Un marteau judiciaire sur un bureau et une balance de droit avec des livres de droit à côté.
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La réponse serait non. Le 1er juin 2022, le procureur des États-Unis pour le district de New York, conjointement avec le Federal Bureau of Investigation, a annoncé un acte d’accusation inculpant Nathaniel Chastain de fraude et de blanchissement d’argent dans le cadre d’un stratagème classique de délit d’initié. Cette accusation est la première concernant un délit d’initié lié aux NFT (jetons non fongibles, ou non-fungible tokens en anglais) et indique que les violations impliquant des NFT seront juridique traitées de la même manière que tous les autres cas.

Que sont les NFT ?

Les NFT désignent des actifs numériques uniques qui ne peuvent être ni remplacés ni copiés. Contrairement à la cryptomonnaie, qui est fongible et donc peut être remplacée par un autre objet de même nature et de même qualité, un NFT n’est pas interchangeable avec un autre NFT. Chaque NFT est unique, telle une pièce d’art. Ces actifs sont accompagnés de métadonnées, soit de l’information associée à un document numérique, qui agissent comme certificat d’authenticité et permettent de confirmer leur identité.

Première arrestation pour délit d’initié

Nathaniel Chastain est l’ancien chef de produit chez Ozone Networks (OpenSea), soit le plus important marché en ligne pour l’achat et la vente de NFT. On lui reproche d’avoir utilisé de l’information confidentielle quant aux NFT qui allaient être présentés sur la page d’accueil d’OpenSea pour s’enrichir.

Dans le cadre de son emploi, Nathaniel Chastain avait la responsabilité de sélectionner les NFT qui seraient publiés sur le site Internet d’OpenSea. Leur prix augmentait de manière appréciable à la suite de leur publication, les usagers du site y prêtant une grande attention. Nathaniel Chastain est accusé d’avoir acheté des dizaines de NFT juste avant leur publication sur le site de son employeur, pour ensuite les vendre à profit.

Ce qui distingue le présent cas est le fait qu’il s’agit de la première accusation pour délit d’initié lié aux NFT, des actifs numériques relativement jeunes. Malgré la nouveauté de l’objet vendu, l’essence de l’accusation reste la même, puisque les délits d’initiés, eux, ne sont pas nouveaux. Au Québec, le terme « initié » désigne, entre autres, les administrateurs ou dirigeants d’une entreprise, ainsi que les personnes ayant obtenu de l’information privilégiée dans le cadre de leur emploi et de leurs activités commerciales ou professionnelles.

Dans le contexte du Québec, selon la Loi sur les valeurs mobilières ainsi que la réglementation applicable, ces personnes ne peuvent négocier sur la base d’information privilégiée, c’est-à-dire toute information encore inconnue du public et susceptible d’influencer la décision d’un investisseur raisonnable.

Une brève histoire des NFT

Malgré leur popularité, les NFT sont souvent mal compris. Ils sont devenus populaires auprès du grand public vers la fin des années 2010, notamment par l’intermédiaire de jeux en ligne qui ont fait sensation sur le web. Un exemple frappant est CryptoKitties, qui permet aux joueurs d’acheter, de vendre et d’élever des chats virtuels. Entre le 28 novembre 2017, date du grand dévoilement du jeu, et le 7 décembre 2017, plus de 8,5 M$US ont été dépensés sur la plateforme pour acheter 53 000 chats virtuels[1].

Ces actifs virtuels sont stockés sur une chaîne de blocs (blockchain en anglais) qui agit comme un registre décentralisé contenant de l’information, notamment au sujet de transactions survenues concernant cet actif. Un NFT est habituellement associé à un objet numérique, telle une oeuvre d’art numérique, et il permet de fournir une preuve de propriété quant à cet objet. Il peut également servir de représentation numérique d’un bien physique.

L’avenir de la réglementation

Comme pour beaucoup d’autres technologies émergentes, il reste à voir si le législateur édictera des cadres réglementaires plus adaptés pour les NFT. Afin de maintenir la confiance des investisseurs envers le marché, il est essentiel d’encadrer les opérations d’initiés. Les personnes détenant de l’information privilégiée doivent maintenant plus que jamais se sensibiliser aux règles qui s’appliquent aux opérations d’initiés. Le développement de nouveaux produits et actifs, bien qu’ils soient novateurs sur le plan technologique, est soumis aux mêmes règles juridiques, comme le démontrent les mésaventures de Nathaniel Chastain.

Julie-Martine Loranger est avocate émérite, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., avec la collaboration de Me Kevin Pinkoski et de Javeria Qureshi, stagiaire en droit. Le présent article ne constitue pas un avis juridique.

[1] Sara Castellanos, «Ethereum Network Copes With Surge of Activity as Virtual Kitten Game Goes Viral», The Wall Street Journal (7 décembre 2017) en ligne: https://www.wsj.com/articles/ethereum-network-copes-with-surge-of-activity-as-virtual-kitten-game-goes-viral-1 512 679 353.