Important ménage technologique
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À la Banque Nationale, la mise en oeuvre des règles du MRCC 2 touchera de 10 à 15 systèmes informatiques différents, entre lesquels des liens devront être créés, confirme Lise Dupont, vice-présidente Initiatives d’affaires à la Financière Banque Nationale – Gestion de patrimoine.

Lise Dupont gère notamment le changement technologique du MRCC 2 pour les entités réglementées par l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) au sein de l’institution financière, dont le courtier de plein exercice Financière Banque Nationale – Gestion de patrimoine, Gestion privée 1859 et Banque Nationale Courtage direct.

Selon elle, le travail nécessaire à la mise en oeuvre des règles qui entreront en vigueur en 2015, «exige un important ménage technologique qui prépare les règles dont l’entrée en vigueur est prévue en 2016, là où sera créé l’essentiel des rapports et des relevés».

À terme, le but est que les systèmes rapportent l’information selon les attentes de la réglementation. «Certains systèmes rapportent peut-être déjà l’information d’une certaine manière, mais celle-ci ne correspond pas aux attentes réglementaires. Il faut alors développer les éléments technologiques qui nous permettront de collecter, puis de diffuser cette information de la bonne façon», indique Lise Dupont.

Besoin d’analyses étendues

S’assurer que les données utilisées pour concevoir l’information fournie au client soient complètes et de qualité représente un enjeu de premier plan, précise donc Lise Dupont : «C’est un défi qui est invisible pour le client, mais qui d’un point de vue technologique se révèle très exigeant».

Selon elle, les nouvelles règles imposent d’abord un important exercice d’analyse. Elle cite en exemple le rapport sur les frais et la rémunération, qui permettra à l’investisseur de déterminer certains coûts associés à chacun des fonds concernés, et dont la création demande l’analyse de l’origine de toutes les formes de rémunération versées directement ou indirectement au courtier par l’investisseur.

«Cet exercice vise à valider les données et permet, par exemple, de connaître les entrées présentes sur l’état de compte du client, mais qui ne figureront pas sur le nouveau rapport», explique-t-elle.

La démarche permet de déterminer si l’on doit tenir compte de ces données, si elles doivent être inscrites ou non au rapport, et le cas échéant, de quelle manière elles devraient l’être ; puis, la manière dont ces données seront expliquées au client, et enfin, s’il faut créer une table de calculs distincte pour les prendre en compte, illustre Lise Dupont.

Appréhensions

Le calcul de la performance des placements, qui devra figurer dans le rapport sur le rendement prévu à l’étape finale du MRCC 2, inquiète tout le monde, estime Lise Dupont.

Il est relativement facile de déterminer les données requises lorsqu’on distribue des fonds communs de placement (FCP) traditionnels. Le degré de difficulté augmente toutefois dans le cas de FCP plus spécialisés, mentionne Francis Sabourin, directeur, gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille chez Richardson GMP.

«Bien que l’on connaisse la valeur marchande de près de 95 % des produits, il y en a certains pour lesquels cette valeur est plus difficile à établir», explique Lise Dupont.

C’est le cas des produits un peu plus «exotiques», comme les fonds alternatifs ou les produits de firmes privées, car celles-ci divulguent leurs états financiers moins régulièrement, souvent une seule fois par année, illustre-t-elle.

La clientèle relativement fortunée qu’il sert amène Francis Sabourin à avoir des positions dans des placements privés, par exemple des sociétés pétrolières de l’Ouest canadien.

L’absence de données récentes complique alors le calcul de la performance, confirme-t-il.

«Même si une infime partie de nos positions se retrouvent dans ce genre de placement, elle touche une grande proportion de nos clients», souligne Francis Sabourin.

Une situation qui a nécessité l’embauche d’analystes spécialisés en performance, qu’on a chargés de trouver les cas d’exception, de revoir chaque écriture comptable et de produire des simulations avec les logiciels, confirme-t-il.

«Dans nos livres, ce type de placement est inscrit au prix de base rajusté (PBR), mais nous n’en connaissons pas la valeur marchande, et le client n’a pas de problème avec ça. Toutefois, pour nous conformer au MRCC 2, nous devons trouver la valeur marchande de tous ces produits, car elle est utilisée dans le calcul de performance», ajoute Francis Sabourin.

«Nous ferons tout notre possible afin de nous assurer que nos clients aient une valeur juste inscrite dans leurs relevés, mais comme ce sera le cas pour toute l’industrie, les relevés contiendront malgré tout de petits astérisques», affirme Francis Sabourin.

L’obligation de la réglementation qui requiert l’inscription du taux de rendement pondéré en fonction de la valeur en dollars (TRPD) complique le calcul de la performance, estime Lise Dupont.

Ce taux évalue la variation de la valeur d’un placement au fil du temps. Ce calcul tient compte du rendement du fonds, ainsi que de l’importance des mouvements de trésorerie et des dates auxquelles ils ont lieu, lit-on dans un document de RBC Gestion mondiale d’actifs. Si aucune cotisation ni aucun retrait n’ont lieu, alors le TRPD est égal au taux de rendement pondéré en fonction du temps (TRPT). Ce dernier taux tient uniquement compte de la variation de la valeur marchande d’un placement sur une période donnée.

«Face au tollé de l’industrie, les autorités de réglementation ont accepté que le TRPT apparaisse aussi sur le rapport de performance qui sera fourni au client», mentionne Lise Dupont.

Selon elle, pour des raisons commerciales, la majorité des conseillers de plein exercice inscriront les deux taux de rendement dans leurs rapports de performance. Cette situation ajoute non seulement au défi de calcul, mais aussi à celui de la gestion du changement.

«Il faudra en effet expliquer aux clients la différence entre ces deux types de calculs, et la raison pour laquelle il pourrait y avoir une différence entre eux», illustre Lise Dupont.

Travail ardu

À la Banque Nationale, la mise en oeuvre du MRCC 2 est considérée comme «un projet d’une envergure unique», en raison de l’ampleur de la tâche et de son coût qui est non négligeable, dit Lise Dupont.

«D’un point de vue logistique, le MRCC 2 est un projet très important à l’intérieur de la banque, pour toutes les unités d’affaires», confirme Jonathan Durocher, président et chef de la direction de Banque Nationale Investissements.

Évoquant le lancement en juillet dernier du Fonds de revenu et de croissance américain stratégique Banque Nationale, géré par l’équipe des placements en actions de Goldman Sachs Asset Management, Jonathan Durocher affirme : «Mon équipe n’a probablement jamais autant travaillé pour un mandat afin d’arrimer l’aspect réglementaire. Cela a nécessité un travail de politique technologique et de logistique énorme afin de nous assurer que le moment venu, les bons éléments figureront dans les relevés de compte des clients».

Selon Lise Dupont, l’éducation sera un élément très important pour le personnel à l’interne, mais aussi pour les clients. «C’est pourquoi depuis deux à trois ans, on se prépare au MRCC 2, on prépare nos forces de vente et on les éduque. La gestion du changement est un des aspects les plus importants de ce projet.»

La Banque Nationale, tout comme d’autres institutions financières selon Lise Dupont, a d’ailleurs créé un système de gouvernance consacré au MRCC 2.

Son objectif consiste à s’assurer que les équipes qui oeuvrent au projet tiennent compte des mises à jour de la réglementation qui surviendront entre le jour un des travaux et la mise en oeuvre de la solution, afin de pouvoir rapporter au client la transparence qui sera effectivement requise à ce moment.

Attente Inquiétante

Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers, déplore pour sa part la situation d’attente dans laquelle il se trouve.

Comme c’est le cas pour la majorité des cabinets indépendants, Mérici utilise une solution développée par un fournisseur de logiciels externe, et qui est utilisée par plusieurs autres acteurs de l’industrie.

Bien qu’il ne doute pas des capacités de son fournisseur de logiciels de lui fournir une solution, Maxime Gauthier souligne qu’il a rarement vu un projet informatique respecter les délais et les coûts prévus, et qui corresponde exactement aux attentes du client.

«On connaît les exigences de la réglementation, mais les logiciels ne calculent pas tous de la même façon et c’est quelque chose que nous ne contrôlons pas vraiment», dit-il.

«Considérant la complexité de la tâche à accomplir, tant et aussi longtemps que la solution ne m’aura pas été livrée et que je n’aurai pas pu faire les phases de tests, je ne pourrai pas affirmer hors de tout doute que les rendements seront calculés correctement. D’ici là, je ne dormirai pas sur mes deux oreilles», lance Maxime Gauthier.