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« On a davantage pris conscience de l’importance de ses besoins financiers et de trouver des sources de revenus qui lui permettraient une plus grande autonomie », précise son père Charles, qui avait entendu parler du REEI une première fois lors de son lancement en 2008.

À l’époque, les parents d’Alexandre, qui ont également une fille, mettaient déjà une partie de leurs épargnes dans un régime enregistré d’épargne-étude (REEE). Puis, la visite d’un conseiller au Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) où vit Alexandre, qui en a fait part à ses parents, a remis le REEI à l’agenda de cette famille qui avait alors terminé ses cotisations au REEE. Autre facteur persuasif: une subvention gouvernementale fédérale, en contrepartie des cotisations, qui peut atteindre jusqu’à 70 000 $ ! « C’est un programme qui est très généreux », reconnaît Charles Vallerand.

Les cotisations au REEI peuvent en effet donner droit à la Subvention canadienne pour l’épargne-invalidité (SCEI) qui s’élève jusqu’à 300 % du montant de la cotisation, selon le revenu familial du bénéficiaire. La limite cumulative globale des cotisations pour chaque bénéficiaire est de 200 000 $, sans aucun plafond des cotisations annuelles. Un REEI peut recevoir un maximum annuel de 3 500 $ en subvention, tandis que la limite à vie est fixée à 70 000 $.

Ainsi, pour les ménages dont le revenu familial net en 2017 est inférieur à 91 831 $, une cotisation de 1 500 $ donne droit à la subvention annuelle maximum de 3 500 $, soit 300 % sur les premiers 500 $ et 200 % sur les 1 000 $ suivants. Bref, une cotisation de 1 500 $ entraîne une contribution totale de 5 000 $ ! Pour les familles à plus faible revenu, soit moins de 45 916 $, le gouvernement ajoutera aussi jusqu’à 1 000 $ annuellement et 20 000 $ à vie par le biais du Bon canadien pour l’épargne-invalidité.

Résultat : sur une période de 20 ans, des cotisations totales de 30 000 $ pourraient totaliser plus de 166 000 $, en comptant les sommes versées directement dans le REEI par le gouvernement et un taux de rendement de 3 %. À l’âge de 49 ans, selon ce même scénario, le bénéficiaire pourrait même profiter d’un capital d’environ 365 000 $!

Peu offert

« Ça semble trop beau pour être vrai. Pourtant, le REEI est encore trop méconnu et peu utilisé », constate le conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective Guillaume Parent, aussi président de la firme Finandicap. Lui-même atteint de paralysie cérébrale, il a fondé en 2010 ce cabinet de services financiers dédié principalement aux personnes handicapées.

D’autant plus que « la planification fiscale et successorale pour les personnes ayant des besoins spéciaux est appelée à prendre de l’importance en raison des tendances démographiques », fait valoir Hélène Marquis, directrice générale, planification fiscale et successorale, chez Gestion privée de patrimoine CIBC.

Elle donne en exemple les avancées scientifiques qui procurent une plus grande longévité et une meilleure qualité de vie aux personnes souffrant de maladies dégénérescentes ou de handicaps sévères.

La sous-utilisation du REEI est en partie attribuable au « retard des institutions financières à offrir ces produits à cause de leur complexité et du marché restreint », explique Hélène Marquis. Guillaume Parent fait écho à ses propos. « Le REEI s’adresse à un très faible pourcentage de la population, environ 2 %, alors que les institutions financières desservent un marché de masse. Ce n’est donc pas dans leurs priorités », affirme-t-il.

Le REEI est offert par une quinzaine d’institutions financières, dont certaines laissent toutefois peu de choix en matière de véhicules de placement. « L’offre de produits est souvent restreinte et se limite à des produits garantis qui rapportent moins que le taux d’inflation », constate Guillaume Parent. Une situation que déplore aussi Charles Vallerand. « Je souhaiterais avoir plus de choix, notamment des fonds autogérés, mais on m’offre seulement deux fonds et des certificats garantis qui n’ont pas des rendements très élevés », souligne-t-il.

Tabou

Par ailleurs, les conseillers financiers auraient de la difficulté à parler de l’avenir d’une personne qui risque d’être dépendante toute sa vie. « C’est un sujet souvent tabou. Et si un conseiller ne connaît personne dans une telle situation, il n’en parlera pas d’emblée. C’est très loin dans son coffre à outils », constate Guillaume Parent.

C’est aussi parfois très loin dans les préoccupations mêmes des parents. « Vivre avec un enfant handicapé est un défi quotidien important pour bon nombre de parents pour qui le REEI n’est pas une priorité », souligne André Lacasse, planificateur financier de la firme Services financiers Lacasse. Sans compter, ajoute-t-il, que bon nombre de ces familles n’ont pas les capacités financières de cotiser à un tel régime.

Le processus d’ouverture d’un REEI peut aussi s’avérer long et fastidieux. « Il y a beaucoup de paperasse à remplir, de règles à respecter et des délais », confirme Charles Vallerand, précisant qu’il s’est écoulé près d’un an avant la décision d’établir un REEI et les premières cotisations.

La pierre angulaire demeure l’obtention du Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH). Une personne est admissible si elle est « limitée de façon marquée » dans sa capacité d’accomplir des activités courantes de la vie quotidienne et ce, à « au moins 90 % du temps », indique le formulaire de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Or, « pour certaines personnes, le diagnostic est facile à établir, mais c’est beaucoup plus complexe pour d’autres », souligne Hélène Marquis.

Aussi, le formulaire de demande doit être rempli par un médecin ou un autre professionnel spécialisé de la santé et approuvé par l’ARC. Or, « les médecins, qui sont des personnes avec un horaire chargé et dont la formation consiste à soigner et non à remplir de la paperasse, sont souvent très réticents à se soumettre à cet exercice », note Hélène Marquis. D’autant, ajoute-t-elle, que le professionnel de la santé reçoit souvent de l’ARC un questionnaire supplémentaire qu’il doit remplir.

Ces diverses contraintes ne devraient toutefois pas freiner l’établissement d’un REEI, souhaite Guillaume Parent. « Le REEI doit faire partie d’une planification parce qu’il peut faire une grande différence non seulement pour la famille et le bénéficiaire, mais aussi pour la société », fait valoir Guillaume Parent.