
Si les portefeuilles d’actions des conseillers et de leurs clients se sont ouverts au monde depuis longtemps, leur allocation en titres à revenu fixe est restée… fixe. Beaucoup d’investisseurs canadiens continuent de concentrer cette portion dans les obligations émises au Canada de bonne qualité. Pourtant, jamais l’univers obligataire n’a offert autant de possibilités de diversification. Les fonds négociés en Bourse (FNB) de titres à revenu fixe couvrent désormais une gamme de segments de ce marché et de profils de risque qui n’ont parfois rien en commun. Rester cantonné au marché canadien de haute qualité, c’est ignorer une grande partie des occasions disponibles.
Pour comprendre pourquoi la diversification est essentielle, il faut revenir à la nature même des titres à revenu fixe. Son principal atout, mais aussi sa principale faiblesse, est que les flux monétaires sont fixes. C’est une force en période de ralentissement économique, de récession ou de désinflation, car la certitude de recevoir un revenu qui ne baissera pas augmente la valeur des obligations. Or, c’est une faiblesse lorsque l’inflation repart ou que la croissance économique s’accélère. Dans ces contextes, les revenus variables, comme ceux provenant des actions, augmentent avec l’économie, alors que les titres à revenu fixe perdent de leur attrait.
Autrement dit, revenu fixe et revenu variable ne brillent pas dans les mêmes environnements économiques. En période de récession, la stabilité d’une obligation offrant un rendement du coupon de 4 % est précieuse, et la demande pour cette obligation s’accroît. Cependant, lorsque l’économie croît rapidement, les bénéfices auxquels les actionnaires ont droit peuvent grimper bien au-delà de ce 4 %, alors que le coupon obligataire, lui, reste inchangé.
Même si les coupons sont fixes, les prix des obligations bougent. La raison est simple : ils réagissent aux grandes forces macroéconomiques. Les taux d’intérêt en sont le facteur le plus évident : la relation entre les taux et le prix des obligations est si mécanique que les négociateurs obligataires raisonnent souvent directement en termes de taux. Rappelons que lorsque les taux de rendement montent, les prix des obligations baisse et vice-versa.
L’inflation anticipée est tout aussi déterminante : si elle est projetée à 5 % pour les prochaines années, une obligation qui rapporte moins devient instantanément moins attrayante. Dans le cas des obligations internationales, les variations de devises et les flux de capitaux jouent aussi un rôle important.
À ces forces macroéconomiques s’ajoutent des risques propres, liés à la fois aux émetteurs et aux instruments eux-mêmes, comme le crédit : la capacité ou la volonté d’un émetteur à respecter ses engagements n’est jamais garantie. Les investisseurs exigent en contrepartie une prime de rendement.
Devant cette diversité de facteurs, traiter la catégorie des titres à revenu fixe comme un bloc homogène est une erreur. Les investisseurs disposent aujourd’hui d’outils pour diversifier leurs expositions de plusieurs façons.
Les obligations à court terme, par exemple, réduisent la sensibilité d’un portefeuille aux mouvements brusques de taux directeurs, même si la gestion active de la duration d’un portefeuille reste l’instrument principal d’ajustement.
Les obligations indexées à l’inflation protègent le pouvoir d’achat lorsque les prix augmentent rapidement, puisque leur capital s’apprécie avec l’inflation, alors que les obligations nominales jouent mieux leur rôle en période de désinflation.
Les titres de qualité souveraine assurent une certaine stabilité, mais les obligations corporatives, bien qu’exposées au risque de défaut, apportent un supplément de rendement en période de croissance économique.
Quant aux marchés émergents, ils brillent lorsque la volatilité de marchés diminue ou est faible et que les liquidités sont abondantes. Enfin, les obligations à taux flottant s’ajustent automatiquement et rapidement aux taux courts et permettent de réduire la sensibilité du portefeuille aux cycles de hausses de taux directeurs.
L’idée n’est pas de parier sur un seul scénario économique, mais plutôt de combiner plusieurs segments pour bâtir un portefeuille obligataire plus résilient.
En 2021, par exemple, l’inflation a surpris par sa vigueur et les obligations à rendement réel ont alors rempli leur rôle : les indices d’obligations à rendement réel américains libellées en dollar américain, mais couverts pour le risque de change, ont rapporté plus de 6 %, propulsés par une inflation élevée, tandis que les indices obligataires traditionnels affichaient des rendements négatifs. Quand les banques centrales ont remonté leurs taux rapidement, les obligations à taux flottant ont limité les pertes, contrairement aux obligations de longue durée.
Depuis le début d’année 2025, la dette des pays émergents s’est distinguée par des rendements nettement supérieurs à ceux des pays développés. Aujourd’hui encore, certaines obligations souveraines émergentes offrent des rendements à deux chiffres. Ces occasions ne sont toutefois intéressantes que si la volatilité, notamment celle des devises émergentes, demeure contenue. Ces exemples montrent qu’il y a toujours un segment qui s’en sort mieux, pendant que d’autres souffrent. Diversifier permet de réduire l’impact des périodes où un segment unique, comme les obligations canadiennes traditionnelles, est particulièrement malmené.
La multiplication des segments et des produits rend l’allocation obligataire plus complexe qu’autrefois. Cette complexité reflète la richesse de l’univers obligataire, mais aussi la réalité des conversations avec les clients. Beaucoup associent encore les titres à revenu fixe à une sécurité automatique, presque immuable. Diversifier devient alors non seulement une stratégie de gestion du risque, mais aussi un outil de communication. Cela permet d’expliquer que le revenu fixe, comme les actions, est sensible aux cycles économiques et qu’une approche plus nuancée aide à éviter les déceptions lorsqu’un segment précis traverse une période difficile. En diversifiant les sources de risque et de rendement, on réduit la concentration et on améliore le profil global d’un portefeuille.
On peut combiner différents segments de titres à revenu fixe de deux manières : en assemblant progressivement des FNB spécialisés, passifs ou actifs, qui couvrent différents segments, ou en confiant la construction à des gestionnaires par l’intermédiaire de FNB de type « sans contraintes » ou globaux, souvent gérés activement, qui intègrent déjà plusieurs sources de rendement et d’expositions.
En résumé, il est possible, et surtout relativement simple, d’améliorer le rendement par unité de risque, ou de réduire le risque pour un même rendement, en diversifiant l’exposition obligataire. Diversifier, c’est accepter que chaque segment ait ses forces et ses faiblesses, mais aussi reconnaître qu’ensemble, ils composent un portefeuille de titres à revenu fixe plus équilibré et plus robuste. L’essentiel est d’éviter d’empiler un seul risque. Dans un monde où rien n’est vraiment fixe, la robustesse du rendement obligataire passe d’abord par la diversification.
Mathieu Pineau Pelletier est gestionnaire de portefeuille, Placements Mackenzie.
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