Surmonter les préjugés envers les marchés émergents
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Il n’en est rien. Dans le classement de 10 fonds présenté ici, ce fonds affiche un ratio de Sharpe sur trois ans de 0,81, ce qui est plus élevé que ses pairs. Rappelons qu’un ratio plus élevé indique un meilleur rendement en fonction du risque encouru.

De plus, sur des périodes d’un an et de trois ans, il présente des rendements annuels composés de 16,20 % et 9,77 % qui se comparent avantageusement à ceux d’un portefeuille classique comme le Fonds d’actions canadiennes RBC, dont le ratio de Sharpe sur trois ans est pourtant de 0,47 et dont les rendements sur les mêmes périodes sont de 15,60 % et 4,40 %.

«C’est un aspect surprenant des petites capitalisations (dans les pays émergents), indique Philippe Langham, gestionnaire établi à Londres du Fonds d’actions de sociétés à petite capitalisation de marchés émergents RBC. Bien qu’elles aient de plus hauts rendements que les titres à grande capitalisation, elles ont une volatilité plus faible.»

Cela tient au fait qu’elles sont peu achetées par les investisseurs et peu suivies, et au fait que ces entreprises sont actives à l’intérieur de leur propre pays, donc plus axées sur les marchés de consommation, plutôt que sur le secteur de l’exportation (plus volatil), poursuit-il : «Ça veut dire aussi que les marchés sont très inefficaces, ce qui crée beaucoup d’occasions pour un fonds comme le nôtre qui fait sa propre recherche.»

Épisodes éprouvants

Pourtant, au cours des cinq dernières années, les marchés émergents ont connu deux épisodes particulièrement éprouvants, en 2013 et en 2015, rappelle Patricia Perez-Coutts, gestionnaire du Fonds Westwood marchés émergents. Durant ces périodes, les médias rapportaient que les sorties de capitaux hors des pays émergents vers les économies avancées mettaient ces marchés en péril.

Ces épisodes d’alerte sont liés surtout aux attentes des investisseurs face au dollar et aux taux d’intérêt américains, fait ressortir Michael Reynal, gestionnaire du Fonds de marchés émergents CIBC chez Sophus Capital, à Des Moines, en Iowa. Quand le dollar monte et que les marchés attendent une hausse de taux de la part de la Réserve fédérale américaine, «c’est un double choc pour les pays émergents, dit-il, parce que leurs coûts financiers augmentent».

Ces sorties de capitaux touchent évidemment certains pays plus que d’autres, surtout ceux qui ont une dette nationale élevée et de faibles réserves de dollars. Cependant, en Bourse, l’effet pour un investisseur avisé s’avère pratiquement nul, affirment les gestionnaires à qui Finance et Investissement a parlé.

Patricia Perez-Coutts en donne un exemple éloquent. Devant la sortie de capitaux, l’Indonésie a haussé ses taux d’intérêt pour défendre sa monnaie, «mais Monsieur et Madame Tout-le-monde ne l’ont pas vraiment senti, parce que l’économie informelle se fait en devises comptant. En fait, pendant cette période-là, le salaire minimum a augmenté de 57 % et les gens en ont profité pour dépenser ou épargner davantage.» Le titre de Bank Mandiri, détenu par le fonds de Patricia Perez-Coutts, a été le premier à en profiter.

En fait, souligne-t-elle, même les épisodes de troubles graves peuvent être de splendides occasions de performance pour l’investisseur avisé qui a bien choisi ses titres, comme elle l’a expérimenté en Égypte pendant le fameux «printemps arabe», en 2011. Le titre de la Commercial International Bank of Egypt (CIBE) a connu de la volatilité, mais des moments d’achats intéressants. Pourquoi ? En grande partie parce que les banques européennes, qui étaient en difficulté, réduisaient leurs activités en Égypte. «En conséquence, les dépôts d’épargnants, la façon la plus économique pour une banque de se financer, ont augmenté de 17 %», note Patricia Perez-Coutts. Le titre a profité de cet effet.

Tout cela ne veut pas dire que les marchés émergents sont sans périls. Au contraire. Mais «périls» selon qui ? demande Michael Reynal. Les États-Unis, rappelle-t-il, ont traversé, avec la crise financière et tous les épisodes de détente monétaire, une des périodes les plus troublées et «irrationnelles» de leur histoire. Combien d’investisseurs en ont souffert ?

L’art de la sélection

Tout tient à la sélection des titres, qui peut se résumer à quatre critères : fort flux de trésorerie, croissance interne, rendement généreux du capital investi, avantage concurrentiel soutenu, selon Jeff Feng, principal gestionnaire du fonds Catégorie marchés émergents Trimark, à Hong Kong. Il ajoute un cinquième critère particulièrement avisé dans ces marchés parfois turbulents : «La capacité de survie et d’exécution de haut calibre en période tant bonne que mauvaise» souligne-t-il.

Chose à retenir, les gestionnaires de portefeuille à qui nous avons parlé n’investissent pas dans des «pays émergents». Ils investissent dans des titres. Certes, «nous essayons d’établir le niveau de risque général d’un pays, dit Michael Reynal : taux d’inflation, taux d’intérêt, balance commerciale, stabilité politique. Et ces facteurs peuvent nous interdire d’entrer dans un pays en particulier. Mais si tout est beau, et si nous nous retrouvons en Russie, en Chine ou au Brésil, ce n’est pas un choix de pays qui nous y mène, mais un choix de titres.»

Outillés de la sorte, les gestionnaires réussissent à repérer des titres particulièrement attrayants. Jeff Feng affectionne le titre de Samsung, très prisé par les investisseurs asiatiques, mais pour des raisons inattendues. On connaît tous Samsung pour sa présence massive dans l’électronique de consommation, mais l’attrait pour Jeff Feng tient «à la position de leader, à plus de 50 %, qu’occupe Samsung dans le marché des mémoires D-RAM et de la mémoire flash. C’est un marché qui génère plus de 50 % des profits de l’entreprise et de 60 % à 70 % de son encaisse», qui, à 70 G$ US, est gigantesque.

Au Brésil, un pays pourtant malmené, le titre de Cielo donne de très bons résultats dans le portefeuille de Jeff Feng. Cet opérateur de transactions électroniques, un équivalent de Moneris, domine son marché national avec une part de 50 %. Et un net avantage de Cielo tient à ses deux investisseurs de contrôle, Bank of Brazil et Bank Bradesco, les deux plus grandes banques du pays, qui lui donnent un accès privilégié aux marchands et aux détaillants.

L’entreprise sud-africaine Naspers est un choix de prédilection pour Michael Reynal et démontre encore une fois que, même dans un pays malmené par le contexte international, on peut trouver des perles. Cette société, dont les revenus s’élèvent à 6,5 G$ US et les profits à 700 M$ US, agit comme une firme de capital privé et possède des intérêts dans une foule d’entreprises technologiques qui n’ont pas de visibilité en Amérique du Nord, mais qui ont le vent dans les voiles dans leur pays respectif, par exemple Alibaba et le jeu Game of Kings, en Chine, ou encore d’importantes plateformes de commerce Internet en Inde et au Moyen-Orient.

Et que dire de la société argentine Arcos Dorados, un choix tout à fait inattendu. «Il s’agit du plus grand franchiseur McDonald’s au monde, qui possède des milliers de restaurants en Amérique du Sud, dit Michael Reynal. C’est une société dont les revenus de 3 G$ US produisent des profits respectables de 200 M$ US. Pourtant, ça fait longtemps que les investisseurs se sont intéressés à l’Argentine.»