Jess Chapman (JC): 
Cela fait six mois qu’Andrew Kriegler a pris les rênes de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières du Canada. Il est ici avec nous pour discuter de ses réalisations en tant que président et chef de la direction de l’OCRCVM.

Andrew, vous avez fait un discours au début du mois où vous parliez de l’importance du sentiment de confiance des investisseurs dans les marchés boursiers. Cette confiance est-elle plus élevée ou plus faible qu’il y a sept ans?

Andrew Kriegler (AK): Eh bien, je pense qu’au sortir de la crise financière, la confiance des investisseurs était un peu ébranlée et cela se comprend. En général, toutefois, le Canada a très bien surmonté la crise. Je pense donc que les investisseurs canadiens continuent à avoir confiance en nos marchés, en leur intégrité et leur solidité. Notre mission est de continuer à développer cette confiance, de continuer à montrer aux investisseurs que le système est intègre et qu’ils peuvent y croire, et par conséquent y investir leur capital, ce qui favorise la croissance économique.

JC : Selon vous, quelle est la plus grande préoccupation des investisseurs particuliers en matière de droits juridiques et de protections?

AK : Selon moi, plusieurs questions se posent. L’une d’entre-elles, dont nous parlons depuis quelque temps, est que notre statut d’organisme d’auto-réglementation fait qu’il nous est difficile de recueillir les amendes et autres frais et pénalités infligées aux conseillers en placement qui quittent l’industrie après avoir fait l’objet de sanctions. Et donc, deux provinces au pays, l’Alberta et plus récemment le Québec, nous ont conféré le pouvoir de collecter nos amendes, de les inscrire auprès des tribunaux dans ces juridictions, et ensuite de poursuivre les personnes concernées comme si ces amendes étaient des décisions des tribunaux. Cela nous permet de collecter davantage d’argent, mais aussi de montrer que le système est intègre et que les droits des investisseurs continueront à être protégés.

JC : Vous avez été cité dernièrement dans le Financial Post, qui disait qu’un thème principal de votre mandat s’avérait de plus en plus comme une priorité accordée aux données objectives dans le processus d’établissement des politiques. Diriez-vous que cela représente un changement important de l’approche adoptée précédemment par l’OCRCVM?

AK : Je dirais que c’est une évolution ou une amélioration du processus qui existe déjà. L’OCRCVM a la chance d’avoir une fonction qui lui permet de superviser les marchés obligataires et boursiers dans tout le pays, et cela nous donne accès à une énorme quantité d’informations permettant d’appuyer des décisions intelligentes et productives.

Ainsi, par exemple, seulement dans les marchés boursiers, nous avons détecté chaque année quelque 33 milliards de messages — c’est-à-dire des cotes ou des négociations, et ainsi de suite. Pour vous donner une idée, cela représente environ 10 milliards de pages dactylographiées à interligne simple. Ce volume d’informations nous donne la capacité de penser à la fois à la politique à suivre dans l’avenir, mais aussi à réfléchir après coup aux décisions politiques que nous avons prises et les valider, les modifier si nécessaire, et ainsi de suite.

JC : Parlons de certains de vos objectifs spécifiques en tant que directeur général. Vous avez mentionné la possibilité d’une réaction réglementaire aux questions relatives aux transactions de haute fréquence. Nous connaissons tous l’impact qu’ont eus les transactions à haute fréquence sur l’économie américaine. Comment compareriez-vous l’expérience américaine et l’expérience canadienne?

AK : En bien il convient probablement de me concentrer sur ce que nous avons vu jusqu’à maintenant au Canada. J’ai parlé un peu de la base de données que nous avons. Elle est assez énorme. En fait, pour mettre les choses en perspective, nous collectons environ 33 milliards de messages différents sur tous les échanges et places boursières au Canada chaque année. Cela représente environ 10 ou 10,5 milliards de pages dactylographiées constituées d’informations, c’est énorme. Et cela nous donne la capacité de voir en quelque sorte ce qui se passe à l’heure actuelle sur les marchés et d’essayer de décider s’il y a quelque chose qui mérite d’être traité par une politique. Ce n’est pas un processus simple, soyez-en certains, en raison de la quantité d’information, et ça prend donc beaucoup de temps.

Notre réaction a été de commander une série de travaux de recherche à des chercheurs indépendants ainsi qu’à nos propres équipes, pour examiner les questions portant sur les transactions à haute fréquence, les marchés opaques et les problèmes connexes. Ce processus a très bien marché, mais il n’est pas encore terminé. Nous avons une autre étude réalisée par un groupe d’universitaires indépendants qui sera publiée en juin, et par la suite, nous rassemblerons toutes ces informations et verrons si une réponse réglementaire serait appropriée.

JC : Vous avez mentionné les marchés opaques. Pourriez-vous nous expliquer exactement de quoi il s’agit et pourquoi les investisseurs devraient se préoccuper de leur impact sur les marchés ouverts?

AK : Eh bien, les marchés opaques sont simplement l’idée qu’il y a une place boursière, un endroit où l’on achète et vend des actions et que le reste du monde ne peut pas voir, par opposition, disons, à la Bourse de Toronto, où les opérations et les transactions sont visibles et toutes transparentes.

Il y a eu de très bonnes raisons qui ont fait en sorte que les transactions cachées ou les marchés opaques fassent leur apparition. Par exemple, si de grandes contreparties institutionnelles veulent opérer des transactions sans modifier substantiellement le marché, cette opacité peut leur en donner l’occasion. Mais en même temps, il est important pour le système, pour la société, pour le Canada, que l’activité boursière prenne place de façon transparente et visible.

JC :Naturellement. L’un de vos grands projets, à ce propos, est un partenariat avec la Banque du Canada pour analyser les données des transactions obligataires. Maintenant, le marché obligataire canadien, comme vous n’aurez pas manqué de le remarquer, a une réputation de grande opacité, notamment par rapport au marché des actions. Envisagez-vous de changer cela?

AK : En fait, notre objectif est la transparence réglementaire. La Banque du Canada et l’OCRCVM ont collaboré pour améliorer le processus existant de contrôle des créances. Il sera lancé en novembre, et ce qu’il cherchera à faire est en fait de saisir chaque transaction effectuée dans les marchés obligataires. Le marché obligataire est, comme vous l’avez fait remarquer, un marché hors cote qui est un peu moins bien compris, un peu moins visible par tout le monde, notamment pour les organismes de réglementation, et cela nous donnera une meilleure idée de ce qui s’y passe.

JC : Qu’espérez-vous réaliser à la tête de l’OCRCVM?

AK : Il est un peu tôt pour parler d’héritage, étant donné que j’occupe ce poste depuis six mois. Ce que j’espère réaliser c’est poursuivre l’évolution positive de l’OCRCVM en tant qu’organisme réglementaire d’intérêt public, et d’organisme qui travaille en collaboration avec nos partenaires, les commissions des valeurs mobilières, les gouvernements et les organismes gouvernementaux de tout le pays.