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Percer dans le secteur des fonds négociés en ­Bourse (FNB) n’est pas chose facile. Myron ­Genyk en sait quelque chose.

Myron ­Genyk est chef de la direction et cofondateur de la société torontoise ­Evermore ­Capital inc., qui a lancé les premiers ­FNB à date cible du ­Canada en février 2022. La gamme a obtenu une grande couverture par les médias et les fonds ont accumulé 14 M$ d’actifs sous gestion (ASG) avant qu’Evermore annonce, 364 jours plus tard, qu’elle mettait fin.

Dans un marché où le seuil de rentabilité d’un ­FNB peut être atteint à partir d’environ 50 M$ d’ASG, les grands acteurs lancent régulièrement des fonds promus par des campagnes publicitaires coûteuses tout en réduisant les frais de gestion, gestes qui sont généralement hors de portée des boutiques de ­FNB.

Myron ­Genyk attribue l’échec des ­FNB à horizon de retraite en premier lieu non seulement à une économie défavorable et à une mauvaise performance globale du marché, mais aussi à des problèmes de distribution.

Malgré la relative simplicité des ­FNB, « une plateforme ne permettait même pas à ses conseillers d’acheter nos ­FNB tant que nous n’avions pas 3 ans d’antécédents et 25 M$ d’actifs sous gestion », ­a-t-il déclaré.

Pat ­Dunwoody, directrice générale de l’Association canadienne des ­FNB, reconnaît les obstacles importants auxquels se heurtent les nouveaux venus qui ne bénéficient pas du soutien d’une multinationale ou d’une vaste gamme de produits complémentaires, en particulier dans un contexte de règles plus strictes en matière de connaissance du produit.

« ­Si vous êtes nouveau, il se peut que vous ne soyez même pas considéré parce que [les courtiers et les conseillers] peuvent dire : « Nous voulons attendre que vous soyez là depuis un an ou deux«  », affirme-t-elle. Mais sans distribution, les produits risquent de ne pas survivre assez longtemps pour atteindre les antécédents exigés.

Par conséquent, les acteurs potentiels doivent envisager d’autres moyens d’accéder au marché. « Au cours des derniers mois, quelques personnes m’ont contactée pour me faire part de leurs excellentes idées quant au lancement d’un produit. Le conseil donné est de commencer par une commercialisation en marque blanche », mentionne ­Pat Dunwoody. Cela permet à un fonds d’être lancé sous l’enregistrement d’une autre société. « ­Si l’idée est bonne, vous devriez pouvoir trouver une société qui vous permettra de procéder par commercialisation en marque blanche ou d’être un ­sous-conseiller, avec une clause d’extinction si vous le souhaitez. »

Evermore avait reçu des demandes de commercialisation en marque blanche de la part de gestionnaires de portefeuilles, qui avaient été écartées par de plus importants fournisseurs de ­FNB souhaitant se concentrer sur leurs propres gammes de fonds. Myron ­Genyk a d’abord refusé pour la même raison. Or, une fois qu’Evermore a mis fin à la gamme de produits à horizon de retraite, « nous avons pensé qu’il était logique pour nous d’occuper ce créneau », ­dit-il.

Au printemps, ­Evermore a lancé la première plateforme de marque blanche du pays, Evermore LaunchPad, qui permettra à une entreprise d’utiliser l’enregistrement de la société en tant que gestionnaire de portefeuille et gestionnaire de fonds d’investissement pour lancer un produit avec la marque de l’entreprise, réduisant ainsi les coûts de conformité et de démarrage. L’entreprise peut également bénéficier de l’expérience d’Evermore en matière de lancement de produits sur le marché.

Myron ­Genyk annonce que sa société se concentre désormais sur la commercialisation en marque blanche.

« ­Pour être justes envers nos clients, je ne pense pas que nous nous remettrons ­nous-mêmes mux FNB. Nous ne voulons pas leur faire concurrence », ­a-t-il précisé.

C’est en partie pour tirer profit de son expertise existante que la société torontoise ­Bristol Gate Capital Partners inc. a lancé ses ­FNB il y a quelques années.

La société a été fondée en 2006 et gère des mandats de croissance à dividendes élevés aux ­États-Unis et au ­Canada. Les premiers fonds de ­Bristol ­Gate étaient réservés aux investisseurs accrédités, mais après avoir accédé à une plateforme bancaire en 2016, la société a constaté une demande de particuliers et a réagi en lançant en 2018 des versions ­FNB de ses fonds américains et canadiens de société en commandite.

« ­Nous avions déjà testé les produits », indique Jamie Houston, responsable principal des relations de Bristol Gate.

Au 31 juillet, la société gérait 2,8 G$ d’actifs sous gestion, dont 243 M$ dans les ­FNB.

La société torontoise ­Mulvihill ­Capital ­Management inc. a également lancé son premier ­FNB à la suite du succès obtenu par ses stratégies distinctives dans d’autres structures.

Cette société en affaires depuis 28 ans est spécialisée dans les stratégies basées sur les options et l’accroissement du rendement grâce à l’effet de levier. Elle a lancé en 1995 le premier produit bancaire couvert de vente d’options d’achat au ­Canada. En 2008, ­Mulvihill ­Capital a rationalisé sa gamme pour n’offrir que des fonds à capital fixe. En 2019, toutefois, voyant une occasion dans un marché élargi, elle a lancé des versions de fonds communs de placement et de ­FNB d’un fonds à rendement supérieur.

La gamme de ­FNB de ­Mulvihill comptait au 31 juillet 79 M$ d’ASG, répartis entre ces ­FNB et deux autres fonds sectoriels à rendement supérieur. Mulvihill totalise 400 M$ d’ASG.

John P. Mulvihill, président et gestionnaire de portefeuille, explique que le lancement des fonds communs de placement et des ­FNB a été facilité par la longue histoire de collaboration que sa société avait avec les banques relativement aux fonds à capital fixe et les opérations sur produits dérivés.

« L’argumentaire est plus facile si les banquiers d’affaires et les opérateurs de marché disent tous deux : Nous avons une longue relation avec eux ; ils ont soutenu notre entreprise au fil des ans », fait-il remarquer.

Mulvihill ­Capital et ­Bristol ­Gate reconnaissent toutes deux la valeur d’une gamme restreinte de produits.

« ­Certaines grandes sociétés sont comme des ­Baskin-Robbins : peu importe la saveur que vous voulez, elles l’offrent. Mais nous sommes des spécialistes de la croissance des dividendes élevés, et c’est tout ce que nous faisons, illustre ­Michael ­Capombassis, président de ­Bristol ­Gate. Nous n’aurons jamais 20 produits. »

Le dirigeant ajoute que la société pourrait éventuellement étendre ses activités à des mandats mondiaux ou de moyenne capitalisation, mais seulement après une analyse rigoureuse. « Généralement, nous incubons un [nouveau] produit à l’interne, avec notre propre argent, pendant une ou plusieurs années afin de nous assurer qu’il s’agit d’un produit qui ajoutera de la valeur [à notre gamme et aux portefeuilles de nos clients] au fil du temps », renchérit Jamie Houston.

Mulvihill ­Capital fait également preuve de prudence lorsqu’elle considère de nouveaux produits. « ­Nous n’avons pas de société de gestion d’actifs qui peut injecter 300 M$ dans un ­FNB parce qu’elle a placé ce montant dans un [portefeuille] modèle, spécifi­John P. Mulvihill. Il est très important de prendre rapidement de l’avance pour que le fonds soit viable. »

Cette prudence peut signifier la mise en veilleuse d’un nouveau produit, même en renonçant à l’avantage du premier arrivé au marché (Lire Avantagés, les FNB lancés en premier).

John P. Mulvihill signale que sa société a été la première à obtenir l’autorisation réglementaire pour les ­FNB à titre unique au ­Canada, mais qu’elle a décidé de ne pas les lancer après une analyse ­coûts-avantages.

« À 65 points de base, nous aurions probablement eu besoin de 40 M$ ou 50 M$ d’ASG pour atteindre le seuil de rentabilité, et ce, sans tenir compte de l’arrivée de concurrents », explique John P. Mulvihill.

Purpose ­Investments inc. a finalement été la première sur le marché, en lançant des ­FNB à titre unique en décembre 2022 (LireComparaison des FNB à titre unique et des CCAÉ).

« ­Quand on est une grande société, on est prêt à prendre plus de risques avec des produits innovants. En ce qui nous concerne, nous devons nous assurer qu’il s’agit d’un produit qui sera rentable, avance ­John P. Mulvihill. Nous ne pouvons pas réduire nos frais de gestion à 12 points de base [par exemple] et préserver la rentabilité de nos activités. »

John P. Mulvihill précise que tout lancement futur resterait dans la sphère de compétence de sa société, par exemple d’autres produits de vente d’options à effet de levier axés sur des secteurs tels que l’énergie ou l’immobilier.

Dépasser les barrières

S’il est une entreprise qui a l’habitude de faire tomber les barrières, c’est bien 3iQ ­Corp. En 2019, le gestionnaire de fonds torontois a contesté avec succès une décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario afin de pouvoir proposer parmi les premiers ­FNB de bitcoins au monde.

Malgré cette réussite, la société se heurte encore à des portes closes. « ­Notre plus grand défi est d’entrer sur les plateformes des principaux courtiers bancaires, admet Fred Pye, chef de la direction et administrateur de 3iQ. Les contrôleurs d’accès des grandes sociétés n’ont pas adopté notre catégorie d’actifs. »

Il ajoute que 3iQ cherche plutôt à renseigner les conseillers, car « les conseillers qui ont de l’influence peuvent généralement contourner les contrôleurs d’accès ».

Les deux ­FNB de cryptomonnaies et les deux fonds à capital fixe de 3iQ avaient des actifs sous gestion combinés de 650 M$ au 31 juillet.

« ­Nous avons une excellente exposition au secteur canadien, assure ­Fred ­Pye. Mais tant que les banques n’auront pas enlevé les entraves, il sera difficile de voir l’un ou l’autre des ­FNB d’actifs numériques gagner du terrain. »

Par conséquent, 3iQ trouve ses plus grandes occasions à l’échelle mondiale. La société travaille avec des investisseurs institutionnels aux ­États-Unis, au ­Moyen-Orient, en ­Europe et en ­Asie. (Elle a également un bureau dans le métavers ­Voxels.) ­Selon ­Fred ­Pye, environ 75 % des actifs sous gestion de sa société sont canadiens, et ce pourcentage devrait tomber à moins de 50 % au fur et à mesure que la société prendra de l’ampleur.

« [Le] marché canadien semble stagner à l’heure actuelle », ­estime-t-il.

De la même façon, ­Bristol ­Gate prévoit que sa croissance future sera impulsée au ­Canada et à l’extérieur.

« ­Nous travaillons fort pour gagner une place sur davantage de plateformes bancaires en tant que produit complémentaire, non pas pour remplacer un produit bancaire, dit ­Michael ­Capombassis. Lorsque nous examinons d’autres stratégies de dividendes classiques, nous avons tendance à avoir très peu de chevauchement d’actions. »

Il précise que ­Bristol ­Gate est enregistrée auprès de la U.S. Securities and ­Exchange ­Commission depuis 2015 et qu « [elle est présente] sur certaines des plus grandes plateformes de gestion de patrimoine aux ­États-Unis en tant que produit [un compte géré séparément] ».

Ce type de succès peut en entraîner d’autres. « ­Lorsque vous êtes présent sur ces plateformes en tant que comptes gérés, les conseillers commencent souvent à utiliser davantage les ­FNB », souligne ­Michael ­Capombassis.

Pat ­Dunwoody reconnaît que la familiarité et les relations sont importantes pour les petits acteurs du secteur des FNB.

« ­Quelqu’un vous ouvrira sa porte parce qu’il vous connaît depuis 10 ans », ­observe-t-elle.

« ­Si vous repérez quelqu’un de très connu et de très respecté dans le secteur, il peut être intéressant de l’engager pour ouvrir des portes. »