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Nombreux sont ceux qui croyaient que le pétrole et le gaz étaient sur le point de disparaître. C’est loin d’être le cas, et la forte performance des fonds de notre palmarès en témoigne.

Jusqu’au début de 2022, les investisseurs n’en avaient que pour les fonds prenant en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), tout particulièrement ceux qui misent sur les énergies renouvelables et la grande « transition énergétique ». Mais depuis janvier, ces fonds et les titres qu’ils abritent ont pâti, alors que les fonds axés sur les énergies traditionnelles, surtout le pétrole et le gaz, ont été en pleine ascension.

Comme l’a révélé la crise ukrainienne en Europe, les investissements massifs de certains pays, notamment l’Allemagne, dans le solaire et l’éolien, en même temps qu’un désinvestissement du charbon et du nucléaire, ont laissé ce pays à la merci du gaz russe, le prix du gaz atteignant, au début de mars, l’équivalent d’un baril de pétrole à 522 $US, selon une évaluation de MarketWatch. En fait, dès la fin de 2021, on a vu beaucoup moins de vent et d’ensoleillement en Europe de l’Est, « tandis que l’hiver était très froid, et les réserves de gaz, très basses », rappelle Tancrede Fulop, analyste senior, services publics, chez Morningstar, à Amsterdam.

Antipétrole

L’Europe n’est pas la seule région à avoir sacrifié les énergies traditionnelles. « En 2015, notre gouvernement canadien est devenu plus négatif à l’endroit du pétrole et a considérablement accru la réglementation relative à l’industrie pétrolière », relate RafiTahmazian, gestionnaire senior du fonds Catégorie portefeuille de l’énergie Canoe, à Calgary. De plus, le 1er avril dernier, le gouvernement Trudeau a augmenté la taxe carbone de 25 %, la fixant à 50 $la tonne d’émissions de CO2. Une même attitude antipétrole prévaut également aux États-Unis depuis l’accession au pouvoir du président Joe Biden.

Le virage vers l’ESG « a drainé beaucoup de capital hors du secteur pétrolier », commente Greg Taylor, chef des placements et gestionnaire du Fonds mondial de ressources Purpose. La réaction des pétrolières était prévisible : elles n’investissent plus dans l’exploration ni dans l’exploitation. Selon Goldman Sachs, en 2013, le secteur pétrolier recevait encore des investissements à hauteur de 155 G$ US, le deuxième niveau en importance depuis 2000. En 2021, le flux d’argent baissait à 20 G$ US. « Les valves sont fermées dur », lance Rafi Tahmazian.

Ajoutez à cet étranglement des investissements la forte reprise post-COVID et la crise ukrainienne, et on se retrouve avec un prix du baril de pétrole qui gravite obstinément autour de 105 $US. Ces prix, proches de sommets historiques, vont-ils perdurer? Les trois gestionnaires à qui Finance et Investissement a parlé le croient.

Demande en hausse

Certes, plusieurs analystes appellent de leurs souhaits une « destruction de la demande »à venir, anticipant par exemple que la croissance des ventes de véhicules électriques va anéantir le recours au pétrole. « C’est un souhait exagéré, car la demande est encore bien présente, surtout dans les pays en développement », affirme Chris Heakes, gestionnaire du fonds BMO Catégorie mondiale énergie, à Toronto.

Rafi Tahmazian voit les choses du même œil. La demande, juge-t-il, loin de baisser, est en pleine croissance, surtout après les multiples attentes créées par le traumatisme COVID. « Nous emballons tout dans du plastique, plus que jamais, dit-il. Six camionnettes viennent livrer des achats à notre porte, nous conduisons tous nos voitures individuelles pour nous enfuir dans des maisons que nous avons achetées loin de la ville. Ça, c’est dans le monde développé. Dans les pays en développement, les populations augmentent, et il y a un appétit massif pour tous les attraits de la richesse : les véhicules utilitaires sport, le chauffage central, l’air climatisé. L’Occident n’a pas grand-chose à leur offrir côté énergies de rechange. »

Ce n’est pas pour dire que les énergies de substitution sont mortes et enterrées, mais elles ne sont pas très fortes. Car les énergies renouvelables, en raison de leur nature, sont associées au secteur des technologies et ont souffert d’un même repli, juge Greg Taylor. Les énergies fossiles sont le secteur de l’heure et propulsent les fonds d’énergie aujourd’hui, alors que les énergies renouvelables s’étendent dans un cycle à long terme de 10, 20 et même 40 ans. Les portefeuilles de nos trois gestionnaires en témoignent, la part des énergies fossiles occupant environ 80 % du portefeuille, celle des énergies renouvelables, autour de 20 %.

En transition

Cependant, les pétrolières emportent la palme à ce moment-ci.

« Elles sont dans une situation exceptionnelle qu’on n’a pas vue depuis longtemps, observe Greg Taylor. Avec les récentes années de vaches maigres, elles ont appris à vivre avec des budgets amaigris, leur capacité opérationnelle est accrue et maintenant, avec un prix du pétrole élevé, elles roulent sur l’or et retournent beaucoup d’argent aux actionnaires. »

Évidemment, chaque gestionnaire pratique une approche différente. Par exemple, RafiTahmazian se caractérise comme un investisseur « pessimiste » : « On se demande toujours quel est le risque de pertes si on se trompe, plutôt que le potentiel de gains si on a raison. » C’est pourquoi son fonds s’en tient uniquement aux producteurs les plus performants et solides. « Le risque ne tient pas à nos titres, mais à notre timing dans un sous-secteur ou un autre. »

Chris Heakes, pour sa part, est un investisseur fondamental et quantitatif, dont le fonds crible à travers des filtres mathématiques tous les titres énergétiques de la planète pour les comparer. Évidemment, les trois gestionnaires prisent les grandes capitalisations, comme Suncor et Canadian Natural Resources au Canada, Exxon aux États-Unis, Total et British Petroleum en Europe. La plupart de ces entreprises sont essentiellement engagées dans le pétrole, mais plusieurs diversifient leur portefeuille vers les énergies renouvelables. Par exemple, une entreprise comme Suncor « se présente comme une des mieux cotées dans le monde au chapitre des valeurs ESG », signale Greg Taylor.

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