Un homme d'affaire qui se gratte la tête surpris, un dossier entre les mains.
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La récente décision de certaines institutions de dépôt de ne plus permettre aux clients de leurs succursales de se procurer davantage de fonds communs conçus par des manufacturiers tiers est un autre bon exemple de conséquence réglementaire inattendue.

Revenons sur cette histoire de rationalisation de gamme de produits rapportée par la journaliste Katie Keir de notre publication soeur, Investment Executive (IE).

En mars, TD a annoncé à l’interne qu’elle ne donnerait plus accès aux fonds d’investissement de tiers aux représentants de ses succursales bancaires de détail, à compter du 1er juillet 2021. Ce changement représente une réduction de 15 % de la gamme de produits des conseillers des succursales, déclarait Dave Kelly, ancien premier vice-président et chef de Gestion privée de patrimoine TD et de Planification financière de patrimoine TD, dans une entrevue en avril.

« C’est un changement difficile pour nos équipes », disait-il à IE, soulignant qu’il s’agit d’un des exemples de préparatifs effectués en vue de l’entrée en vigueur des réformes axées sur le client. Dans ces changements réglementaires conçus par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), on exige entre autres que les représentants démontrent leur connaissance des produits recommandés.

Ceux-ci doivent « comprendre les titres achetés ou vendus pour les clients ou qui leur sont recommandés, notamment leur structure, leurs caractéristiques et leurs risques, ainsi que les frais initiaux et continus qui y sont associés et leur incidence », lit-on dans la version de l’Instruction générale du Règlement 31-103 qui entrera en vigueur à la fin de 2021.

Pour une entreprise qui gère ses risques liés à la conformité, on comprend qu’il peut être ardu de continuer à offrir des produits proposés par des tiers tout en ayant cette obligation. Il est alors plus facile de se concentrer uniquement sur les produits maison, ce qui limite le temps d’analyse pour les représentants. La supervision des conseillers et leur besoin de formation sont également plus simples à gérer.

En restreignant la gamme de produits que peuvent offrir les représentants, on n’est toutefois pas en train de leur faciliter la vie ni d’adopter une politique favorable aux besoins des clients.

« Je suis furieux que les [produits] de tiers aient été supprimés. C’est une façon contraire à l’éthique de nous soutirer des revenus au détriment du client », a déclaré un conseiller de TD en Alberta, interrogé par IE à l’occasion de son Pointage des institutions de dépôt (« Report Card on Banks 2021 »).

Une tournée des principales banques canadiennes a permis à la journaliste de découvrir que d’autres imiteront la TD, dont la CIBC et la RBC, comme le mentionne l’article « Banks trim product offerings ahead of CFRs », de Katie Keir.

Cette nouvelle a suscité beaucoup de réactions, dont la profonde déception de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada). Dans son éditorial d’octobre, IE interpellait les régulateurs afin de stopper «ce comportement anti-concurrentiel».

À qui la faute ?

Certains n’hésitent pas aujourd’hui à lancer la pierre aux banques pour cette rationalisation de leur gamme de produits. Or, attention avant de sauter aux conclusions.

Déjà, en 2016, bon nombre d’acteurs de l’industrie financière mettaient en garde les ACVM contre des exigences trop importantes en matière de connaissance du produit dans leur réponse au document de consultation 33-404 sur le rehaussement des obligations des conseillers et des courtiers envers leurs clients.

Cet échange entre l’industrie et les ACVM a donné naissance aux réformes axées sur le client, qui prévoient des obligations moins contraignantes que dans le document 33-404. Dans leur consultation, les ACVM jugeaient déjà comme une conséquence non désirée le fait que certains membres de l’industrie se concentrent uniquement sur leurs produits maison.

Les ACVM avaient donc été averties et c’était un risque qu’elles ont pris consciemment. Peut-on en vouloir aux institutions financières de gérer à leur façon les nouveaux risques de conformité provenant des ACVM ?

Ces régulateurs devraient bien entendu examiner toute cette histoire, et le faire dans sa globalité, de manière élargie et avec une perspective historique. Ils doivent tenter de comprendre l’avis de toutes les parties avant de prendre des mesures.

Tant qu’à examiner ces enjeux, les ACVM devraient également élargir leur examen des produits maison des banques et en étudier toutes les facettes. Par exemple, pourquoi bon nombre d’institutions financières possèdent-elles une société de courtage de plein exercice et/ou de courtage en ligne, mais n’ont-elles pas encore créé de passerelles technologiques permettant aux clients de détail d’avoir accès à des fonds négociés en Bourse (FNB) à faibles frais par l’entremise d’un représentant en épargne collective en succursale ? La vente directe de FNB par ces derniers est même souvent interdite.

Le Groupe financier PEAK a été capable, en 2016, d’établir de tels genres de passerelles, surmontant ainsi les surmontant ainsi les obstacles technologiques à la distribution de FNB par des représentants en épargne collective.

Quoi qu’il en soit, les ACVM doivent tirer des leçons de cette histoire. Celle-ci nous démontre qu’une action réglementaire amène une rétroaction de l’industrie. L’interprétation d’une règle par l’industrie peut s’éloigner de l’objectif de l’auteur de cette règle. Cela nous rappelle l’importance pour les régulateurs de continuer à écouter l’industrie et à concevoir des règles qui limitent le plus possible ce genre de conséquences non désirées.