi l’objet d’options sur ce ­FNB inscrites à la ­Bourse de ­Montréal. De mars à septembre, le BTCQ a subi d’importants rachats, ce qui a redonné au BTCC de Purpose sa position de meneur.

Les investisseurs ­devraient-ils donner leur faveur aux ­FNB lancés en premier sur le marché ? Certes, le ­FNB d’un émetteur concurrent offrira sans doute des frais moins élevés, mais il risque également d’avoir un écart de prix acheteur-vendeur plus large à cause d’un plus faible volume de transactions, d’être moins liquide et d’être davantage à risque d’être dissous prématurément.

Donner sa faveur à un ­FNB premier lancé « peut offrir certains avantages, mais ce n’est pas une condition sine qua non » au succès financier d’un investisseur, juge ­Fred ­Demers, directeur et stratège en investissement à ­BMO Gestion mondiale d’actifs. « ­Une question importante, ajoute-t-il, est celle de la liquidité. Des plus petits joueurs peuvent introduire des produits intéressants, mais peu liquides, sans compter qu’avec la liquidité vient en général plus de transparence. »

Attention, avertit ­Frédéric ­Viger, « la liquidité d’un ­FNB n’est pas nécessairement celle qu’on voit sur les marchés, mais celle des titres ­sous-jacents qui composent le ­FNB. Même si un ­FNB montre peu de volume, il ne faut pas s’arrêter à ça ; la liquidité intrinsèque d’un ­FNB tient aux titres qui le composent ».

Quant au risque de fermeture, encore là, un premier venu peut offrir une plus grande assurance de pérennité, mais c’est loin d’être acquis. « ­On peut être lancé en premier, mais si on ne récolte pas assez d’actifs, on est plus à risque de fermer qu’un suiveur qui recueille plus de fonds », dit Frédéric Viger. Le risque de dissolution d’un fonds est souvent davantage lié à la taille de l’émetteur. « Même des émetteurs de grande taille peuvent quand même fermer un ­FNB parce qu’ils n’amassent pas assez d’actifs », poursuit-il.

Au bout du compte, les questions qu’il faut se poser dans le choix d’un ­FNB sont indépendantes de son statut de premier lancé ou de concurrent lancé par la suite. En voici ­quelques-unes suggérées par nos intervenants : cet investissement ­est-il à long terme ou de nature tactique ? Les frais priment-ils plus que la liquidité ? Le FNB couvre-t-il adéquatement le secteur visé ? ­Est-il à risque de fermer prématurément ? ­Les titres ­sous-jacents ­sont-ils liquides ? ­Certes, un premier lancé mérite d’être considéré en priorité, car il y a davantage de chances qu’il satisfasse aux exigences d’un investisseur – mais pas nécessairement.