Une photo d'une statuette de la femme de la justice.
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Est-ce qu’un administrateur qui dit à un prêteur «prends ma parole, tu ne perdras pas d’argent avec moi» engage sa responsabilité personnelle envers ce créancier si la société débitrice fait défaut d’acquitter les sommes dues ?

Oui, selon l’honorable Gérard Dugré, de la Cour supérieure du Québec, qui rappelle qu’«une personne qui commet une faute causant un préjudice à autrui doit l’indemniser».

Selon Jean-Louis Baudouin, coauteur d’un ouvrage sur la responsabilité civile, «[e]st en faute quiconque a un comportement contraire à celui auquel on peut s’attendre d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances». C’est ce qu’on appelle communément le devoir d’agir de façon raisonnablement prudente et diligente (paragraphe 136).

De plus «une représentation est fautive au sens de l’art. 1457 C.c.Q.si elle est erronée et que cette représentation, eu égard aux circonstances, constitue une faute civile. Cependant, pour être fautive, la représentation n’a pas besoin d’être malhonnête, dolosive ou faite de mauvaise foi. Partant, même si la bonne foi des parties n’est nullement remise en cause en l’instance, leur responsabilité civile n’est pas atténuée pour autant» (paragraphes 140-141).

Afin de déterminer si chaque défendeur a commis une faute causant un préjudice, le tribunal rappelle entre autres les faits suivants:

  • des représentations ont été faites en mai 2012 à la demanderesse, par les défendeurs, afin que celle-ci accorde un prêt de type «bridge loan» urgent à court terme à l’entreprise Sakura, ce prêt mezzanine permettant d’obtenir par la suite un financement à long terme;
  • lors du procès, la demanderesse a témoigné, de façon crédible, que les défendeurs lui ont affirmé qu’elle ne perdrait pas d’argent en octroyant ce prêt de courte durée, soit pour deux à trois mois;
  • le 8 août 2012, les défendeurs et Sakura apprennent que pour satisfaire aux prérequis des institutions financières pour obtenir un financement à long terme, un rapport 43 101 sur l’estimation des ressources minières doit être dressé selon une procédure complète. Au moment de faire les représentations à la demanderesse en mai 2012, les défendeurs n’avaient pas ce rapport 43 101;
  • selon un rapport incomplet 43 101 daté du 24 mai 2014, les défendeurs sont informés de recommandations de procéder à des forages en 2014 et 2015 en deux phases, au coût approximatif de 500 000$ par phase.

Le tribunal conclut que le défendeur Fastrel a commis une faute en affirmant à la demanderesse qu’elle ne perdrait pas d’argent en accordant le prêt de courte durée à Sakura. En effet, Fastrel devait connaître la situation financière de Sakura, qui n’était pas capable de rembourser le prêt de la demanderesse. De plus, de façon négligente et imprudente, Fastrel a fait des représentations erronées à la demanderesse selon lesquelles le prêt mezzanine serait à court terme, alors qu’aucun financement n’était possible sans que le document 43 101 n’ait été dûment complété.

À titre d’administrateur de Sakura, le défendeur Choquette se devait d’agir avec prudence et diligence. Choquette savait ‘ ou devait savoir ‘ que Sakura serait incapable de rembourser le prêt projeté de 1 M$ sans obtenir le financement à long terme.

Quant au défendeur Fayolle, le tribunal conclut qu’il a commis une faute en affirmant de façon erronée:«je te signerai jamais rien là, mais prends ma parole, tu ne perdras pas d’argent avec moi». De plus, Fayolle connaissait les représentations erronées faites par Fastrel et par Choquette à la demanderesse et il a omis de les corriger. Ce faisant, la responsabilité civile de Fayolle est donc engagée.

Le tribunal souligne qu’une relation de confiance existait depuis plusieurs années et que les affirmations faites par les défendeurs à la demanderesse selon lesquelles elle ne perdrait pas d’argent étaient erronées et surtout «faussement rassurantes». FI 1. Placements F.G. Lemay ltée c. Fayolle, 2020, QCCS 3885.

*Julie-Martine Loranger, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., avec la collaboration de Me Alain Tardif Le présent article ne constitue pas un avis juridique.